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Le cousin de Porthos

Jean-Luc Déjean

374 pages
1981 - France
Roman

Intérêt: **

 

Voilà un intéressant exemple de "suite" moderne. Pour écrire cette histoire de cape et d'épées totalement dans l'esprit des Trois Mousquetaires, sans tomber ni dans la parodie ni dans l'hommage sophistiqué au deuxième degré, l'auteur a utilisé plusieurs procédés. Les mousquetaires de Dumas apparaissent, certes (ou du moins trois d'entre eux, d'Artagnan, Porthos et Aramis), mais de façon assez limitée. Plusieurs autres personnages de Dumas jouent en revanche un rôle important: les gardes du Cardinal, Planchet, etc... Enfin, Déjean procède à une création originale, avec le fameux cousin.

L'histoire commence en 1629 quand Richelieu demande à d'Artagnan de se charger avec ses trois amis d'une mission ultra-secrète: porter un message au duc de Rohan, chef des protestants des Cévennes, en pleine rébellion contre les catholiques. D'Artagnan refuse, car il est désormais seul, les quatre mousquetaires s'étant séparés. Mais il suggère à Richelieu de faire appel à ses quatre meilleurs gardes, anciens ennemis des mousquetaires avec qui ils se sont depuis réconciliés: Jussac, Cahusac, Biscarat, du Fesq.

Les quatre hommes partent donc pour cette mission des plus périlleuses. Il leur faut traverser la France, pourchassés par des catholiques fanatiques qui veulent empêcher toute négociation avec les protestants, tandis que ces derniers considèrent tout émissaire de Richelieu comme un envoyé du diable...

Heureusement, ils sont aidés par la débrouillardise de Planchet, qui donne ici toute sa mesure, et surtout par le cousin de Porthos, Honoré du Vallon. Ce cousin a en commun avec Porthos la carrure, la force physique et un profond sens de l'amitié. A l'inverse du mousquetaire, en revanche, il est fin et cultivé, ce qui ne l'empêche pas de conserver une bonté naïve. Protestant fervent, il est aussi tolérant et consacrera tous ses efforts à favoriser l'ambassade de paix des gardes de Richelieu.

Pleine de rebondissements et d'intéressants personnages secondaires, l'intrigue se lit avec plaisir, jusqu'à son dénouement où Aramis fait une apparition remarquée en compagnie d'un jeune homme plein d'avenir, un certain Mazarin.

Bien mené et bien écrit, le roman constitue une suite honorable, même si elle manque un peu de surprise. La principale trouvaille du livre demeure incontestablement la personne même de du Vallon, astucieuse "variation" sur le personnage de Porthos.


 Voir l'arbre généalogique de Porthos


Extrait de la 1ère partie Les deux paris de d'Artagnan, chapitre 2 Où l'on parle d'un coffre pluriel, d'une chevelure ascendante et d'une paire de valets

Par cette belle matinée d'hiver, le pasteur Bertrand et son compagnon se promenaient sous de grands arbres, à quelques lieues d'Alais. Compagnon tellement en dehors du commun des mortels qu'il est difficile à décrire. Le mot "démesuré" y suffit à peine. Certes, Honoré du Vallon, cousin du célèbre Porthos, est plus petit que le chêne contre lequel il vient de s'adosser. Mais le chêne a vingt toises, c'est dire quatre-vingts coudées ou cent vingt pieds de haut. Le pasteur Bertrand en revanche, qui ne dépasse pas cinq pieds et six pouces crinière y comprise, apparaît aussi minuscule auprès de du Vallon que du Vallon par rapport au chêne. Tout en effet semble gigantesque dans ce personnage, lorsqu'on l'examine en détail: la taille, la carrure, la longueur et l'épaisseur des membres. Pose-t-il une main sur l'épaule du pasteur? Voici l'épaule qui y tient à l'aise. Respire-t-il avec délices l'air pur de l'hiver? Il semble alors qu'un vent de tempête se précipite dans sa bouche. A ces proportions prodigieuses, le Créateur a pourtant conféré l'harmonie, qui fait oublier leur gigantisme. Honoré du Vallon, gentilhomme originaire de l'Ardèche, est grand comme deux, large comme trois, fort comme dix, et demeure très bel homme à son échelle particulière: élancé, la taille bien prise, un air de noblesse avenante. Au demeurant, rien de plus honnête que son regard brun, rien de plus amical que son énorme sourire.

- Le fond de l'air, dit Honoré du Vallon, est frais.

- L'Eternel, repartit Bertrand, a créé l'hiver pour nous faire aimer l'été, comme il fit l'ardente chaleur pour que nous regrettions le froid. Frère Honoré, vous êtes un brutal!

- Frère Amatus!

- Un querelleur, un aventuré, qui ne rêve qu'à massacrer! A quoi vous servent mes leçons? Le mois dernier, vous tuâtes un sanglier, innocent ami du Seigneur.

- A mains nues, frère Amatus. Et qui m'avait chargé!

- Sornettes. Aujourd'hui, tandis que nos frères s'assemblent, tandis que la voix de la paix doit parler plus fort en Cévennes que les trompettes de la guerre, vous désertez notre camp.

Honoré du Vallon mâchonna un pied de moustache.

- Le mot est dur! se plaignit-il.

Le buisson qui surmontait le crâne du pasteur s'agita avec frénésie.

- Le mot est juste! Quoi, je rassemble mes brebis pour défier les loups, et vous, vous mon ami, mon élève, mon fidèle, trouvez le premier prétexte venu pour galoper je ne sais où?

Du Vallon secoua la tête:

- Ah! dit-il, vous êtes injuste. Ne m'avez-vous point appris ce que vaut l'amitié? Eh bien, ce que vous appelez un prétexte est le pressant appel de l'être le plus cher qui me reste en ce monde. Mon cousin Porthos...

- Un papiste!

- Qui m'est plus précieux qu'un frère...

- Un homme du Nord!

- A peine est-il de Villers-Cotterêts. Mon cousin, mon frère, dis-je, sollicite mon appui pour certaine mission, et je le lui refuserais?

Le pasteur Bertrand haussa mélancoliquement les épaules. Les gentilshommes, fussent-ils rigoureusement calvinistes, resteraient toujours difficiles à gouverner.

- Vous allez à nouveau ceindre l'épée, frère Honoré.

- Celle que me légua mon père avec son nom.

- Vous jeter dans les combats...

- Il n'est point question de combats, mais d'un voyage vers le fleuve Rhône.

- ... Abuser de votre force. Certes vous êtes doué pour cela. Mais attention: David abattit Goliath. Manlius Torquatus terrassa le géant gaulois, qu'il dépouilla de son collier.

L'idée qu'il pût indûment abuser de sa force fit rougir le paisible du Vallon.

- Eh! l'abbé, dit-il, vous allez trop loin!

Quand son géant ami l'appelait " l'abbé ", le pasteur Bertrand savait qu'il y avait grand-colère et volonté d'insulte. Il fit donc appel à toutes les ressources de sa patience, qui étaient médiocres.

- Soit, dit-il. Allez, du Vallon. Chevauchez parmi les frimas. Volez au secours des papistes. Préférez-nous votre cousin. Mais souvenez-vous bien d'une chose. Notre duc de Rohan, que l'Eternel protège, tient assemblée de gentilshommes dans Alais le second dimanche de mars. Le parti de la guerre s'y montrera puissant, car tous les Rochelois seront arrivés. Nous, partisans de la paix, avons grand besoin de vous en cette occasion. Si vous n'y manquez...

- Eh bien?

- Je vous dénie le nom de frère.

- Frère Amatus!

- Je parodie pour un instant leur pape de bois, et vous excommunie.

- Mon frère Amatus!

- En un mot, je vous retire mon amitié.

- Par grâce! fit du Vallon au bord des larmes.

- Cela entendu, reprit plus doucement le pasteur Bertrand, vous savez ce qu'il vous reste à faire. Obliger un aimé cousin n'est pas blâmable en soi, même s'il est enragé de la messe. Courez, bataillez, forniquez, damnez-vous de toutes les manières. L'Eternel vous jugera. Mais si vous n'êtes revenu dans Alais à la date que je viens de dire, je vous jugerai, moi.

Honoré du Vallon ordonna le croc de sa moustache. Il connaissait le caractère vif de cet apôtre de la paix, et que le feu de ses colères amicales purgeait les humeurs de son corps.

- Aurai-je excuse si je suis blessé? demanda-t-il en souriant.

- Point.

- Si je suis mort?

- Pas davantage, puisque n'auriez pas perdu la vie pour notre sainte cause... Au demeurant, ajouta le ministre en considérant la carrure du gentilhomme, il faudrait au moins du canon pour vous coucher par terre.

- Ou quelque David. Ou ce Manlius dont vous contiez l'intéressant exploit. Frère, j'obéis à mon coeur en courant où m'appelle mon cousin Porthos.

- Un mousquetaire!

- Il ne l'est plus, vous le savez, et je dois prendre sa place. Cependant, frère, je ne ferai qu'aller et revenir. Priez pour moi, qui retiendrai bien vos leçons.

Le pasteur s'adoucit à ces mots. De fait, l'immense du Vallon était un fidèle fort acceptable, exact aux prêches, et pour lequel il ressentait une affection profonde.

- Hum, dit-il. Combattrez-vous?

- Si l'on m'attaque, frère, et de mauvais gré.

- Forniquerez-vous? Tuerez-vous?

- Je me tiens à l'écart des dames, et ne tuerai que ceux qui me voudraient tuer.

- Assassin! Violent! Retenir mes leçons, dit-il! Allez, méchant. Oui, je prierai d'avance pour toutes les horreurs que vous aurez grand plaisir à commettre.

Du Vallon s'éloignait la tête basse vers son manoir, dont on apercevait à travers les chênes la robuste structure. Resté seul, le pasteur le héla de loin.

- Frère Honoré!

- Frère Amatus? demanda le gentilhomme en se retournant.

- S'il faut absolument vous battre...

- Eh bien?

- Eh bien, laissez mes leçons de côté, un moment du moins.

- Qu'est-ce dire?

Le petit ministre agita la main. La broussaille de sa chevelure frémit derechef.

- Soyez le meilleur! En péché de guerre comme en toutes choses, démontrez que rien ne surpasse un gentilhomme protestant!

Du Vallon hocha la tête d'un air pénétré et s'en fut. Trois heures plus tard, épée à l'arçon, pistolets aux fontes, il quittait son manoir monté sur Titan, animal qui était aux chevaux, par les formes et la puissance, ce que son maître était aux autres hommes.

 

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