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Les trois mousquetaires, la série

Clara Hédouin
Jade Herbulot
Romain de Becdelièvre

280 pages
Inédit - 2017 - France
Humour - Pièce de thêatre

Intérêt: ***

 

 

 

Une quinzaine d’heures de spectacle réparties sur deux journées entières, une dizaine d’acteurs et actrices incarnant une multitude de personnages, une vingtaine d’épisodes structurés en six « saisons » à la mode des feuilletons télévisés : Les trois mousquetaires, la série, est une adaptation théâtrale à la démesure proprement dumasienne. Le maître avait fait lui-même une version dramatique du plus célèbre de ses romans, sous le titre La jeunesse des mousquetaires, mais en condensant l’intrigue en une seule pièce de dimensions « normales ». La jeune troupe du « Collectif 49701 », menée par Clara Hédouin et Jade Herbulot qui signent à la fois l’adaptation (conjointement avec Romain de Becdelièvre) et la mise en scène, fait exploser tous les cadres en donnant une espèce de spectacle total qui mêle fidélité au texte d’origine et créativité débridée.

Le spectacle complet est structuré en deux cycles qui se jouent chacun sur une journée. Chaque cycle comprend trois « saisons » (six en tout, donc), elles-mêmes découpées en trois ou quatre épisodes (dix-neuf plus épilogue). Chaque saison durant entre 1h30 et 2h40, le spectacle total peut donc occuper deux journées pleines. Mais il est également souvent donné saison par saison, avec des représentations étalées sur plusieurs semaines (voir les représentations prévues sur le site du collectif ).

S’il existe de multiples adaptations théâtrales des Mousquetaires (pastichesdumas répertorie une vingtaine de pièces qui s’en inspirent de près ou de loin), celle-ci se distingue à plusieurs titres. En premier lieu, Les trois mousquetaires, la série reprend méthodiquement l’ensemble du roman. Aucun personnage significatif, aucun épisode important n’ont été supprimés. Ce qui contribue bien sûr à la longueur de la pièce. En deuxième lieu, le récit de Dumas est scrupuleusement respecté, à tel point que de nombreuses répliques reprennent à l’identique des dialogues du roman. Enfin, cette fidélité à l’œuvre d’origine se combine paradoxalement avec de multiples inventions, des « sorties de route » comme l’explique Clara Hédouin dans la longue interview qu’elle a accordée à pastichesdumas.


Voir sur le site de France TV la version en série télévisée en dix épisodes réalisée en 2023.

La trame du récit est donc fréquemment entrecoupée de scènes additionnelles, parfaitement anachroniques, en des dérapages tout à fait contrôlés. De nombreuses « émissions de télévision » viennent commenter l’intrigue. Le ballet de la Merlaison (où la reine doit apparaître parée de ses ferrets) est traité comme une émission people. Une table ronde d’intellectuels voit ceux-ci s’étriper sur les horreurs du siège de La Rochelle. Plusieurs « émissions littéraires » du type Apostrophe s’en prennent aux relations de travail entre Dumas et son collaborateur Maquet, au style de l’écrivain, etc.

Que les mousquetaires, à la veille du départ pour La Rochelle, aient besoin de trouver de l’argent pour payer leur équipement, et les voilà qui se rendent à l’ANPE à la recherche d’un travail temporaire (voir extrait ci-dessous). Le siège de la ville protestante fait l’objet d’une conférence de presse de la part des autorités royales, tandis que l’arrivée de Milady en Angleterre lui vaut un passage de douane qui évoquera des souvenirs aux touristes se rendant aux États-Unis.

L’enlèvement de Constance Bonacieux donne lieu à une intervention de la police scientifique, etc. Des scènes entières, pas particulièrement anachroniques, apparaissent également : un conseil de quartier des habitants de Paris excédés par les beuveries et les violences du corps des mousquetaires se livre à un véritable procès de ces derniers, tandis que le cardinal Richelieu convoque une commission d’enquête contre Tréville, l’accusant de malversations financières et de non respect des règles dans l’espoir de supprimer sa compagnie de mousquetaires.

Ces « sorties de route » mènent parfois à des mises en abyme comme lorsque d’Artagnan, à la fin de l’épisode des ferrets, va retrouver Porthos enfermé dans l’auberge sur la route de Paris et Calais. En plein délire paranoïaque, Porthos affirme à son ami que « tous ces événements sont liés ensemble par des fils invisibles qui tissent le système. Et ce système, D’Artagnan, c’est le roman. Vous comprenez ? Je crois que nous sommes pris dans un roman ! Vous ne voyez pas que nous vivons une succession de péripéties, d’intrigues, de rebondissements ? Nous sommes pris dans un système romanesque. (…) Je pense que vous êtes le héros de quelque chose. La question maintenant c’est : où est-ce qu’on va ? Quelqu’un tire les fils, D’Artagnan, mais je ne sais pas encore qui c’est. »

Ou encore quand Milady organise une soirée pour le comte de Wardes et que l’action bascule en un instant en une émission de télévision :

« NORBERT – Nous avons avec nous un guide, Erwan Silverlight, vous êtes un youtuber à succès, passionné par les nouvelles technologies. Votre chaîne Youtube cartonne, à plus de 100.000 vues quotidiennes ! Erwan, pouvez-vous répondre à la question de Gonzague que nous nous posons tous ici : où sommes-nous en ce moment ?

ERWAN - C’est très simple, nous sommes à l’intérieur du chapitre 35 des Trois mousquetaires publié cette semaine sur lesiècle.fr. Plus précisément, nous sommes DANS les appartements de Milady de Winter que vous apercevez là-bas, nous sommes invités à la réception qu’elle donne en l’honneur de son amant, le comte de Wardes.

GONZAGUE - Comment çà, invités « à l’intérieur du chapitre 35 », je n’ai fait que le télécharger sur ma tablette.

NORBERT - C’est toute la magie des technologies immersives, Gonzague!

GONZAGUE – Mais je ne suis pas un personnage, moi je suis un lecteur !

ERWAN – Attendez Gonzague, vous ne vous rendez pas compte, c’est génial ! On est à LA soirée où tout peut basculer !

GONZAGUE – Comment ça ???

NORBERT – Gonzague, prenez un lexomil. Demandons son avis à Magali Sanchez. Magali, vous êtes aussi avec nous, spécialiste de la littérature libertine du XVIIIe, vous enseignez à l’Université d’Aix-Marseille. La température monte dans ce roman de cape et d’épée, à votre avis, Magali, que va-t-il se passer ce soir ?

MAGALI SANCHEZ – Moi j’aimerais déjà revenir sur ce qui se passe LÀ. Depuis le dernier épisode, on a quitté l’espace de l’épopée comique, c’est-à-dire les grandes routes et les auberges ...– pour entrer dans les espaces traditionnels du libertinage : le boudoir, la chambre, le petit salon...Sauf que là, Dumas s’aventure sur un terrain qui n’est pas le sien, une littérature qui n’est pas la sienne. Voilà deux épisodes qu’on circule dans les dédales de l’hôtel particulier de Milady, et qu'on est complètement perdu! Donc qu’est-ce qu’il va se passer ce soir ? À mon avis, un fiasco. »

Parmi les anachronismes notables, on peut aussi relever le long tête-à-tête entre Felton et Milady à la fin du roman, quand cette dernière séduit son gardien anglais et le convainc d’aller assassiner Buckingham. Dans La série, le geôlier est remplacé par le « système Felton », un système informatique qui s’incarne dans une demi-douzaine de robots gardiens. Une transposition qui n’est pas la plus réussie de l’ensemble.

Plein de fantaisie et d’inventions, le texte de l’adaptation est porté par une mise en scène tout aussi créative. Un élément essentiel tient au refus de la reconstitution historique. L’histoire a beau être scrupuleusement respectée, les mousquetaires ne sont pas en costumes d’époque. En les dotant de silhouettes qui évoquent les westerns de Sergio Leone (manteaux de cuir, grands chapeaux…), les metteuses en scène inscrivent le spectacle dans une sorte d’intemporalité qui permet de faire passer les juxtapositions les plus anachroniques. On ne s’étonne pas de voir les gardes du cardinal, lors de leur grand duel initial contre les trois mousquetaires et d’Artagnan, arriver dans une voiture de police sirène hurlante, ni d’assister à la transformation en un tournemain d’une scène d’auberge du XVIIème siècle en un plateau de télévision.

Tout le spectacle est ainsi mené à un rythme effréné où le suspense dramatique du roman de Dumas est sans cesse entrecoupé et relancé par des intermèdes burlesques et décalés. La vitesse infernale à laquelle est menée la pièce explique que le spectateur ne s’ennuie pas une seconde durant les treize ou quatorze heures de l’ensemble. La variété des lieux retenus pour les représentations y est aussi pour beaucoup. Les trois mousquetaires, la série se joue essentiellement en extérieur, dans des lieux publics, en changeant constamment d’endroits. Lors d’une représentation à Châtillon, en région parisienne, sur deux journées complètes, la troupe et les spectateurs se déplaçaient pour chacun des quelque vingt épisodes, passant d’une cour d’école au jardin d’une maison de retraite, ou explorant les coins et recoins des divers jardins publics de la commune. Un principe qui oblige à adapter la mise en scène à chaque nouvelle représentation (voir l’interview).

Au final, on ne saurait trop insister sur le tour de force qui est au cœur de cette version théâtrale des Trois mousquetaires : avoir réussi à respecter parfaitement le roman, y compris en conservant très souvent l’écriture de Dumas, tout en y injectant de multiples composants parfaitement déjantés et jubilatoires. Avec comme résultat une véritable relecture de l’œuvre avec une multiplication des « couches » de lecture. On rêve d’une version complète de la trilogie, avec Vingt ans après et Le vicomte de Bragelonne, qui s’étalerait sur une dizaine de jours…

 

Extrait du cycle 2 Le temps des assassins, saison 4 La vengeance du cardinal, Episode 12 La chasse à l’équipement : où les mousquetaires doivent trouver des armes

ATHOS – Aramis, à combien s’élève généralement le coût de notre équipement ?

ARAMIS – Il me semble qu’avec 800 livres chacun, en serrant un peu, nous devrions pouvoir payer un équipement complet : selles, éperons, mousquets, mors, chevaux, valises et garde-robes.

PORTHOS – C’est le double si on compte nos valets.

ARAMIS – J’allais le dire. Donc, 1600 pour chacun avec son valet.

ATHOS – Je déclare que pour moi seul il m’en faut 2000.

ARAMIS – Bon. ça fait 3 fois 1600, plus les 2000 d'Athos, à Athos Et pour votre valet ?

ATHOS – 800.

ARAMIS – Plus 800 pour Grimaud… c’est donc 7600 livres qu'il nous faut...

PORTHOS  – Oh la la la la….

D’ARTAGNAN – 7600 ! Mais comment faire en quinze jours ?!!

ATHOS – Eh bien en ce qui me concerne, si au bout de ces quinze jours je n’ai rien trouvé, ou plutôt si rien n’est venu me trouver, comme je suis trop bon catholique pour me casser la tête d’un coup de pistolet, je chercherai une bonne querelle à quatre gardes de Son Eminence ou à huit Anglais, et je me battrai jusqu’à ce qu’il y en ait un qui me tue. On dira alors que je suis mort pour le roi, de sorte que j’aurai fait mon service sans avoir eu besoin de m’équiper.

PORTHOS – Et nous alors ? Vous nous laissez crever ?

ATHOS – Que chacun trouve une solution pour soi. J’ai la mienne. Adieu.

La borne charge et métiers

Aramis, Porthos et d’Artagnan sont dans une file d’attente.

ARAMIS – Bon, surtout vous ne dites rien. Vous me laissez parler, d’accord ?

TOUS – D’accord, d’accord.

Un conseiller entre.

CLARA – Bonjour, alors je ne comprends pas bien, vous êtes trois ?

ARAMIS – Oui tout à fait.

CLARA – Vous savez que ce sont des rendez-vous individuels ?

ARAMIS – Oui…

CLARA – Très bien, alors asseyez-vous, je vous en prie. (ils s’installent et le conseiller se poste face à son ordinateur). C’est votre première inscription à la borne charges et métiers ?

ARAMIS – Oui.

CLARA – Très bien, je vous distribue à chacun des petites fiches. Il va falloir me les remplir. En attendant, pourriez-vous me donner vos numéros T.E. (note : numéro Tiers-Etat) s’il vous plaît?

PORTHOS  – Mais nous n’avons pas de numéros T.E. !

ARAMIS – CHHHHT!

CLARA – Attendez, vous n’en avez pas, ou vous ne vous en rappelez pas ? Parce que moi sans numéro T.E. je ne peux rien faire. Je ne peux pas avoir la main sur votre dossier.

ARAMIS – Comment fait-on pour avoir un numéro T.E. ?

CLARA – Ouh la la, vous me faites peur, là… Bon, on va essayer de vous retrouver via le logiciel. Quelle est votre profession ?

D’ARTAGNAN – Mousquetaires du roi.

CLARA – Mousquetaire du roi… Aïe Aïe Aïe, pourquoi ce n’est pas référencé, ça ? Attendez je recommence. Rrrah. Faut que je redonne mon code à chaque fois. Alors attendez, mousquetaires du roi…

PORTHOS – M-O-U-S-Q…

CLARA – J’essaye au pluriel…Hum…je ne vous trouve pas… (elle appelle en direction d’un autre bureau) Kristi !!!

KRISTINA – Quoi ?

CLARA – Pourquoi je n’arrive pas à trouver la case mousquetaires sur le logiciel ? (aux trois amis) Je suis désolée, on a changé de logiciel la semaine dernière, l’interface n’a rien à voir…

Kristina entre.

KRISTINA – Bonjour. Déjà, rentre ton code STP.

CLARA – Faut le faire toutes les cinq minutes, c’est dingue.

KRISTINA, prenant les commandes – Alors tu fais « entrer », puis tu ouvres l’onglet tout à gauche, et là, tu déroules, tu déroules tu déroules tu déroules, et là dans « fonction », normalement t’as le listing par ordre alphabétique de toutes les charges du royaume… et là… c’est quoi, « mousquetaires » c’est ça?

ARAMIS – Oui.

KRISTINA – Oui c’est bizarre ça y est pas.

CLARA – Oui, tu vois ! Y’a pas de numéro T.E. affilié!

KRISTINA – Ahhh, mais vous êtes mousquetaires, mais attendez c’est pour ça ! Monsieur, vous êtes gentilhomme ?

ARAMIS – Oui

KRISTINA – Ah non mais du coup vous n’êtes pas du tout au bon service !

CLARA – Attendez, il y a une chose que je ne comprends pas bien : vous n’êtes pas à la recherche d’une charge ou d’un métier si vous êtes déjà mousquetaires ?

PORTHOS remonté – Écoutez, on fait face à une restriction budgétaire, et dans l’état actuel des choses nous ne pouvons pas nous payer notre équipement pour partir en guerre contre les Anglais.

ARAMIS – Comme vous disait mon ami, nos soldes ont été baissées et comme on a un peu de temps avant de partir, on aurait voulu trouver une charge-à-durée-courte pour pouvoir payer notre équipement pour la guerre…

KRISTINA – Vous voulez dire que vous voudriez cumuler deux statuts?

D’ARTAGNAN – Non c’est…

ARAMIS – Oui, c’est cela, oui.

CLARA – Ça, ça me semble difficile, moi, non Kristi?

KRISTINA – Oui. Je suis sceptique. Attends, je demande à Anto. Anto!

ANTONIN – Ouaip. En entrant. Attention, je suis en pause là.

KRISTINA – Est-ce que c’est possible de faire un cumul de statuts quand t’es mousquetaire du roi et que tu cherches une charge-à-durée-courte ?

ANTONIN – Non non non, ça tu peux le faire quand t’es garde du Cardinal, mais tu ne peux pas le faire quand t’es mousquetaire du roi.

PORTHOS – Quoi ? Mais attendez pourquoi ?

ANTONIN – C’est une question technique. Le statut des gardes du Cardinal est un statut beaucoup plus souple. Parce qu’ils sont recrutés à la fois dans la noblesse ET dans le Tiers-Etat. Donc de fait leur catégorie est compatible à la fois avec nos services ET avec les services réservés aux charges nobiliaires. Et en plus, ils n'ont que des contrats à durée courte, eux, contrairement à vous. C'est ce qui les rend beaucoup plus flexibles ! C'est pour ça que leurs dossiers sont consultables sur n'importe quelle antenne, à n’importe quelle borne “charge et métier”. Alors que vous, les mousquetaires du roi, vous dépendez uniquement de la borne charge nobiliaire, et là c’est pas nous.

ARAMIS – Mais comment fait-on alors pour accéder aux bornes des charges nobiliaires ?

CLARA – Et pour accéder à la charge nobiliaire, il faut aller sur place...

ANTONIN – Par contre là ils sont en travaux pendant un mois...

CLARA – Oui, et c’est 2000 livres par personne pour l’ouverture du dossier.

D’ARTAGNAN – Mais précisément, c’est parce que nous avons besoin de ces 2000 livres que nous nous sommes adressés à vous…

PORTHOS – Non mais qu’est-ce que ça veut dire ? J’y comprends rien moi !

ARAMIS – Donc, ce que vous êtes en train de nous dire avec vos petits stylos et vos petits ordinateurs, c’est qu’on ne peut rien faire, c’est ça?

LES TROIS CONSEILLERS – Mais non, on ne vous dit pas qu'on ne peut rien faire, c'est une question technique, vous n'êtes simplement pas au bon service...

 


 

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