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Le roman du Masque de Fer
ou le secret de Douvres

Michel Ruffin

262 pages
Editions du Rocher - 2013 - France
Roman

Intérêt: *

 

 

Ce roman est consacré à la présentation d’une théorie sur l’identité de l’homme au masque de fer. Il s’agirait, en l’occurrence, d’un certain Eustache Danger, employé comme messager par Henriette, épouse de Monsieur, frère de Louis XIV. Celle-ci est également sœur de Charles II, roi d’Angleterre, et intrigue pour faire signer une alliance secrète entre les rois de France et d’Angleterre.

Des fuites sur ces négociations ultrasecrètes seraient susceptibles de mettre l’Europe à feu et à sang. Or, il se trouve que Danger prend connaissance accidentellement du contenu des messages qu’il convoie. Comme il est impensable de prendre le risque qu’il parle, on le fait disparaître en l’emprisonnant avec interdiction à quiconque de connaître son nom ou de voir son visage.

Cette théorie s’ajoute à de nombreuses autres. Dumas lui-même en recensait neuf dans son célèbre article Les neuf systèmes sur le Masque de Fer avant d’opter, bien sûr, pour l’idée d’un frère jumeau caché de Louis XIV dans Le vicomte de Bragelonne. On peut malgré tout se demander, dans l’hypothèse défendue ici, pourquoi le roi et son entourage se seraient donné le mal de garder au secret pendant de nombreuses années et à grands frais un homme de rien, parfait inconnu, qu’il aurait été si simple de faire disparaître définitivement.

La présentation de cette théorie sur l’identité de l’homme au masque de fer étant expédiée assez rapidement, le récit est étoffé par de nombreuses digressions qui vont de la rencontre entre d’Artagnan et sa future épouse (historique) à de multiples scènes de la vie à la Cour de Louis XIV. Curieusement, Eustache Danger n’apparaît pas énormément.

Le personnage principal est d’abord d’Artagnan, que l’on suit notamment pour tout ce qui concerne l’arrestation de Fouquet. Par la suite, c’est Saint-Mars, le geôlier du Masque de Fer, qui tient la vedette, avec un rôle presque comique mêlant magouilles financières et intrigues amoureuses.

Défendant une théorie historique mais se voulant écrit comme un roman, le livre souffre de cette structure composite. Les chapitres sont autant de saynètes le plus souvent complètement distinctes les unes des autres, séparées fréquemment par des périodes d’un an ou plus. Une telle structure empêche toutes intrigue suivie.

L’ombre de Dumas plane largement sur le roman. D’abord parce que s’il n’avait pas fait de l’homme au masque de fer un thème central du Vicomte de Bragelonne, on ne s’y intéresserait sans doute plus beaucoup. Ensuite parce que la place donnée à d’Artagnan et à Fouquet rappelle beaucoup le roman de Dumas.

Dans les tout deniers chapitres, enfin, l’auteur évoque directement des écrivains ayant contribué à créer le mythe du Masque de Fer : Voltaire, Dumas… L’ultime chapitre met en scène ce dernier et son collaborateur Auguste Maquet travaillant ensemble à l’écriture du roman (voir extrait ci-dessous).

Fort bien écrit, Le roman du Masque de Fer n'apporte cependant finalement pas grand chose.

 

Extrait du chapitre 34

Paris, 1847

— «… et ce paysan surveillait son champ.»

— Rajoutez : «de pommes de terre». Champ de pommes de terre.

— Mais, Alexandre, sous Louis XIV on ne connaissait pas encore la pomme de terre! C’est un anachronisme!

— Bien, ne mettons pas «pommes de terre». Mais ajoutez-moi quelque chose. Céréales ou blé...

— Pourquoi?

— Je vous rappelle que je suis payé à la ligne. Tout début de ligne vaut ligne. Donc il faut ajouter un mot ou deux pour renvoi à la ligne.

— On alourdit le texte et surtout les dialogues.

— Trois francs.

— Quoi, trois francs?

— Je suis payé trois francs la ligne. Avec quatre renvois par page cela fait douze francs. Multipliez par quatre feuillets par semaine, cela donne combien?

— Quarante-six francs.

— Très juste. Et notre feuilleton actuel va durer trois ans si le public nous soutient. Vous voyez la différence à la fin?

Alexandre Dumas avec Auguste Maquet, son nègre, son collaborateur, son co-auteur — cela dépendait des avis et de la manière de voir les choses — travaillait sur leur nouveau feuilleton Le vicomte de Bragelonne. Ils avaient déjà écrit ensemble Les trois mousquetaires, Vingt ans après, La dame de Montsoreau, Le comte de Monte-Cristo, Le chevalier de Maison-Rouge. Ils commençaient maintenant une nouvelle histoire.

Dumas était le plus souvent à l’origine du sujet. Il imaginait les ressorts dramatiques, bâtissait le scénario. Maquet se mettait alors au travail et présentait une première version. Alexandre Dumas l’amendait, ajoutait des mots pour aller à la ligne, biffait certains passages, en délayait d’autres pour qu’il y ait plus de lignes.

— De 1a chair, Maquet, beaucoup plus de chair autour de l’os, diable, ce n’est pas difficile!

— Mais Alexandre, on perd en efficacité!

— Faites comme je vous le dis. C’est moi qui vous paie, non?

— Certes, mais j’aime les beaux textes.

— Moi, j’aime les belles aventures et les beaux billets.

La collaboration des deux hommes remontait déjà à plusieurs années. Le public ne connaissait que Dumas. Maquet travaillait dans l’ombre. Il était pourtant reconnu dans la profession quand il publiait sous son nom. Le succès couronnait chacun de leurs romans.

Ils venaient de commencer les premiers épisodes du Vicomte. L’entente régnait, même si les discussions étaient parfois un peu rudes. Le plan général était, en grande partie, arrêté. Tous deux avaient de gros défauts dans l’écriture. Alexandre Dumas avait le sens du récit qui plaît au public mais son style laissait à désirer. Maquet avait de la rigueur mais s’enlisait parfois en des considérations qui ralentissaient l’action. Il se souvenait que son premier roman avait été refusé par les éditeurs. Il l’avait apporté à Dumas. Ils l’avaient réécrit ensemble et ce fut leur premier ouvrage en commun, leur premier succès, sous le nom du Chevalier d’Harmental.

Pendant deux ans ils continuèrent à publier les feuilles du Vicomte. Dumas qui avait des soucis d’argent, dépensant sans compter, laissait de plus en plus d’autonomie à Maquet. Celui-ci se prenait au jeu d’une histoire qui s’était en partie construite au fil des conversations entre eux.

Il fallait qu’ils prennent une décision sur l’identité de l’homme au masque de fer. Dumas suggérait de suivre l’hypothèse de Voltaire et Soulavie. Maquet estimait que l’histoire du jumeau de Louis XIV ne reposait que sur le seul Soulavie. Le fait qu’il fût un enfant d’Anne d’Autriche n’était même pas avéré.

— Mais enfin, Maquet, on ne va pas gâcher notre roman pour des considérations historiques! Un roman n’est pas un livre d’histoire.

— Je pense qu’il est préférable de se rapprocher de la vérité historique. Nous risquons de tromper le lecteur. Votre version est loin d’être la plus proche de cette vérité.

— Vous serez toujours un besogneux, Maquet. Je vous l’accorde, la vérité n’est pas en faveur de cette thèse. L’histoire du valet, rapportée par le nommé Dubos, est plus vraisemblable. Mais quoi, Maquet, vous savez pourquoi ma version est la meilleure ?

— Vous allez me le dire.

— Parce qu’elle est la plus romanesque, c’est donc celle que voudra retenir le public.


 

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