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Steven Brust: « Ecrire à la façon de Dumas, c’est jubilatoire ! »

 

Dans une longue interview accordée à l'occasion de la publication de The Baron of Magister Valley, son roman dérivé du Comte de Monte-Cristo, Steven Brust s'exprime sur son écriture, l'invention d'un auteur imaginaire censé avoir écrit ses différents romans inspirés par Dumas et sur l'influence persistante de ce dernier.
(interview recueillie le 27 novembre 2020)

Voir la version originale en anglais de cette interview – original version in English

Voir également la première interview donnée par lui à pastichesdumas en 2002.

Il y a presque trente ans, vous avez publié The Phoenix Guards, premier volume d’une trilogie inspirée par celle des Mousquetaires, et voilà que beaucoup plus tard, vous publiez un nouveau roman qui s’inspire cette fois du Comte de Monte-Cristo. Pourquoi revenir ainsi à Dumas ?

Photo David Dyer-Bennet

Je ne peux pas m’en empêcher ! C’est tellement jubilatoire ce style, écrire de cette façon. J’aime tellement cela ! Il n’y a pas assez de livres écrits de cette manière, il faut donc que j’écrive les miens si je veux en lire.

Ce qu’il y a d’étrange là-dedans, c’est que je parle du style de Dumas mais je ne parle pas la belle langue française. Tout ce que j’ai, ce sont les traductions en anglais et je ne sais pas dans quelle mesure elles sont fidèles. Dans cette écriture excessivement formelle, qu’est-ce qui vient de Dumas, qu’est-ce qui a été introduit par les traducteurs du XIXème siècle ? Je ne peux pas le savoir. Mais quoi qu’il en soit, j’adore. Il faut donc que j’écrive comme cela de temps en temps.

Pendant toutes ces années, vous n’avez pas envisagé d’apprendre le français ?

Mais si, j’ai essayé ! C’est très embarrassant… D’abord, les Américains sont connus pour refuser d’apprendre une autre langue que la leur. Ensuite, mon père était professeur de langues. En fait, le français était l’une des langues qu’il pratiquait. Et malgré cela, je n’y arrive pas. J’ai essayé l’allemand, le français, le hongrois… Rien à faire, je ne sais pas pourquoi. Il y a quelque chose dans mon cerveau qui ne se connecte pas ! C’est très frustrant.

Le fait est qu’il y a dans le monde pas mal de gens qui aiment tellement les livres de Dumas qu’ils apprennent le français pour pouvoir les lire !

C’est une excellente motivation. Quand j’essayais d’apprendre le français, c’était exactement dans ce but.

Je reprends ma première question : pourquoi avoir attendu près de trente ans pour écrire votre hommage au Comte de Monte-Cristo ?

C’est une question plus difficile. Pendant des années, je me suis dit « bon, je pourrais bien faire un Monte-Cristo ». Et puis un jour, en plein milieu de l’écriture d’un autre livre, c’est devenu « oh ! je sais ce que je peux faire, je vais faire Monte-Cristo ! » J’ai commencé à rassembler les idées et c’était parti. Je me suis dépêché de finir le premier livre pour me mettre à mon projet Monte-Cristo. Du coup, le premier projet a été plutôt bâclé mais ça m’a permis de faire le premier jet de The Baron of Magister Valley.

Et celui-là, vous l’avez fait comme vous vouliez le faire ?

Ah oui, il n’était pas question de faire autrement. L’écrire a été une telle joie ! Je me suis tellement amusé ! Même s’il y a des gens qui détestent, bien sûr.

Ces deux livres, la trilogie des Phoenix Guards et The Baron of Magister Valley, ont deux points communs : ils sont tous les deux inspirés par Dumas et ils sont tous les deux censés avoir été écrits par Paarfi, un écrivain que vous avez imaginé. Avez-vous utilisé celui-ci comme « auteur » supposé d’autres livres ?

Non, dans la toile de fond de mon univers, il a écrit d’autres livres, mais il n’a écrit aucun autre des miens.

Pourquoi, alors, avoir utilisé cet écrivain imaginaire pour en faire l’auteur de vos deux romans dérivés de Dumas ? Faut-il comprendre que Paarfi représente Dumas ?

Peut-être dans une certains mesure. Franchement, Dumas était quelqu’un de beaucoup plus intéressant que Paarfi ! Je ne peux pas vous expliquer vraiment pourquoi je l’ai créé parce que ce n’était pas conscient. Il est juste arrivé. Je me revois en train de commencer à écrire The Phoenix Guards et à un certain moment, le narrateur est devenu un personnage. Et j’ai donc continué dans cette voie. En un sens, le narrateur de n’importe quel roman en est bien sûr un personnage. Mais plus le style a une incidence sur l’histoire, plus le narrateur prend de l’importance en tant que personnage.

Vous dites que Paarfi est « juste arrivé » pendant que vous écriviez The Phoenix Guards. Mais le fait que vous l’ayez utilisé de nouveau trente ans plus tard pour écrire votre deuxième roman tiré de Dumas, ça n’est pas « juste arrivé », c’était une décision délibérée de votre part ?

Ah oui ! Dès l’instant où il était devenu un personnage et était associé à ces romans historiques dans mon univers, il n’y avait plus de question. Je veux dire par là qu’il vivait sa vie comme tous les autres personnages vivent la leur.

Mais vous n’avez jamais pensé à l’utiliser pour un autre roman, qui ne serait pas inspiré par Dumas ?

Non, mais ça pourrait arriver. Je pourrais l’utiliser pour Scaramouche, par exemple.

Il y a donc bien une relation étroite entre Paarfi et Dumas…

Absolument. Cela a quelque chose à voir avec l’histoire personnelle de Dumas, sa vie est fascinante. J’ai eu à écrire une préface pour une édition des Trois mousquetaires publiée par Tor Books, j’ai donc fait des recherches. Quel homme incroyable c’était !

Dans votre esprit, Paarfi est donc un reflet de Dumas lui-même ?

Oui. Il se bat en duel, il polémique avec les critiques, c’est un coureur de jupons, un gourmet… C’est tout à fait un reflet du maître. Je ne cherche pas à dépeindre Dumas de manière réaliste mais à en donner une sorte de représentation déformée, de même que mes romans, The Phoenix Guards et The Baron of Magister Valley, sont une représentation déformée de ses livres.

De fait, Paarfi est aussi un personnage légèrement ridicule, qui a plein d’ennemis, dont beaucoup de gens pensent que son œuvre est nulle, etc.

Je crois que si Paarfi doit être un peu parodique, c’est parce que nous ne vivons plus au XIXème siècle. Si je veux écrire dans le style du XIXème siècle, en retrouvant une voix de cette époque, je dois prévenir le lecteur, lui dire « je sais que je fais quelque chose d’inhabituel, mais je le fais exprès, faites-moi confiance ».

Le style de Paarfi – ou votre style à travers Paarfi -  est de fait très particulier avec des phrases incroyablement longues, des dialogues qui n’en finissent pas… C’est une façon d’évoquer le style d’écriture du XIXème siècle ?

Oui, exactement.

Comment vos lecteurs ont-ils réagi à ce style tellement inhabituel ?

Il y a de tout. Certaines personnes se forcent à lire parce qu’elles aiment l’histoire, d’autres refusent tout simplement et arrêtent de lire. Mais à ma grande stupéfaction, il y en a qui adorent. Une de mes amies a noué une relation avec l’homme qui est maintenant son mari parce qu’ils ont commencé à bavarder en s’envoyant des emails écrits dans le style de Paarfi ! Il y a donc des gens qui trouvent cela aussi jubilatoire que moi. Quand j’ai écrit comme cela la toute première fois, je me souviens de tous les détails, le sous-sol dans lequel je travaillais, le clavier que j’utilisais, j’ai commencé à écrire et je me suis dit « personne ne lira jamais ce charabia, je l’écris pour MOI, parce que j’ai envie de lire quelque chose comme cela et je dois donc l’écrire ». Je suis donc toujours aussi sidéré, et ravi, qu’il y ait des gens pour aimer cela.

Votre trilogie et Magister Valley ont-ils eu du succès ? Plus ou moins que vos autres romans ?

Ils se sont suffisamment bien vendus pour que l’éditeur soit content de continuer à les publier. Ils ont eu moins de succès que mes autres livres, mais pas dans des proportions ridicules. Il y a trois composantes dans ma production. D’abord, la série Vlad Taltos pour laquelle je suis le plus connu, qui a une écriture à la Chandler exactement à l’opposé de celle de Paarfi, très sobre, très précise. Ensuite, il y a les livres de Paarfi. Enfin, il y a tous mes autres projets. Les romans Vlad Taltos me font vivre. Les romans de Paarfi fournissent un bon complément. Quant aux autres ils se vendent à environ quatre exemplaires chacun… Mais j’essaye de ne pas penser à tout cela. J’ai peur que si je m’interroge sur les questions de marketing et sur ce que rapportent les livres, cela affectera mon travail.

En ce qui concerne The Baron of Magister Valley, l’histoire est très clairement inspirée du Comte de Monte-Cristo. Mais il y a une grande différence entre les deux moitiés. La partie concernant l’emprisonnement ressemble beaucoup à celle du château d’If chez Dumas, tandis que la deuxième partie, la vengeance, est très différente…

Elle est beaucoup plus simple. Je n’ai pas la capacité de Dumas à inventer ces incroyables intrigues enchevêtrées.

Elle est plus simple et plus faible aussi, si je peux me permettre…

Je vous crois. On me demande parfois si je prends des personnes véritables pour les mettre dans mes livres. La réponse, c’est que j’ai essayé plusieurs fois. Mais au bout d’un paragraphe, ce n’est plus la personne réelle qui est là, c’est un personnage à part entière. La même chose se passe avec les intrigues. Je peux  dire « je vais écrire une histoire qui reprend Monte-Cristo ». Mais quand le récit est lancé, il choisit sa propre direction. Et si j’essaye de l’obliger à en sortir, ça sonnera faux et les lecteurs s’en rendront compte. Alors, le récit de Magister Valley est parti là où il le voulait. Je reconnais qu’il est beaucoup plus simple que l’original et si vous dites qu’il est plus faible, je vous crois sur parole. Mais c’est ce qu’il voulait être.

Il y a quelque chose que je trouve un peu étonnant. Grâce au Magister, l’équivalent de l’abbé Faria dans Monte-Cristo, votre héros Eremit se voit doté de pouvoirs surhumains, ce qui est très intéressant parce que chez Dumas Edmond Dantès devient implicitement une sorte de surhomme. Eremit reçoit donc ces superpouvoirs mais il ne s’en sert pas vraiment. Pourquoi ?

Voilà une question très intéressante ! Les superpouvoirs qu’il a, me semble-t-il, sont essentiellement une vie beaucoup plus longue et une santé très améliorée. A part cela, il bénéfice moins de superpouvoirs au sens fantastique du terme que de l’effet de l’entraînement que lui a prodigué le Magister. Et c’est le résultat de cet entrainement qui lui permet de faire tout ce qu’il fait dans le livre.

Vos lecteurs sont-ils intéressés par le fait que le livre est inspiré par Monte-Cristo ? Certains vous disent-ils : « maintenant je vais lire Le comte de Monte-Cristo » ?

J’ai rencontré des lecteurs faisant le chemin inverse : des fans de Monte-Cristo qui ont lu mon livre. Mais oui, certains font cela. Chaque fois que quelqu’un lit The Phoenix Guards ou The Baron of Magister Valley et dit « maintenant, je vais lire du Dumas », je ressens cela comme une victoire ! Et je leur donne quelques conseils pour trouver une bonne traduction s’ils ne parlent pas français.

Quand je vous ai interviewé il y a dix-huit ans, vous m’aviez déjà dit cela. Je vous ai ensuite demandé si Dumas était toujours populaire aux Etats-Unis, si on le lisait encore. Vous m’aviez répondu qu’il était surtout connu à travers de très mauvais films…

On le lit toujours et il est toujours aimé. C’est vrai que beaucoup de gens le connaissent à travers les films mais sur mille personnes qui aiment un de ces films, une ou deux liront le livre.

Les lecteurs habituels de fantasy sont-ils intéressés par la lecture de Dumas ?

Oui. Je crois en fait qu’il est davantage apprécié par les lecteurs de science-fiction et de fantasy que par les lecteurs de littérature générale. Dumas a le malheur d’être amusant. Et il y a certains cercles dans la critique littéraire qui n’apprécient pas qu’un écrivain soit amusant. C’est terriblement triste. En revanche, nous n’avons pas ce problème dans le domaine de la science-fiction et de la fantasy, d’où la plus grande popularité dont Dumas y jouit.

De fait, il y a très grand nombre de romans dans ces domaines qui sont directement inspirés par Dumas. Comment l’expliquez vous ?

C’est parce qu’il a fait des choses que personne n’avait faites avant lui, il les a faites de manière superbe et a amorcé une tendance. Un exemple : il est désormais parfaitement accepté et courant de terminer un chapitre sur un temps très fort. Il a été le premier écrivain à faire cela, c’était son truc. Et puis il y a le fait d’écrire une histoire qui est fondamentalement une histoire d’amitié, avec des gens qui ont des personnalités complètement différentes et qui nouent une amitié profonde. C’est irrésistible et il en est devenu le maître, c’est tout le sujet des Trois mousquetaires. Et il en a exploré les conséquences dans Vingt ans après et Le vicomte de Bragelonne. Et puis ce sens de la pure aventure ! Regardez Les trois mousquetaires : vous avez les capes, les rapières, les duels, des conversations excessivement polies avant et après les duels… Toute personne aimant cela doit se tourner vers Dumas parce qu’il a atteint le sommet en la matière.

Propos recueillis par Patrick de Jacquelot

 

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