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Templemar

par Christiane Blanc

 

Chapitre 12

Mon frère !

 

C’est dans un hoquet que Charlotte reprit ses esprits. Une odeur piquante flottait autour de sa tête, lui provoquant une migraine douloureuse jusque sous les tempes. Elle se releva sur un coude. Que s’était-il passé ?

Dans un premier fragment de souvenirs, elle se revit, baguenaudant au fil des ruelles. Le marché de Lille ! Ah oui ! L’étal de cette mercière… et la diseuse de bonne aventure ! Que lui avait-elle dit, déjà ? Quelque chose comme – vous allez rencontrer l’amour mademoiselle ! Soyez heureuse aussi longtemps que vous le pourrez…. - Oui c’était cela !

Charlotte revécut un bref instant la joie pétillante provoquée par une telle révélation : l’amour ! L’amour….

Puis ce fut à nouveau le trou noir. Un moment impossible à mesurer. Elle s’était rallongée, vaincue par un sommeil nauséeux. Ensuite, ce fut cette étincelle de souvenir, jailli du plus profond de son esprit qui lui fit cogner le cœur dans une secousse de panique. Les deux hommes ! Celui qui lui avait saisit les épaules par l’arrière et l’autre ! Celui qui lui avait appliqué un chiffon sur le nez ! Elle avait juste eu la présence d’esprit de fixer son visage, de le voir cracher un jet de salive noirâtre. Ensuite, elle s’était sentie traînée vers une voiture, paralysée, avant de tomber dans ce sommeil abrutissant dont elle émergeait à grand peine.

- J’ai été enlevée ! s’exclama-t-elle la peur au ventre. Par qui ? Où suis-je ?

Ce ne fut pas une mince affaire de quitter la couche sur laquelle on l’avait déposée. Elle vacillait. Au point qu’elle se rattrapa de justesse à un des montants du lit.

- Quelle nausée que diable ! Quelle horrible odeur… cet endroit manque d’air… c’est…. Où suis-je ?

Charlotte mit une main devant sa bouche, le dégoût au bord des lèvres. L’endroit était sombre, humide, sans aucune fenêtre. Une cave ! Une torche fichée dans un des murs éclairait à peine une pièce globalement carrée, meublée de vieilleries sans charme. Charlotte s’approcha de la porte. Y plaqua son oreille.

- Enlevée ? Comme dans un de ces romans où de belles jeunes filles se retrouvaient séquestrées et séduites par quelque noble seigneur fortuné ? Non… hélas…. Non…. Sinon je serais dans quelque chambre de château au milieu de meubles élégants….

Elle suivit du bout des doigts les contours de la serrure, puis ceux de la porte.

- La prison ? Non le prêtre Georges a avoué seul son forfait. Non. Mais alors qui est-ce ?

Elle fut forcée d’admettre que son histoire prenait un tour très inquiétant. Pas un mot, pas un bouquet, pas la moindre courtoisie. Vraiment rien qui puisse indiquer une quelconque intention amoureuse. Au contraire ! Le lit s’avérait à peine confortable, muni d’une seule couverture. La lumière était chiche. Une chaise bancale semblait soutenir une table branlante. Un pichet d’eau, un gobelet et un morceau de pain étaient regroupés au centre du plateau. Un tabouret complétait le décor.

- Une erreur ! Ce n’est peut-être que cela ! J’ai été prise pour une autre !

Charlotte y crut… quelques secondes furtives…. De celles qui soulagent un cœur battant de peur et un ventre tordu d’angoisse. - Rien n’est moins sûr pourtant – finit-elle par convenir. Et combien de temps allait-elle rester sans réponse ?

- Je ne me laisserai pas briser sans me battre ! Peut-être traîne-t-il ici quelque objet, quelque outil, permettant de forcer la serrure !

Charlotte s’affermit sur ses jambes, saisit la torche, et lentement autant par le manque de forces que par nécessité d’être attentive, elle examina soigneusement les quelques meubles, ouvrit le tiroir, explora le dessous du lit, inspecta la paillasse. Rien ! Le tour méticuleux de la pièce ne lui apporta pas davantage de solution. Elle ne put que constater avec angoisse l’absence de fenêtre, la solidité de la porte.

Pour la dixième fois, elle tâtait fébrilement la serrure quand elle entendit le bruit d’un pas lourd qui s’arrêta devant la porte. Elle recula, la torche dans une main, agrippant la table de l’autre pour se maintenir debout.

- Allons ! Que diable ! se dit-elle crânement en relevant le menton, … gageons en premier qu’il s’agisse d’une erreur…

Aucun grincement ne souligna l’ouverture du battant. Dans l’encadre-ment du chambranle, un homme de forte corpulence se posta, droit, dans la lueur d’un flambeau.

- Suis-je bien en présence de Mademoiselle de Backson ? articula-t-il après avoir avancé de quelques pas dans la pièce.

- Que… que voulez-vous dire.. ?

- Vous ignorez votre nom ? susurra-t-il, un sourire narquois aux lèvres. Non…. Vous ne cherchez qu’à induire un doute… déjà perfide n’est-ce pas….

- Je… Monsieur, je vous assure… je ne comprends pas…. ! dit-elle en inspirant la fraîcheur qui venait de la porte.

- Mademoiselle de Backson, car c’est bien vous n’est-ce pas….

- Je ne le nie pas monsieur ! mais allez-vous m’expliquer la raison de ma présence ici… la violence qui m’est faite…

Pour toute réponse, l’homme éclata de rire, d’un rire sordide qui lui glaça le dos.

- Monsieur… articula Charlotte, dont l’esprit se ressaisissait par la fraîcheur qui venait du couloir, qu’ai-je donc à faire avec vous ?

- Aucun événement récent ne vous mets sur la moindre piste mademoiselle…. Vraiment ? continua-t-il faussement suave. Ah ! Je vais vous mettre sur la voix…. Un prêtre nommé Georges.

- Je… je le connais effectivement…. fit-elle en avalant sa salive, mais qu’ai-je à faire dans cette histoire ?

- Rien de moins que de rendre des comptes à…. son frère !

- Son frère ! !

- Oui mademoiselle, l’homme que vous connaissez sous le nom de Georges est mon frère.

- Votre frère ? ! ! !

- Oui mademoiselle, un prêtre….

Il marqua une pause assez longue avant de lâcher :

- Un prêtre…. frère d’un bourreau mademoiselle ! Car je suis bourreau….

L’air effaré de la jeune fille l’amusa méchamment. Content de l’effet produit, il poursuivit de sa même voix suave :

- Bourreau ! ….Vous n’étiez pas là pour le voir, il me semble…. Mais…. de part mon état j’ai été contraint de flétrir mon propre frère…. Car vous êtes très au fait de son malheur n’est-ce pas ?

Charlotte n’avait pas répondu. Elle sentit ses lèvres se décolorer sous l’angoisse. L’homme se moquait d’elle ! C’était certain ! Cette voix doucereuse cachait la méchanceté du personnage...

- Je vous ai suivi mademoiselle. Je ne vous ai pas quitté des yeux pendant le procès, et ce n’est pas votre capuche rabattue sur le front qui m’aurait fait vous perdre de vue. J’ai même admiré votre courage ! persifla-t-il. Vous savez… celui qui consiste à se taire au lieu de sauver un innocent….

- Mais que me reprochez-vous, mon dieu, qu’ai-je donc fait ? ! !

Elle s’était avancée d’un pas, soudain bien décidée à faire cesser ce jeu stupide. Toutefois, elle ne put entamer sa défense. Le sourire cruel de l’homme s’étira de nouveau.

- Vous dites encore qu’ai-je fait ? répondit-il d’une voix faussement douce, feignant la naïveté. Mademoiselle ! ….Allons…. ! Qu’avez-vous oublié de faire est la plus juste des questions ?

- Mais de quoi donc parlez-vous ? Il y a sûrement méprise !

- Vous êtes-vous dénoncée pour avouer votre complicité ? poursuivit-il, la voix à présent de plus en plus grave. Etes-vous allée voir les juges pour partager sa peine ? Avez-vous témoigné pour son innocence ? Et enfin vous repentez-vous seulement d’avoir séduit un prêtre !

- C’est faux ! affirma-t-elle cette fois en criant, tout est faux ! Je n’ai jamais été sa complice ! Votre frère a pris lui-même ces vases et est allé les vendre. D’ailleurs n’a-t-il pas avoué ? N’a-t-il pas affirmé de lui-même avoir agi seul ?

Le bourreau s’avança vers Charlotte et s’empara de sa torche. Il se trouva ainsi encombré des deux candélabres dont il se débarrassa rapidement en les fichant dans le mur.

- Vous voulez dire sans doute que subjugué par votre charme, il n’a pas voulu vous dénoncer ! La vérité n’est que là. Vous avez séduit mon frère et l’avez poussé au vol. Et lui, innocent, naïf et amoureux, n’a pas voulu que l’on vous accuse….

- Vous dites «amoureux » ! Nullement ! Le prêtre Georges n’est pour moi qu’un père tout comme il me considère comme sa fille ! Il n’a fait que son devoir en avouant son forfait, dont j’ignorais l’existence… Il a seulement voulu me protéger…

- En vous permettant de séduire le fils du geôlier pour vous enfuir !

- Votre frère m’a confiée à son ami d’enfance en affirmant mon innocence. Comment aurais-je pu refuser l’hospitalité de cette famille ?

Cette fois, l’homme éclata de rire. Puis il poursuivit d’une voix fielleuse :

- Innocente ? ? A quelles simagrées ne l’avez-vous pas soumis ? ? !

- Vous vous méprenez ! Je suis innocente !

- Bien sûr, vous êtes innocente des sentiments que votre beauté inspire ! Cependant ravie de vous en servir…. Car vous n’êtes pas innocente d’utiliser vos atouts pour séduire un prêtre naïf ! Mademoiselle… vous avez persuadé mon frère de s’accuser seul. Vous l’avez convaincu de commettre ce vol….

- La justice elle-même ne m’aurait-elle pas poursuivie si j’étais coupable ? ….argumenta Charlotte.

- La justice vous aurait innocentée si vous étiez innocente !

- Je vous conjure de me croire. Je n’ai rien à voir dans ce malheur ! Votre frère ne vous l’aurait-il pas certifié lui-même ?

- Mon frère est aveuglé ! Mademoiselle, vous avez la chance croyez-moi de ne pas être accusée par la justice, car j’aurais rapidement obtenu de vous les aveux que vous refusez…

Il retraversa la pièce pour se camper devant Charlotte.

- Comme ceci peut-être ? dit-il en lui saisissant brutalement un poignet pour lui plaquer le bras derrière le dos. Comme ceci Mademoiselle ?

D’une torsion de l’épaule, il l’a fit tomber à genoux.

- Vous avez séduit mon frère n’est-ce pas ?

- Arrêtez ! N’avez-vous pas entendu mes cris Monsieur ! hurla-t-elle paniquée, vous me faites mal… vous me torturez !

- Que voilà de grands mots pour une si petite douleur ! continua-t-il en tordant davantage son bras. Allons mademoiselle, avouez…

Pour toute réponse, il n’obtint qu’un cri de douleur. Charlotte criait, terrifiée.

- Je peux amener quelques instruments qui ont fait parlé de plus récalcitrants ! Avouez mademoiselle, avant que je pousse la question plus loin…

La dernière pression qu’il imprima à son épaule laissa Charlotte le souffle court. Elle dut même se plier en deux sous la poussée d’un violent hoquet.

- Je…. J’avais … Il m’a semblé… ! bafouilla-t-elle soudain tétanisée à l’idée qu’il pouvait lui faire pire.

- Avouez que vous l’avez séduit ! …. Et je relâche mon étreinte….

Pour imprimer la douleur à son bras, le bourreau avait mit un genou à terre et se tenait à côté d’elle, à hauteur de sa tête. Tellement près qu’elle perçut son haleine mêlée de relents de cuisine. Surtout elle eut l’intuition d’un regard avide et sale. Elle frissonna d’horreur.

- Je… j’ai cru voir quelques expressions de visage… dont je ne me suis pas défendue… et … prise par mon malheur… je… j’ai…. peut-être abusé de…

- Vous avez abusé de sa naïveté ! chuinta le bourreau près de son oreille. Dois-je encore appuyer ?…

- Arrêtez ! La douleur est telle ! Pitié… oui, je … j’ai abusé de lui ! Je regrette…. Pardon.

- Je le savais ! dit-il en la relâchant. Vous pouvez vous relever.

Il attendit qu’elle fut remise sur ses pieds, et tandis qu’elle frottait son épaule endolorie avec une grimace de douleur, il commença d’une voie emphatique :

- Mademoiselle, votre beauté n’a d’égale que votre perfidie. Malheur aux hommes qui vont croiser votre route ! Afin que nul n’oublie qui vous êtes et ce que vous avez fait, je vais rendre justice moi-même.

Il se redressa de toute sa taille. Et tout en levant le bras comme un glaive, parodiant le ton d’un juge, il poursuivit gravement.

- Mademoiselle Charlotte de Backson, je vous condamne à subir le même déshonneur que celui de mon frère. Demain à l’aube, je vous flétrirai comme j’ai flétri mon frère, car vous êtes l’instigatrice de son malheur.

A l’énoncé du verdict, Charlotte avait hurlé de terreur.

- Je vous dénoncerai ! cria-t-elle dans un sursaut d’espoir. Ma famille…. - Votre famille ! fit-il avec un geste de dédain. Qui voudrait d’une jeune fille flétrie ? Coupable de s’enfuir de son couvent avec un prêtre ? On ne vous appellera plus que Mademoiselle Backson, si l’on vous dit mademoiselle d’ailleurs !

- Mais votre frère lui-même refuse que je sois accusée…

- J’ai déjà répondu à cela ! Savez-vous que je lui ai proposé de mourir en lui tendant une arme ?

- Mourir ! Le prêtre Georges ! Mais jamais je n’aurais supposé…. Et s’il avait consenti ?

- Je vous aurai tuée mademoiselle ! ajouta l’homme en ponctuant chaque mot. Estimez-vous heureuse de cette seule flétrissure et priez ! Priez pour que son évasion réussisse. Car s’il part aux galères, je vous fais enchaîner également.

- Ah ! Mon dieu Monsieur ! s’écria-t-elle en tombant à genoux. Je vous supplie !

L’homme, de toute évidence, savourait la terreur de la jeune fille. Il la laissa s’approcher en rampant. Dans son désespoir, elle le saisit par les genoux et supplia, prise de sanglots convulsifs. Il ne bougea pas, inflexible, le sourire figé dans un rictus de mépris.

Enfin ! Il n’avait pas réussi à convaincre Georges de la dénoncer. Lui, seul, était parvenu aux aveux…. Il pouvait faire justice !…. Qu’est-ce que Georges avait dit ? Ah ! Oui…. Qu’un serpent d’orgueil était lové sous son cœur… Quelque chose comme ça… Mon pauvre frère… Non ce n’était pas de l’orgueil…

Lorsqu’il arracha brusquement ses jambes des bras de Charlotte, aucun doute ne l’effleura. Après avoir refermé la porte, il laissa la jeune fille dans la demi obscurité d’une torche, insensible à ses supplications.

Lire la suite: Chapitre 13 - Séquestrée

 


 

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