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Véronique Boutonnet : « adapter Monte-Cristo au théâtre, plus c’est impossible, plus c’est intéressant »

 

Auteure de l’adaptation théâtrale du Comte de Monte-Cristo où elle joue également, Véronique Boutonnet s’explique sur l’entreprise un peu folle que constitue une telle transposition et sur le choix très fort d’en briser l’ordre chronologique.
(interview recueillie le 6 février 2018)

D’où vous est venue l’idée de faire un spectacle théâtral à partir de Monte-Cristo ?

Dumas fait partie des auteurs que je fréquente depuis l’enfance. J’ai toujours eu un goût pour ces romans-fleuves du XIXème siècle, de Dumas, Balzac, Hugo, où j’aime bien m’engouffrer. En outre, j’avais déjà travaillé sur Le comte de Monte-Cristo il y a douze ans, en faisant une première adaptation : une production italienne m’avait demandé de trouver un texte et un spectacle pour partager la langue française avec des étudiants. J’avais proposé Dumas et Hugo. Nous avons fait les deux dont, en 2005, Monte-Cristo. J’avais fait une adaptation beaucoup plus proche du livre, avec des grands décors, dans le respect de l’ordre chronologique. Ca durait deux heures, c’était très pédagogique, très formaté, ça n’est pas ce qui m’intéresse le plus. Je gardais donc toujours l’envie de revisiter le livre.

Mais pourquoi, dès cette première adaptation, avoir choisi Monte-Cristo, dont la difficulté de transposition à la scène est énorme avec une multitude de personnages et de lieux, et une intrigue très complexe ?

C’est un peu compliqué de savoir pourquoi on choisit un livre… Je crois que c’est le personnage… En fait, le premier personnage que j’avais envie de mettre en valeur au théâtre, c’était l’abbé Faria. C’était pour moi le pivot du livre, celui qui va ouvrir toutes les portes. Et puis ce que j’aime quand j’adapte un livre c’est justement tout cela : plus c’est complexe, plus c’est impossible, plus c’est intéressant ! C’est comme pour les gens qui vont faire des grandes randonnées en montagne, ils cherchent les sommets.

Donc pour vous, c’était l’Everest ou rien du tout !

Oui, voilà ! Et puis j’aime aussi le côté intrigue à tiroirs qui part dans tous les sens, les personnages qui se déguisent, qui apparaissent et disparaissent, les incohérences de Dumas aussi. Et le côté très cinématographique, donc très théâtral.

Ce côté théâtral ne vient-il pas tout simplement du fait que Dumas était avant tout un homme de théâtre ? Est-ce que vous le ressentez quand vous lisez le roman ?

Oui, bien sûr. Prenez Hugo : quand on lit ses romans et son théâtre, on voit bien qu’il y a deux formes d’écriture très différentes. Alors que dans les romans de Dumas il y a déjà la dramaturgie. Il pose des lieux et il avance tout de suite dans l’action, il ne s’éternise pas sur les descriptions. Hugo, au contraire, pose les choses, décrit les contextes, il remet dans le cadre historique et il ajoute aussi toute une philosophie. Dumas ne s’embarrasse pas de tout ça. C’est un gourmand, il en met plein sur la table, quitte à ce que ce soit un peu trop, et il part dans l’histoire. Au risque de manquer parfois un peu de finesse. Pas dans Monte-Cristo d’ailleurs mais dans certains romans ça frise un peu la lourdeur. Mais moi j’adore ça, c’est comme les gros gâteaux ! On lui pardonne !

Comme aborde-t-on l’adaptation au théâtre du Comte de Monte-Cristo ? On commence par le relire quatre fois de suite en prenant 250 pages de notes ?

Il y a de ça ! Entre le moment où je me suis dit « je vais l’adapter » et celui où je suis passée vraiment à l’écriture, il s’est écoulé dix-huit mois. Il y a le moment de la gestation, celui de la relecture. Je crois que j’ai lu le livre plusieurs dizaines de fois… Pas forcément de A jusqu’à Z à chaque fois. Je l’ai lu intégralement une dizaine de fois et ensuite je le reprends. Je me dis « je vais repartir dans le château d’If » ou dans les chapitres sur Paris, ou dans celui sur Rome. Quand je commence à sentir que je suis prête à écrire, je fais une relecture où je prends des notes, je relève des phrases qui me plaisent, des expressions, des numéros de pages qui m’intéressent. Il y a eu aussi une phase où je me suis amusée à relever toutes les dates, les années, les journées mentionnées dans le texte pour resituer comment ça se passe, en essayant aussi de voir où était chaque personnage à ce moment là. C’est comme ça que je me suis rendu compte que Fernand était en Espagne et en Grèce en même temps ! J’ai donc cherché à établir une chronologie complète du livre car il m’est très vite apparu que je pouvais faire quelque chose avec cette chronologie – avant de décider de ne pas faire la pièce dans l’ordre chronologique.

C’est un choix radical…

En fait, l’idée de ne pas suivre l’ordre chronologique est arrivée très vite. Elle m’est venue en regardant des séries télévisées ! Et en particulier Sherlock, une série britannique. C’est là que j’ai eu le « coup de théâtre » dans ma tête : je me suis dit, il faut faire ça. Parce que dans Sherlock, la construction n’est pas forcément chronologique, il y a des choses qui apparaissent, des dates, des titres de séquences… Je me suis dit que pour retrouver l’esprit de Dumas, l’esprit du feuilleton, le goût du suspense qu’il imposait à ses lecteurs au XIXème siècle, il fallait trouver l’équivalent d’aujourd’hui. Cet équivalent ce sont les séries, les épisodes. On avance dans une action et au moment où il se passe quelque chose, ça s’arrête et on passe à l’épisode suivant. Au théâtre, on peut retrouver l’équivalent: on avance un truc mais on ne va pas au bout de la scène, on repart en arrière…

Dans Sherlock, la série démarre à chaque fois avec des images dont on ne sait pas qu’elles sont liées à quelque chose que l’on va découvrir quatre épisodes plus tard. Je me suis dit que ça pouvait être intéressant de travailler sur la mémoire, et donc sur la chronologie des personnages, de l’auteur et de l’histoire. Dans le livre, il y a cette scène où Monte-Cristo revient au château d’If et va retrouver sur le mur une phrase qu’il avait gravée : « Mon dieu, conservez-moi la mémoire, ne pas oublier pour ne pas devenir fou ». Ca, c’est un peu la phrase de départ. Et finalement, la chose la plus importante sur laquelle il a travaillé toute sa vie, c’est qu’il a fait en sorte de ne jamais oublier. En n’oubliant jamais, il a mené sa vengeance. S’il avait oublié, il aurait peut-être pu pardonner. C’est lié à la question de la notion du temps. Avec l’abbé Faria, ils construisent une espèce d’horloge pour toujours conserver celle-ci car c’est la première chose que le prisonnier risque d’oublier. Avant d’entrer en contact avec l’abbé Faria, Dantès est déjà en prison depuis six ou sept ans, il ne sait plus quel âge il a. Je crois que c’est la chose la plus importante du livre, je trouve ça très beau, cette notion du temps.

Paradoxalement, pour traiter de cette notion du temps, vous le fracassez…

Oui, on le brise comme les pièces d’un puzzle, parce qu’au théâtre, le temps n’a pas la même valeur qu’en lecture. Au théâtre, on ne peut pas revenir aux pages des chapitres précédents pour comprendre. Il faut donc imposer un rythme, un souffle…

Curieusement, il y a plein d’adaptations théâtrales de Monte-Cristo mais extrêmement peu qui ne soient pas chronologiques. Il semblerait que ce soit une idée très contemporaine…

En effet. En plus, dans la littérature du XIXème siècle, la chronologie est un fil directeur très fort, ça n’est pas simple de la déstructurer. Mais je voulais que chacune des scènes, qui sont très courtes, soit construite avec une ouverture et un final. Un peu comme les épisodes des séries. Dans chaque scène, il y a un personnage qui apporte une information mais on ne va pas au bout, ça se développera un peu plus tard.

Quand on fait comme vous dix ou quinze lectures de Monte-Cristo, continue-t-on à y faire des découvertes ?

C’est ça qui est incroyable avec Dumas, on découvre toujours des choses. C’est un piège ! Dès que j’ouvre le livre, j’ai envie de continuer ! C’est en relisant le livre plusieurs fois que l’on commence à comprendre tout le mécanisme de Dumas, parce que c’est incroyable la façon dont c’est construit. Et tout le mécanisme de Monte-Cristo lui-même, comment il a bâti sa vengeance, les astuces contre les uns ou les autres. Il y a plein de choses qu’on ne voit pas à la première lecture et, oui, on en découvre encore à la dixième. En fait, c’est comme aller regarder de nouveau un tableau dans un musée, on ne se lasse pas !

La grande majorité des spectateurs connaissent évidemment déjà au moins les grandes lignes de l’histoire. Mais quelqu’un qui ne connait absolument rien à Monte-Cristo comprend-t-il ce qu’il se passe ?

Oui, on a eu des réactions de gens qui n’avaient jamais lu le livre et ils comprennent bien. En fait, beaucoup de spectateurs ne connaissent pas grand chose de Monte-Cristo : ils savent que c’est une histoire de vengeance, qu’il y a eu un film avec Depardieu, que c’est un livre de Dumas, mais c’est à peu près tout. Quelqu’un qui ne connaisse pas du tout, du tout, je n’en ai jamais rencontré. Peut-être n’y en a-t-il pas. Après tout, les gens qui viennent au théâtre sont souvent des lecteurs.

Pour rédiger une adaptation qui fait 130 pages imprimées, beaucoup plus courte donc que le roman d’origine, il faut faire des choix drastiques… Comment décide-t-on d’exclure Noirtier, Caderousse, Benedetto ?

C’est difficile en effet. En fait j’ai fait plusieurs versions. Et au bout d’un moment, ça n’est plus l’écriture qui décide mais le travail sur scène. J’ai apporté plusieurs versions aux comédiens. On a créé le spectacle en avril 2015 et je leur ai amené une première ébauche six mois avant. Ca commençait avec la visite de l’inspecteur des prisons dans le cachot de Dantès. Je voulais tester quelques idées : être à trois acteurs, le fait de changer de personnages, et qu’il n’y ait rien sur scène. Quand j’ai vu que ça fonctionnait, j’ai travaillé sur une version qui était un texte énorme faisant au moins quatre heures de spectacle. Il y avait tout, tout ! J’aime beaucoup cette version là mais elle est impossible à monter. Les comédiens s’y perdaient, c’était trop compliqué, trop touffu. J’ai donc entrepris de simplifier.

Est-il facile de retirer des personnages ou des scènes du roman sans affecter l’équilibre et la compréhension de l’ensemble ?

C’est un problème que l’on rencontre dans tous les livres de Dumas. J’ai travaillé aussi sur Les trois mousquetaires, et là je commence à m’intéresser à La reine Margot. C’est comme une espèce de toile d’araignée, on a l’impression que tout est lié. Si on enlève un élément, ça se déséquilibre. Beaucoup de choses sont en miroir. Donc, oui, il y a une précision impressionnante dans la construction, malgré les incohérences, parfois, de dates ou de lieux.

Vous avez donc d’autres projets dumasiens ?

Oui, j’essaye de travailler sur La reine Margot. Ca n’est pas facile… Je suis très intéressée par les personnages de Catherine de Médicis et de René le Florentin. C’est un duo très dumasien. Il fait de la reine un personnage très noir, manipulateur. Il en fait l’instigatrice de la Saint-Barthélemy ce qui n’est pas vrai historiquement, mais on s’en fiche ! Sur le plan théâtral et romanesque, ce personnage qui a des visions, qui fait des cauchemars, ce personnage shakespearien qui essaye de sauver sa race, qui est prêt à tuer tout le monde, je le trouve extraordinaire. En revanche, je ne trouve pas l’histoire d’amour très intéressante. Dans le film de Chéreau il met beaucoup l’accent là-dessus mais ça n’est pas ce qui ressort pour moi dans ce livre. Et puis il y a la violence, bien sûr. On attaque quand même le bouquin avec la Saint-Barthélemy, ça met dans l’ambiance… Je ne sais pas encore si je vais réussir à en faire quelque chose. Là, je suis dans la phase où je relis, je prends des notes.

Propos recueillis par Patrick de Jacquelot

 

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