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Avant-propos de La jeunesse de d'Artagnan

Lucien Pemjean

 

Si les lecteurs d'Alexandre Dumas trouvent, dans le présent ouvrage, des détails non conformes aux données générales des TROIS MOUSQUETAIRES, je leur en exprime à l'avance mes regrets. Mais j'en décline absolument la responsabilité.

Un maître écrivain, d'une renommée universelle, tel celui dont la plume a immortalisé le nom de d'Artagnan, peut, à la rigueur, se permettre avec l'Histoire quelques libertés, même hardies. Le chef d'oeuvre qui en résulte fait excuser, dans une certains mesure, ce qui n'est , à ses yeux, que simple peccadille.

Qu'importent anachronismes, déplacements de décors, altérations de faits, travestissements de personnages, si ces audaces doivent concourir à la beauté d'une oeuvre littéraire appelée à charmer de nombreuses générations!

Car toutes les entorses infligées par l'auteur des TROIS MOUSQUETAIRES à la vérité historique, ne l'ont été, je me plais à le reconnaître, que pour les seuls besoins esthétiques de son sujet.

Mais ce n'est point une raison pour que les écrivains qui, après lui, ont à faire évoluer les mêmes acteurs sur la même scène, adoptent aveuglément sa version fantaisiste.

Pourquoi seraient-ils tenus de faire aussi bon marché que lui des vulgaires contingences de la réalité?

Pourquoi ne leur serait-il pas permis de rétablir, dans sa rigoureuse sincérité, la matérialité des événements, autant, du moins, que la chose est possible lorsqu'on parle d'une époque déjà aussi reculée que le XVIIe siècle?

Au surplus, qu'on ne croie pas que ce soit là un facile et agréable scrupule!

La fiction due à la prodigieuse mais subversive imagination d'Alexandre Dumas est si passionnante; elle est si magistralement bâtie et se tient si harmonieusement dans toutes ses parties, qu'on a l'impression de commettre une profanation en y touchant.

D'autre part, ne risque-t-on pas de s'exposer au ressentiment des admirateurs du grand romancier? Ne va-t-on pas passer pour un iconoclaste, pour un briseur d'idole, ou, pis encore, pour un pédant?

Perspectives redoutables, et devant lesquelles hésiteraient les plus vaillants!

Pourtant, il me faut bien les affronter. Et je le fais avec d'autant plus de sérénité qu'il ne s'agit point ici, on voudra bien m'en croire, de dénigrement systématique, mais de prudente précaution, j'allais dire de légitime défense.

Voyons, puis-je accepter de passer, auprès des lecteurs de ce livre, pour un falsificateur, pour un vandale, parce qu'il a plu à un illustre devancier de cribler de détériorations, de dégradations, le majestueux édifice du passé?

Non, n'est-ce pas? Cuique suum. A chacun son dû.

J'oserai donc dire qu'en faisant débarquer pour la première fois à Paris, en 1640, mon jeune héros Charles de Baatz, seigneur d'Artagnan, alors qu'Alexandre Dumas l'y fait débuter quinze ans plut tôt, en 1625, je me borne à redresser un point d'histoire fixé par les chroniques du temps.

En ne le faisant entrer dans la Compagnie des Mousquetaires qu'en 1658, lors de la reconstitution par Mazarin de ce corps d'élite licencié en 1646, alors que notre grand romancier populaire l'y fait nommer capitaine par Richelieu dès 1628, je ne fais que m'incliner, avec une pieuse déférence, devant l'auguste paternité d'Hérodote et la gracieuse divinité de Clio.

Il en serait de même si je restituais au lâche agresseur de d'Artagnan, arbitrairement mué en comte de Rochefort, son véritable nom de Rosnay, et si je replaçais dans sa vraie peau la fameuse Milady, qui était authentiquement fille d'un pair d'Angleterre et compagne d'exil de la reine Henriette réfugiée en France en 1641, et non une aventurière française punie de mort treize ans avant cette date, au lendemain du siège de la Rochelle, par Athos, dont elle aurait été la femme coupable et dénaturée.

S'il a convenu à l'admirable auteur des TROIS MOUSQUETAIRES de faire d'Athos, de Porthos et d'Aramis trois personnages d'origine différente, alors qu'ils étaient trois fils de la même famille, trois frères, compatriotes et protégés du béarnais comte de Tréville; s'il a jugé utile de faire transpercer Jussac par l'épée de d'Artagnan, quand ce fut Bernajoux qui la reçut au travers du corps, et d'attribuer au vaniteux Porthos, aux lieu et place du rusé Besmaux, la comique aventure du baudrier d'or, pourquoi serais-je astreint à lui emboîter le pas dans ce dédale de défigurations et de quiproquos qui lui étaient peut-être indispensables pour la charpente de son roman, mais qui ne me sont, à moi, nullement nécessaires?

Et même, si je le faisais, n'y aurait-il pas là, de ma part, une sorte d'imitation illicite, de pillage littéraire, de plagiat? Car, enfin, ces transformations sont son oeuvre, son bien, et il serait peu délicat, de ma part, de me les approprier.

Pour mettre les choses au point, c'est à dire pour rendre impartialement justice à Alexandre Dumas et m'excuser, en même temps, de me trouver parfois en désaccord avec lui, je hasarderai l'explication suivante:

La faiblesse sentimentale attribuée à Anne d'Autriche, reine de France, pour l'étincelant ambassadeur d'Angleterre, le duc de Buckingham, avait inspiré à notre auteur une merveilleuse et formidable intrigue romanesque dont l'héroïque d'Artagnan était le pivot rêvé.

Seulement, comme ce dernier n'était encore qu'un tout jeune enfant lorsque Buckingham, alors premier ministre de Charles 1er, fut assassiné, Dumas s'est vu dans l'obligation de recourir à d'effarants procédés d'escamotage et de prestidigitation.

Ne pouvant décemment placer le siège de la Rochelle et la mort de Buckingham à l'époque où d'Artagnan faisait ses premières armes, c'est à dire en 1640-1643, il a tout simplement placé les premières armes de d'Artagnan à l'époque des deux premiers événements, c'est à dire en 1625-1628.

Puis il a pris, dans la vie du célèbre Mousquetaire, les faits et les gens qui lui semblaient devoir le mieux illustrer son récit et, d'autorité, dédaignant les exactitudes, les dates et même les vraisemblances, il les a fait entrer, plus ou moins retouchés ou camouflés, dans le cadre chronologique dû à son arbitraire fantaisie.

Il ne s'en est d'ailleurs jamais caché, puisqu'il avait coutume de répondre à ceux qui lui reprochaient de violer l'Histoire:

- C'est vrai, il m'arrive de la violer, mais ce n'est jamais sans lui faire d'enfants.

Ces enfants étaient parfois des monstres.

Mais quels beaux monstres!

Lucien Pemjean

Voir La jeunesse de d'Artagnan et Le capitaine d'Artagnan

 

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