Céleste
Martine Le Coz
284 pages Editions du Rocher - 2001 - France Roman
Intérêt: *
Ce roman se passe à Paris en 1832, pendant la grande
épidémie de choléra. Le docteur Lodran, mulâtre venu de
Haïti, se dépense sans compter, sauvant des malades que
les médecins bien établis de la bonne société ne veulent
pas approcher. Et cela malgré les préjugés qu'il
lui faut affronter du fait de la couleur de sa peau.
Un tel dévouement, une
telle humanité déclenchent la passion chez Céleste,
jeune fille de seize ans, idéaliste et séduite par les
idéaux de la Révolution de 1830. Son oncle, le peintre
Paul Huet, s'en trouve bien malheureux: amoureux de
Céleste, il ne rêve que de l'épouser.
Finalement, le docteur Lodran, victime d'une
dénonciation calomnieuse, est expulsé. Le cœur brisé,
Céleste épouse son oncle et meurt de phtisie.
Et Dumas, dans tout cela? Il est omniprésent, bien que
toujours au second plan. Omniprésent car c'est un ami
proche de Huet et surtout, il est parent de Lodran. Ce
dernier est en effet le fils d'une esclave de Haïti,
Rose, qui n'est autre que la sœur de Césette qui - dans
la réalité - donna le jour au futur général Dumas, père
de l'écrivain.
Du coup, il est fréquemment question d'Alexandre dans
le livre, notamment dans les conversations des
personnages principaux. Et Dumas apparaît en personne
dans quelques scènes (voir extrait ci-dessous).
Reste que, même si Céleste a obtenu le prix
Renaudot 2001, l'intrigue est bien mince. Quant à
l'écriture, extraordinairement tarabiscotée, voire
ampoulée, elle ne séduira pas tout le monde...
Extrait
Alexandre parlait. Les mots lui venaient de loin, de
l'intérieur sacré du monde, du cercle mystérieux de la
première présence de l'être. En même temps, sa
générosité et son outrance grisaient Paul qui
s'abandonnait à son charme puissant et se rassasiait de
son abondance. Dumas aux multiples femmes, père de
combien d'enfants, comblait ses manques. Un moment, Paul
put connaître à travers lui la largesse et l'emphase
d'une existence plurielle. Puis il se souvint de sa
solitude et souffrit d'une expansion qui soulignait son
indigence. Pour se défendre, pour faire obstacle à la
vie débordante de l'autre, à ce miracle qu'il étalait,
pour le blesser un peu, aussi, il lança:
- Et Belle? Belle, avec ton fils...
Le visage d'Alexandre s'éteignit.
- Ils se rejettent l'un l'autre. Il réclame sa mère. Tu
te souviens d'elle?
- Laure... Une gentille blonde, qui tenait un atelier de
couture.
- Elle ressemblait à ma mère. Elle était plus âgée que
moi, d'ailleurs. De neuf ou dix ans, au moins.
Paul le regarda se perdre dans ses souvenirs, le visage
livré, pour ainsi dire à sa merci. Il sentit qu'il lui
dérobait un secret et détourna les yeux. À trop
s'attarder sur un visage, on pouvait l'offenser ou le
flouer, brouiller l'échange, s'il ne s'était pas offert
dans la connivence d'une rencontre. Le visage désarmé
d'Alexandre méritait plus qu'une inattention polie: le
grand respect dû à l'aventure qu'il avait vécue en
rencontrant celui de Laure.
Alexandre revint à lui brusquement.
- Veux-tu que je te dise, Paul: j'ai conçu mon fils à la
Comédie-Française.
Il éclata de rire.
- On jouait Pierre de Portugal. Un triomphe, je ne te
dis que cela.
Une vague de sueur l'inonda. Il s'affaissa de nouveau
sur son oreiller.
- Oui, oui, je vais dormir. Mais je pense au petit, je
suis tourmenté. Et avec Belle, impossible...
Un soupir, puis il reprit:
- Elle pourrait comprendre, pourtant, ce que c'est que
d'être mal vu: elle est juive. Paul, mon fils souffre en
pension. Des méchancetés de gosses, les petites
persécutions. On le traite de bâtard. Évidemment, sa
mère trouve injuste de ne pas porter mon nom. Un nom
célèbre, et elle n'en profite pas.
Paul hocha la tête. Dumas continua.
- Par bonheur, il tient assez de Catherine - je veux
dire Laure... Elle a toujours préféré "Laure ". Bref.
Imagine, s'il avait la peau noire? Cela aurait pu se
faire. Dis, s'il avait eu l'air nègre, en plus. C'est
que moi, on m'a déjà appelé moricaud. Cela me tombe
dessus dès que je déplais. Moricaud, le singe aux pieds
plats. Si, je t'assure. C'est idiot, j'en suis toujours
surpris.
Il prit une respiration profonde en ouvrant grand les
yeux. Les bleus et les verts de l'océan caracolèrent un
instant dans ses prunelles. De petits feux s'allumèrent
sur leur tourbillon que des larmes noyèrent. Il murmura:
- Le pauvre gosse, s'il avait eu la peau du
grand-père...
- Mon Dieu... oui, oui, Alexandre, ton origine
haïtienne... répondit Paul gauchement, ramené soudain à
une réalité qu'il tendait à oublier, tant elle
s'effaçait pour lui sous la personnalité de Dumas. Je
comprends.
Le visage de Dumas durcit. On aurait dit que ses joues,
son front, son nez même, n'étaient que du menton. Du
costaud. Du gaillard prêt à cogner.
- Je ne dis pas qu'un de ces jours, je n'écrirai rien
là-dessus, ajouta-t-il, les yeux affûtés. Un gros roman,
tiens, sur mes frères de couleur maintenant qu'on me
respecte. Pour embêter le monde. Attends un peu qu'ils
m'admirent, oui, qu'ils me hissent au pinacle, tous
autant qu'ils sont, les gens bien comme il faut. Qu'ils
ne puissent plus reculer, tellement ils m'auront montré
leur vénération. Alors moi, vlan! J'assène le truc. Je
leur fais gicler la couleur noire à la figure.
Il posa les mains bien à plat sur le drap et,
froidement:
- Je vengerai mon père et toute la famille, et tous les
nègres de la planète, du plus clair au culot de pipe.
Son père s'était brouillé avec le Premier consul: sa
solde était inférieure à celle de ses compagnons. Et
surtout, Bonaparte n'avait pas pardonné au général Dumas
d'avoir refusé de commander l'expédition contre
Saint-Domingue. Un coloré, qui se rebiffait contre le
premier des Blancs.
- A partir de là, conclut Alexandre, la carrière de mon
père était finie.
Paul s'accusa d'avoir mis de côté trop facilement, par
négligence et par commodité, une blessure toujours
cuisante pour les Dumas.
- Quelle idée! s'exclama Alexandre, la face ronde comme
la lune. Toi, forcément, tu n'y penses pas: tu m'aimes
trop.
Il fallut se quitter. Belle mit Paul à la porte. Il lui
fatiguait son Alexandre, il le lui assassinait. Ils
étaient aussi fous l'un que l'autre.
Il était cependant convenu entre eux que Dumas
s'éclipserait après la sieste pour aller fêter Lamarque
comme tout le monde.
|