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Les filles de Monte-Cristo

Charles Testut

508 pages
Semaine Littéraire de la Nouvelle-Orléans - 1876 - États-Unis
Roman

Intérêt: *

 

 

Voilà un ouvrage étonnant à plus d’un titre. Qu’il s’agisse de sa rareté, de son origine ou de son contenu, on ne voit guère d’équivalent…

Sa rareté: parler de rareté est en l’occurrence un euphémisme. Il semble bien, en effet, qu’un seul exemplaire du livre soit connu: celui conservé à la Bibliothèque Municipale de New York. Même la Bibliothèque du Congrès américain n’en possède pas d’exemplaire.

Son origine: ce roman a été publié – en français bien sûr – en Louisiane, en 1876, dans la Semaine littéraire de la Nouvelle-Orléans. Homme-orchestre de l’opération: le Français Charles Testut, à la fois auteur du livre et éditeur du journal.

Son contenu: se présentant comme une suite directe du roman de Dumas, ce récit de 500 pages offre la particularité de ne comporter ni véritable intrigue, ni action, ni l’ombre d’une aventure ou d’un mystère… Il s’agit en fait d’un «roman social» où le comte de Monte-Cristo est utilisé par l’auteur pour illustrer ses théories – passablement surprenantes – sur l’évolution de la société. Dommage, finalement, que l’intérêt réel du livre ne soit pas à la hauteur de toutes ces originalités…


La genèse du roman est expliquée par l’auteur – encore une originalité ! – dans une «Lettre à M. Alexandre Dumas fils» insérée… à la page 195 de l’ouvrage. Après avoir salué la personnalité de son interlocuteur, «digne fils d’un digne père», Testut annonce à Dumas fils qu’il va lui expliquer comment il s’est «senti appelé à mettre au monde Les filles de Monte-Cristo».

Testut raconte alors qu’il a passé des mois alités après «une terrible blessure suivie d’une terrible opération», avec comme seule distraction les lectures que l’on voulait bien lui faire. Jusqu’à ce qu’on lui lise Le comte de Monte-Cristo.

«Depuis une semaine environ, poursuit-il, las de souffrir de toutes les façons à la fois, je m’étais préparé, avec beaucoup de peines, une potion finale. Mais, comme le Sultan des Mille et une Nuits, je voulais entendre encore la fin du magnifique roman de votre grand et noble père - Quelques jours de plus ou de moins, qu’importait ?». Et Testut d’ajouter que c’est la lecture de Monte-Cristo jusqu’à ses derniers mots «Attendre et espérer» qui lui a fait oublier ses idées de suicide. «Votre père m’a sauvé», lance-t-il à Dumas fils, avant d’ajouter qu’il a alors décidé de continuer l’œuvre du maître. Avec un objectif précis: traiter «les grandes questions sociales au point de vue du progrès». Et Testut de conclure en demandant à Dumas fils «une manifestation quelconque de satisfaction».

Nous ne savons pas s’il obtint jamais une telle marque d’approbation de la part de Dumas fils. Mais il faut bien reconnaître que les qualités proprement romanesques de l’ouvrage ne le justifiaient guère.


Les Filles de Monte-Cristo commence vingt ans après la fin du Comte de Monte-Cristo par le retour en France de ce dernier. Marié à Haydée, il en a eu deux filles. Mais Haydée est morte et il amène en France, pour la première fois, les deux jeunes filles, prénommées Mercès et Gemma.

Monte-Cristo retrouve Mercédès, Albert, Maximilien et Valentine Morrel, Julie Morrel et son mari Emmanuel Herbaut, etc… Le comte et ses deux filles sont accueillis à bras ouverts. Les demoiselles sont, bien sûr, aussi belles que bonnes. Mercès, fille de Haydée, donc, présente une particularité étonnante: elle est «le portrait exact de Mercédès», et cela, «par un de ces phénomènes que notre physiologie actuelle ne peut expliquer» (sic!).

Monte-Cristo s’installe en France pour de bon et se consacre à l’œuvre de sa vie: venir en aide aux malheureux et aux déshérités de toutes sortes. Pendant plusieurs centaines de pages, le roman décrit alors par le menu les bonnes œuvres du comte: création d’hôtels pour étudiants et d’hospices pour prostituées, édition des œuvres des écrivains pauvres, distribution d’argent aux nécessiteux… Qu’un brave homme soit dévalisé, et Monte-Cristo lui rembourse ce qui lui a été pris; que les biens d’une famille honnête soient saisis, et il les rachète pour les lui rendre…

A l’appui de ses œuvres, le comte crée une sorte de confrérie tenant de la franc-maçonnerie, dont les membres sont des gens fortunés qui font un don de 100.000 francs et jurent de consacrer leurs forces à aider les malheureux. On se bat pour entrer dans cette association, dont les moyens ne cessent d’augmenter (voir extrait ci-dessous).

La description des initiatives de Monte-Cristo est entrecoupée de nombreux exposés des théories de l’auteur sur la «question sociale». Ses idées forment un mélange assez surréaliste. Des plus radicaux quand il souhaite que la société finisse par interdire la propriété privée quand elle dépasse la simple «aisance», Testut se veut aussi conservateur en affirmant que ce sera là la seule solution pour empêcher de sanglantes révolutions. Et en attendant, il prône le paternalisme le plus éhonté vis-à-vis des pauvres méritants. Et pour couronner le tout, ce «progressiste» n’a pas de mots assez durs pour critiquer les femmes qui défendent des revendications aussi dangereuses et immorales que l’obtention du droit de vote…

Les bonnes œuvres du comte sont entremêlées des péripéties de sa vie de famille. Il épouse en secondes noces Mercédès, qui a bien sûr totalement adopté ses deux filles. Ces dernières cherchent – et trouvent – des maris. Mercès, l’aînée, pour être sûre de ne pas être épousée pour sa fortune, se déguise en ouvrière dans le Quartier Latin, jusqu’à ce qu’elle soit demandée en mariage par un poète aussi doué que nécessiteux, franc, honnête, bon et désintéressé.

Au fil des pages, on assiste aux deux mariages, à la naissance des premiers bébés. On frôle le drame quand la réapparition d’une jeune femme avec qui le mari de Mercès avait eu une aventure des années plus tôt vient jeter une ombre sur leur mariage, ombre heureusement vite dissipée.

De-ci de là apparaissent fugitivement des personnages du Comte de Monte-Cristo. La baronne Danglars épouse Villefort, son ancien amant, et le couple part en Amérique. Benedetto se repend et entre dans la ligue de bienfaisance de Monte-Cristo (sic). Eugénie Danglars figure également: en tant que femme indépendante menant sa carrière d’artiste, elle est exécrée par Testut, qui en fait un portrait au vitriol.

Le roman se termine par les morts successives – et naturelles – de Mercédès puis Monte-Cristo. Ils sont enterrés en grande pompe dans l’île de Monte-Cristo, somptueusement aménagée, et que l’auteur semble bizarrement situer à proximité immédiate de Marseille.


Les filles de Monte-Cristo oscille ainsi sans cesse entre deux pôles. D’un côté, un «roman social» imprégné d’une vision angélique de la société où les riches ne demandent qu’à aider les pauvres, où ces derniers sont aussi méritants que reconnaissants des bontés que l’on a pour eux, et où les méchants sont toujours prêts à se repentir. De l’autre, un roman mondain où l’on suit les péripéties des fiançailles, des mariages, des naissances et des infidélités (ou plutôt, de légers soupçons d’infidélités qui ne se vérifient pas, heureusement!), dans un esprit petit-bourgeois aussi éloigné que possible du mythe de Monte-Cristo.

Aussi intéressant comme témoignage d’une façon de penser très XIXème siècle que nul sur le plan romanesque, Les filles de Monte-Cristo peut évoquer deux romans postérieurs. D’une part, très curieusement, un roman presque homonyme: La fille de Monte-Cristo de P.-B. Gheusi (1948). Rien n’indique que ce dernier auteur ait eu connaissance du roman de la Nouvelle-Orléans. Mais son livre est lui aussi quasiment dépourvu d’intrigue et centré sur la vie de famille du comte et de ses amis. Avec un résultat beaucoup plus satisfaisant, car cohérent, empreint de sérénité et échappant aux théories sociales délirantes. D’autre part, beaucoup plus récemment, Le retour de Monte-Cristo, de Michèle Lepage-Chabriais (2000), sorte de roman à l’eau de rose sur Monte-Cristo et sa descendance.

A signaler, l'oeuvre d'un autre auteur de Louisiane: Le comte de Monte-Christo de Louis Placide Canonge.

Un grand merci à Gennady Ulman pour la copie de ce livre introuvable!

 Voir l'arbre généalogique du comte de Monte-Cristo


Extrait de la 4ème partie, chapitre 5 Une Réception dans la Société Monte-Cristo


C’était dans une vaste salle, quelques jours après le dîner chez Mr. et Mad. Gosselin. Deux cents personnes environ, hommes et femmes, étaient réunies et causaient par groupes, en attendant l'ouverture de la séance. Tous ceux et toutes celles que nous connaissons sont là, et d'autres encore qu'il serait aussi long qu’inutile de nommer. Il s'y trouve aussi les membres des diverses villes où l'Etablissement de la rue d'Enfer a des succursales. La salle, où va avoir lieu la réception solennelle des quatre hommes que nous avons vus, au Hâvre, demander leur admission à Monte-Cristo, et des six femmes qui out écrit pour le même objet à Mercédès, est un carré long. De chaque côté, nord et sud, sont alignée des fauteuils de velours cramoisi. Au fond, à l’Est, est un dais surmontant un siège couvert de satin blanc, auquel on arrive en montant quatre marches basses. Cette estrade est réservée au Président de la séance — qui n'est autre que Monte-Cristo. Les fauteuils du côté sud sont pour les dames, ceux du côté nord pour les hommes. Les dix futurs membres ne sont pas tous arrivés, mais il faut dire que l'heure officielle n'est pas encore venue. La salle est illuminée à profusion. De riches draperies, blanc et or, ornent les quatres cloisons, sauf la porte d'entrée, à deux larges battants, qui se trouve à l’ouest. Au sommet du riche dais placé à l'Orient, comme nous l'avons dit, brillait, en lettres d'or sur fond blanc, ces quatres mots:

« SCIENCE, JUSTICE, AMOUR, BIENFAISANCE»

On se souvient que les quatre hommes qui vont être reçus sont le préfet de la Seine Inférieure, le Maire du Hâvre, le vieux négociant et M. le duc de Lantrac. Il n'est pas nécessaire de mentionner les noms des six femmes. Tous les dix sont des gens riches, bien entendu; sans cela ils n'eussent pu verser chacun cent mille francs. C'était des riches qu'il fallait pour secourir les pauvres, car, comme on va le voir, les cent mille francs que chacun des dix avait versés n'étaient pas la fin de leurs devoirs. Tout membre actif doit agir: on va apprendre, du reste, ce à quoi ils s'engageront.

On cause déjà, dans plusieurs groupes, de la création de Sociétés Littéraires à Paris et dans les principales villes de France, et chacun comprend quel bien elles peuvent faire. Les maisons garnies, gratuites, pour les étudiants pauvres et dignes, sont aussi le sujet de conversations ça et là, et c'est à qui applaudira le plue chaudement aux actes de grandiose bienfaisance accomplis par les soins du Président de la charitable et philantropique société. On n'oublie pas les pauvres filles malades tirées de la misère et de l'abjection, qui vont trouver, dans les grandes villes de France, soins, guérison, aide, consolation et encouragements!

— Mon père a encore d'autres projets de la même nature! disait Mercès à M. Louis-Auguste Raymond.... Il veut s'occuper des fous qui ne le sont pas, des prisonniers non coupables ou repentants, des vieillards, hommes et femmes, qui vaguent dans les rues, à la recherche d'un morceau de pain; des estropiés qui sont incapables de gagner leur vie. Que sais-je encore!

— Ah ! madame, répondit M. Raymond, si chaque département de notre pays possédait un homme comme monsieur votre père!

Ailleurs on causait de ceux et de celles qui allaient faire partie de la puissante Société....

Monte-Cristo entra en ce moment dans la vaste salle avec Mercédès. Ce fut à qui irait au-devant d'eux. Il était toujours souriant et beau. Elle était toujours calme et belle. Mercédès alla vers Mercès et Gemma, le comte vers Hyppolite et Léopold.

Au bout de quelques minutes, un domestique vint dire quelques mots à l'oreille de Monte-Cristo. Alors celui-ci se dirigea vers l'estrade, s'assit dans le fauteuil de satin blanc — et frappa quelques coups sur un timbre. Le silence se fit comme par magie.

— Frères et soeurs de la Bienfaisance, dit-il d'une voix claire, nous allons procéder à la réception des dix personnes qui ont demandé leur admission parmi nous, et qui ont toutes versé la somme accoutumée, soit chacune cent mille francs. Toutes sont dans la salle voisine et n'attendent que le moment d'être introduites pour entendre la lecture que vous savez, et prêter ensuite le serment voulu. Prenez tous vos places, les hommes au Nord, les femmes au Sud.

En quelques minutes l'invitation du Président fut exécutée avec le plus grand ordre — et on attendit....

Dix heures sonnèrent. Les deux battants de la porte de l'Ouest s'ouvrirent, et dix personnes entrèrent. Sur un signe du Président elles prirent place sur dix fauteuils verts alignés en demi-cercle au milieu de la vaste salle, et faisant face à l'Orient. Il n'est pas besoin de dire quelles sont ces dix personnes. Dès qu’elles furent assises, une douce musique d'orgue invisible s'éleva. Un profond silence régnait. Le Président feuilletait un livre et cherchait une page. De son fauteuil, Mercédès le regardait avec admiration. Mercès souriait à Hyppolite, et Gemma à Léopold, les deux maris sur des fauteuils de la colonne du Nord, les deux femmes sur d'autres de la colonne du Sud.


 

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