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Lawrence Ellsworth : « Les personnages iconiques de Dumas imprègnent notre culture »

 

L’Américain Lawrence Ellsworth (pseudonyme en littérature de Lawrence Schick) a une double activité dumasienne. Il a d’une part publié de nouvelles traductions en anglais des Trois mousquetaires et du Sphinx rouge. D’autre part, et surtout, il est l’auteur de The Rose Knight's Crucifixion, livre étonnant construit autour du concept de « roman parallèle » avec une intrigue à la fois complètement distincte de celle des Trois mousquetaires et totalement enchevêtrée à celle-ci. Au point que les deux romans doivent être lus en même temps, en alternant les chapitres. L’auteur s’explique pour pastichesdumas sur la conception de son œuvre. Plus de détails sur son site Internet et sur sa page Facebook.

Voir la version originale en anglais de cette interview – original version in English
(interview recueillie en juin 2018)

 

Pouvez-vous décrire les diverses composantes de votre relation avec Alexandre Dumas ?

Mon père avait lu beaucoup de magazines américains d’aventures populaires dans les années 30 et 40. Dans les années 60, quand j’étais enfant, il en achetait les rééditions en livres de poche et me les passait. C’est comme cela que je suis tombé amoureux des aventures de héros manieurs d’épées, écrites par Edgar Rice Burroughs, Harold Lamb, Robert E. Howard, Rafael Sabatini, etc. J’ai lu Les trois mousquetaires et j’ai beaucoup aimé mais c’est seulement quand je suis devenu un jeune homme fréquentant les librairies d’occasion que j’ai réalisé que le livre avait des suites, de même que bien d’autres romans de Dumas. J’ai aussi adoré les adaptations cinématographiques réalisées par Richard Lester en 1973, 1974, The Three Musketeers et The Four Musketeers, ainsi d’ailleurs que la série de romans Flashman de George MacDonald Fraser, qui avait écrit les scénarios des Mousquetaires pour Lester.

Vers 1990, je dirigeais une équipe concevant et produisant des jeux de rôle théâtraux pour 60 à 100 joueurs, insistant sur les intrigues, les histoires romanesques et l’évolution des personnages. J’ai pensé que la Cour royale française à l’époque du cardinal Richelieu constituerait un bon cadre pour un tel jeu. En faisant des recherches pour ce projet, je suis tombé amoureux de cette époque et de ses personnages. J’ai commencé à explorer l’idée d’écrire des histoires situées dans ce contexte mais bon nombre des meilleures références, comme les mémoires de Richelieu, n’étaient pas disponibles en anglais. Du coup, apprendre le français pour pouvoir les lire m’a semblé une bonne idée. J’ai alors entrepris de traduire Les trois mousquetaires en anglais dans le cadre de mon projet d’apprentissage du français. Lire Dumas dans sa langue d’origine a été une révélation : son écriture était tellement plus vivante et dynamique que ce qui apparaît dans les traductions du XIXème siècle qui sont encore les plus répandues en anglais aujourd’hui ! J’ai alors commencé à réfléchir à l’idée de préparer ma propre traduction moderne de Dumas en anglais.

Comment avez-vous élaboré ce concept de « roman parallèle » conçu pour être lu en alternant les chapitres des Trois mousquetaires et ceux de votre livre ?

Je conçois des scénarios de jeux de rôle depuis presque quarante ans, je suis donc à l’aise avec des histoires dont les fils se recoupent et se mélangent, et j’ai tendance à penser aux histoires sous cet angle. En fait, pour écrire des romans, l’une des choses qu’il m’a fallu faire c’est désapprendre l’écriture de jeux ! En tout cas, durant mon projet d’apprentissage du français, je traduisais Les trois mousquetaires en même temps que je faisais des recherches sur les Rose-Croix et le vicomte de Fontrailles. J’en suis donc arrivé tout naturellement à penser à mélanger les deux.

Connaissez-vous d’autres romans conçus pour être lus en alternant les chapitres avec ceux d’un autre livre ?

En fait, non. Cela a probablement déjà été fait mais je ne peux citer aucun exemple que je connaisse personnellement. D’après les échos que je reçois, la plupart des gens qui lisent The Rose Knight’s Crucifixion le font d’une traite plutôt qu’en alternance avec Les trois mousquetaires. Je suppose que c’est parce qu’une telle lecture alternée de deux livres est quelque chose de trop inhabituel ou bizarre.

Votre titre The three mystic heirs est conçu pour sonner presque comme The three musketeers. Etes-vous parti de cette idée de titre pour construire ensuite un récit autour d’une société secrète mystique, celle des Rose-Croix, pour justifier le titre, ou bien le titre est-il venu après les grandes lignes de l’intrigue ?

C’est l’histoire qui est venue en premier, et le titre dans un deuxième temps, quand je cherchais les moyens de rattacher mon roman à celui de Dumas.

Quelle méthode avez-vous utilisée pour identifier les détails de l’histoire de Dumas dont vous pouviez vous servir pour y imbriquer la vôtre ?

J’ai commencé par tracer les grandes lignes de mon histoire, en mettant l’accent sur les principaux personnages et événements. Ensuite, j’ai superposé ce schéma sur les 67 chapitres des Trois mousquetaires pour voir là où ça collait ou pas. J’ai ensuite ajusté mon scénario pour l’entrelacer autant que possible avec l’histoire de Dumas.

Votre choix d’un bossu comme héros de votre roman est-il une référence à celui de Féval ?

Non. Pendant que je cherchais des personnages historiques susceptibles d’être inclus dans The Three Mystic Heirs, j’ai découvert Louis d’Astarac, vicomte de Fontrailles, qui était effectivement bossu. Plus j’en ai appris sur lui, plus j’ai été convaincu que je devais en faire mon personnage principal.

Pourquoi inclure également un personnage de la série Le Mouron Rouge de la baronne Orczy en plus de tous ceux de Dumas ?

Une fois que vous avez commencé à mélanger les personnages fictifs et historiques que vous aimez, il est difficile de s’arrêter. Quand ma troupe de jeux de rôle a écrit notre jeu King’s Musketeers, nous y avons inclus des personnages d’autres romans de Dumas et aussi d’autres auteurs en plus des personnages historiques. De ce fait, je savais déjà que le « premier Sir Percy » (ancêtre du Mouron Rouge, NDLR) de la baronne Orczy appartenait à la même époque que d’Artagnan et ses amis. Quand mon histoire a eu besoin d’un autre agent anglais travaillant pour le duc de Buckingham, un personnage qui serait sympathique, j’ai pensé directement à lui.

Pourquoi avoir choisi de faire jouer un rôle très important à Aramis dans votre roman, mais pas aux trois autres mousquetaires ?

Parmi les inséparables de Dumas, Aramis est celui qui intrigue, se mêle à des conspirations politiques et est effectivement lié aux amis de Buckingham. Il a donc trouvé sa place tout naturellement dans l’histoire que je racontais. Il aurait fallu que je tire beaucoup sur l’intrigue pour y faire participer davantage d’Artagnan, Athos ou Porthos, et il me semblait que l’histoire était déjà assez emberlificotée comme cela.

Durant la plus grande partie de votre livre, vous utilisez cette technique inhabituelle consistant à entrelacer votre récit avec celui de Dumas. Mais vers la fin, vous revenez au procédé beaucoup plus courant de la transposition, avec Fontrailles qui « séduit » Mikmaq comme Milady avec Felton, le procès de Milady par Fontrailles et ses amis qui reproduit son procès par les mousquetaires, Fontrailles qui échappe à la condamnation par le père Joseph grâce à la lettre de Milady tout comme d’Artagnan avec Richelieu grâce à son blanc-seing. Pourquoi ce changement de technique dans les tout derniers chapitres de votre roman ?

Dans ce qui constitue le point culminant des Trois mousquetaires, Dumas se concentre durant six chapitres sur Milady, son incarcération et sa fuite. Quand je suis arrivé à cette partie du livre, étant donné la façon dont l’histoire de Fontrailles évoluait, il était plus logique de le faire passer par sa propre expérience d’emprisonnement et de fuite que d’essayer de créer une imbrication forcée avec celle de Milady. Arrivé à ce stade du roman, si j’ai fait mon travail correctement, le lecteur devrait d’ailleurs s’intéresser davantage au sort de mes personnages qu’à ceux de Dumas ! Donc, pour que The Rose Knight’s Crucifixion fonctionne bien comme un roman à part entière, l’apogée de l’histoire de Louis se concentre sur lui et l’issue de ses combats.

Vous ne répondez pas vraiment à ma question. Ce que je demande, c’est pourquoi commencez-vous à copier/transposer l’histoire de Dumas dans les derniers chapitres de votre livre alors que vous ne le faisiez pas du tout auparavant ?

Je vais essayer d’être plus clair. Je suis avant tout un raconteur d’histoire, donc ma première préoccupation c’est de raconter une histoire à mon lecteur de manière efficace. Arrivé à ce stade du livre, la structure alternée que j’avais utilisée dans les chapitres précédents n’était pas la meilleure manière de raconter l’apothéose de l’histoire. J’ai donc brièvement abandonné cette structure pour adopter la façon qu’a Dumas de se focaliser sur l’emprisonnement du personnage principal et le défi de son évasion. Il était plus important de raconter l’histoire avec efficacité que de coller coûte que coûte à une structure donnée. Et vous noterez que je suis revenu à cette structure dès qu’elle s’est révélée de nouveau utile.

Estimez-vous que Dumas est encore connu aujourd’hui aux Etats-Unis et qu’on le lit encore ? S’intéresse-t-on toujours à lui ?

Grâce aux adaptations des récits de Dumas sur de multiples médias, ses personnages iconiques – d’Artagnan, les mousquetaires et le comte de Monte-Cristo – imprègnent notre culture et sont identifiables par à peu près tout le monde, même ceux qui n’ont jamais lu une ligne de ses romans. Le vif intérêt et l’accueil favorable suscités par ma traduction du Sphinx rouge, basés sur le fait qu’il s’agissait d’une suite des Trois mousquetaires dont les gens n’avaient jamais entendu parler, démontre la popularité constante des personnages et des histoires des mousquetaires. Cela dit, la plupart des romans de Dumas sont toujours disponibles dans leurs traductions d’origine du XIXème siècle, indéfiniment reproduites, dont la langue démodée semble bizarre au lecteur d’aujourd’hui. Je me suis lancé dans la préparation d’une nouvelle traduction en anglais de la série entière des Mousquetaires de Dumas, avec l’espoir de la rendre plus accessible aux lecteurs contemporains. Je veux que tout le monde puisse en profiter !

Vous avez donc d’autres projets concernant Dumas ?

Mes nouvelles traductions des Trois mousquetaires et du Sphinx rouge sont désormais disponibles aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne aux éditions Pegasus Books. J’ai terminé le manuscrit et les notes d’une nouvelle traduction de Vingt ans après et cela fait maintenant plusieurs mois que je travaille à la traduction du Vicomte de Bragelonne. Celle-ci paraitra en quatre volumes durant les quatre prochaines années.

Propos recueillis par Patrick de Jacquelot

 

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