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Templemar

par Christiane Blanc

 

Chapitre 21

Confidences

 

« Claudette, très chère Claudette, si vous saviez…»

Anne-Charlotte ratura ce qu’elle venait d’écrire, posa sa plume, et laissa tomber sa tête dans ses mains...

Claudette lui manquait. Cette amie de toujours à qui elle avait confié tant de choses… qui devait être à cette heure dans les affres d’un mariage proche. Et qui, elle n’en doutait pas, devait se demander chaque seconde ce que son amie était devenue…. Au moins la rassurer… juste une petite missive … pour dire, «Oh ! Très chère… tout va pour le mieux…. ! »

Pour le mieux ! Parce qu’il fallait dissimuler… Si quelqu’un lisait…. Un mari indélicat qui ouvrait le courrier ? Que pouvait-elle écrire qui ne soit horriblement compromettant ? Parler de ce terrible malheur sans le nommer ?

- Comme vous me manquez Claudette… ! murmura-t-elle. J’aimerais tant vous mettre au fait de mon malheur, m’épancher dans vos bras, joues contre joues. Vous seule pourriez effacer mes larmes… et...

Elle froissa la lettre. Puis elle se dirigea vers sa malle, déplaça quelques affaires, et se saisit d’un fascicule relié d’un carton bleu. C’était un de ses petits cahiers de jeune fille, conçu pour recueillir quelques pensées intimes propres à cet âge. Censé être secret, elle le rangeait toujours avec des ruses d’enfant, entre les plis de chemises ou jupons.

A son toucher, une mélancolie soudaine lui avait coupé les jambes. Le visage d’une pâleur de chiffon, elle se laissa choir sur son lit puis ouvrit le cahier au hasard. Depuis quand ne l’avait-elle pas feuilleté, relu ? Elle fixa son attention sur les courbes de l’encre. Tout du moins, elle le crut. Au bout d’un temps incalculable, elle comprit qu’elle ne lisait pas les pages sur lesquelles elle posait les yeux, mais qu’elle avait figé son regard sur le papier, subjuguée de souvenirs, paralysée de tristesse. L’objet semblait venir de l’au-delà : l’écriture racontait un autre monde, fait de joie et d’insouciance... La jeune fille sentait dans son esprit un fossé terrible qui fracturait son enfance et la jetait, elle, sur la rive inconnue de la maturité. Elle n’avait pourtant pas vieilli d’un coup, en si peu de temps...

Anne-Charlotte se fit violence pour regagner sa table. Elle trempa à nouveau sa plume dans l’encrier mais resta la main suspendue au-dessus du papier, incapable encore de penser le moindre mot. Puis elle se remit à écrire.

« Ces terribles événements m’avaient fait t’oublier, toi confident de toujours, muet témoin de mes souffrances et de mes joies.

Gardien secret de toutes mes peines, je te dirai, à toi seul, ô mon Livre de Raison, tout le cours de ma vie, mes pensées, mes tristesses. Liras-tu en filigrane mon terrible secret ?

Quelques secondes horribles m’ont meurtrie à jamais. Juste au sortir de mon enfance, telle une éphémère libellule, je me suis trouvée prise dans la toile d’un malheur qui me laisse si pâle.

Demoiselle d’un jour, la liberté m’a coûté ce qu’aucun prix ne pourrait couvrir. L’épreuve m’a laissé un voile gris sur le cœur.

Vie perfide qui me force de surcroît à contempler la pauvreté dans laquelle mon malheur me jette si bas... Vie perfide qui oblige à ne point porter envie tout en ménageant la tentation... cruauté... quand lâcheras-tu ton étreinte ? ...

Un craquement dans l’escalier lui fit relever la tête. Le prêtre ! Georges était là. Sa voie grave s’éleva derrière la porte tandis qu’il l’appelait pour souper, presque fâché, en même temps, d’une si longue absence. Elle se força à se lever, rajusta sa tenue et ravala au fond de sa conscience la terrible question qui commençait à se faire jour : qu’allait-elle devenir ?

Lire la suite: Chapitre 22 - Campagne tranquille

 


 

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