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Templemar

par Christiane Blanc

 

Chapitre 14

Fleur de sang

 

Combat entre ténèbres et lumière, nuages balafrés de pourpre, lueurs mauves d’un reste de nuit : l’aurore tardait.

Brusquement, un coq chanta.

Charlotte s’était endormie à genoux, recroquevillée dans un coin de la cave. L’épuisement avait eu raison de ses membres. Retenus par les coudes, les bras de la jeune fille étaient restés pendus un long moment entre les barreaux de la chaise. Puis, au cours de la nuit, son corps perclus de crampes avait eu enfin raison de sa volonté. Il s’allongea sur le sol, gardant encore un bras entrelacé sur une traverse de bois.

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…. Ce devait être un grincement métallique… De très loin…. Elle l’entendit suinter dans le silence avant même qu’il se rapproche. . – le monstre arrivait … Elle devait se lever, vite ! Préparer ses forces pour projeter la chaise !

De si petites forces…

En séchant ses larmes, ses mains avaient collé sur son visage, de longues balafres de poussière, rajoutant une ombre grise sur les cernes bleuis de ses paupières. Charlotte tordue de peur, prit une grande inspiration.

Lorsque la porte s’ouvrit brutalement, elle tremblait, les mains crispées sur son dérisoire bouclier. Le monstre n’était pas seul. Il s’était fait accompagner de deux acolytes. Chacun portait une torche.

Elle n’avait pas prévu cela : trois hommes ! … Dont elle voyait distinctement les visages dans la lueur des flambeaux. Des visages patibulaires flanqués de cheveux poisseux.

L’un d’eux véhiculait une seille remplie d’eau. Le bourreau et l’autre homme se partageaient la charge d’une petite nacelle de fer, montée sur pieds, d’où s’échappait une vapeur brûlante qui les contraignait à s’écarter des poignées.

Dans un éclair de terreur, Charlotte vit les braises, rougeâtres de chaleur, suintantes de cette fumée humide qui s’échappe lors de la combustion. Quant au tisonnier…. C’était le fer à flétrir… !

La présence du sinistre trio acheva de lui ôter tout espoir. Elle hurla.

- Posez cela ici et amenez le tabouret ! ordonna le bourreau à l’homme qui portait le baquet d’eau.

Puis sans plus de façon, il fit signe à son aide et ils déposèrent à leur tour le brasero.

- Finissons au plus vite !

Charlotte se tenait debout, appuyée ou plutôt soutenue par l’angle des murs. Elle maintenait la chaise devant son corps, les mains crispées de chaque côté de l’assise, les pieds pointés devant elle. Les aides du bourreau s’avancèrent.

- Messieurs je vous en supplie, ayez pitié, je n’ai que quatorze ans !

Contre toute attente, ils s’arrêtèrent au milieu de la cave. Ou plutôt l’un d’eux. L’autre se contentant d’imiter son comparse. L’homme regardait le bourreau avec une expression d’hésitation mêlée semble-t-il d’un espoir de pitié.

- Un si beau brin de garce ! murmura-t-il en le fixant dans les yeux.

- Messieurs ! Au secours ! enchaîna Charlotte, éperdue d’espoir par cet instant de flottement. Ne voyez-vous pas l’absence de la justice ! Vous n’êtes que l’instrument d’une vengeance ignominieuse ! Messieurs, je vous supplie, je n’ai que quatorze ans… et je suis innocente ! Aidez-moi plutôt !

- Préparez-la !

L’ordre claqua, brutal et froid. Sans plus de commentaire, les deux hommes reprirent leur marche. Rapidement, malgré l’énergie qu’elle mit à propulser la chaise pour tenter de les assommer, elle fut dépossédée de cet insignifiant rempart. L’un des hommes, celui qui crachait par terre, en avait saisi les pieds et la jeta au loin. L’autre attrapa Charlotte par les épaules, lui agrippa les bras et les coinça derrière son dos.

Puis le premier, après avoir jeté la chaise, se posta devant elle sans vergogne. C’est en vain qu’elle tenta de réveiller la conscience de l’individu en cherchant son regard. Il avait baissé les yeux sur les rondeurs de sa poitrine et avait promptement attaqué l’ouverture de son corsage tandis que son comparse comprimait les bras de la jeune fille. Déjà le col était ouvert par des doigts rêches et douteux. La suite fut rapide. L’homme ouvrit le vêtement, avec un sourire vicelard, dégagea aux trois quarts sa poitrine, s’enhardissant au passage, à pétrir ses seins presque nus. Puis emporté par une frénésie irraisonnée, il dénuda rapidement ses épaules. Ensuite il rabattit son corsage jusqu’au milieu de son dos.

C’est alors qu’elle se vit, seule au milieu de trois hommes, sans défense, sans espoir de fuite, écoeurée par leurs remugles de sueur et de rance, tandis qu’un pouce épais palpait les rondeurs de ses seins.

- Pitié ! lâchez-moi par pitié ! hurla-t-elle en se débattant, prise de surcroît par la peur d’être violée.

Elle en serait tombée sur le sol si les deux hommes ne l’avaient pas soutenue. Et ce n’est que par une incroyable énergie qu’elle réussit à se maintenir à nouveau sur ses jambes, hoquetant son innocence, le dos trempé de sueur.

- C’est assez ! intima le bourreau. Amenez-la devant le tabouret !

Insensibles à ses appels, ils la traînèrent non sans peine, jusqu’à l’endroit désigné.

Car malgré leur force, elle se débattait comme un diable, presque torse nu dans l’effort, les cheveux défaits, répandus dans son dos. Avec l’énergie du désespoir, elle trouva la force de donner un coup de pied dans la cheville de l’un d’eux qui en poussa un cri de douleur : sans lâcher sa prise. Alors s’appuyant de tout son poids sur leurs bras, elle lança ses jambes en avant.

- Lâchez-moi ! Au secours ! cria-t-elle en renversant le tabouret. Le brasero ensuite ? espéra-t-elle. Si seulement elle pouvait répandre les braises au sol…, la seille aussi…. Eteindre les braises avec l’eau du baquet… !

Le bourreau avait remit l’objet sur ses pieds.

- Mademoiselle, je pourrais être plus sévère ! dit-il d’un ton neutre, en la voyant préparer un autre coup de pied. Savez-vous comment j’obtiens l’obéissance de mes suspects ?

Elle fit non de la tête, la bouche sèche.

- Je les déshabille entièrement…. Ce n’est pas ce que vous voulez n’est-ce pas ?

La mâchoire pétrifiée par la menace, elle avala sa salive dans un hoquet d’horreur, réitéra de la tête son geste de dénégation.

- Alors laissez-vous faire… d’ailleurs ce sera moins douloureux….

Charlotte se laissa mettre à genoux.

- Monsieur ayez pitié ! supplia-t-elle sans plus de fierté pour retenir ses larmes. Je vous promets de soigner votre frère…. de rester près de lui… Ayez pitié, je n’ai que quatorze ans…

C’est alors qu’une aide brève mais inattendue, raviva encore une lueur d’espoir. L’homme qui avait déjà tenté de la défendre, osa à nouveau fléchir le bourreau.

- Elle n’a que quatorze ans… murmura-t-il.

- C’est assez !

Le ton de la réplique gifla ce dernier instant d’espoir, entraînant les deux hommes à poursuivre leur abjecte besogne. Ils plaquèrent le buste de la jeune fille sur le dessus du tabouret. Charles Sanson pour sa part, regroupa sa chevelure sur un côté de son cou.

Sa mission commençait.

Sourd, muet, aveugle à cette jeunesse qu’il s’apprêtait à briser, Charles Sanson, bourreau de Lille, se dirigea d’un pas égal vers le brasero, saisit le fer brûlant et le trempa dans le baquet.

Il daigna à peine un regard sur Charlotte. Au contraire, le menton légèrement levé, il projeta un regard froid sur le mur. Quand il baissa les yeux sur la jeune fille en larmes, un rictus de haine et de mépris lui étirait les lèvres.

- Maman !

Nul ne s’attendait à cet appel jailli du fond de l’être. Charlotte l’avait hurlé. Peut-être s’il avait jailli plus tôt, aurait-il pu ébranler pour de bon le cœur de ces trois hommes… De deux ? Seulement d’un seul ? Qui aurait put porter ce secours tant espéré... Mais elle n’avait crié qu’à la dernière seconde, juste avant que le fer ne touche la peau. Dans un dernier soubresaut vers l’avant, elle avait réussi à décaler son buste. Cet appel déchirant fut son dernier mot. Puis elle s’évanouit.

La brûlure avait été rapide mais intense. Le bourreau venait d’imprimer sur ce corps si jeune la marque infamante des voleurs.

Les courbes rougeâtres d’une fleur de lys cloquèrent l’épaule de la jeune fille. Une fleur petite, un peu basse, gravée sur une peau tendre encore parfumée d’enfance. Un emblème de noblesse ou de honte : une fleur de sang.

Etendue sur le sol, Charlotte ne bougeait plus. Son hurlement avait ébranlé pour de bon l’homme qui avait tenté en vain de plaider sa cause. Il précipita le contenu du pichet sur son épaule et s’apprêtait à le remplir à nouveau.

- Mettez-lui l’onguent et sortez !

S’il avait bien fait ? Charles Sanson, bourreau de Lille n’en doutait pas. Il avait même été magnanime... N’avait-il pas choisi le plus petit des fers ? Celui qu’on utilise pour flétrir les visages… Dans un geste de pitié ! Pour sûr… ! Non il n’avait pas un serpent d’orgueil sous le cœur comme Georges le lui avait dit.

D’ailleurs, il se sentait apaisé. Il avait rendu justice. Quant à faire lier la jeune fille dans une chaîne, s’il avait eu l’idée de le prétendre, c’était dans un accès de colère. Elle avait dû avoir peur, c’était suffisant. Il la libérerait quoiqu’il arrive. - Non, il n’était pas un monstre ! Il savait pardonner !

Lire la suite: Chapitre 15 - Les toits de Lille

 


 

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