Les trois ou quatre mousquetaires d’après Alexandre Dumas
Marcelin
15 pages Le Journal pour Rire - 1853 - France Humour - Nouvelle
Intérêt: **
Publiée quelques années après Les trois
mousquetaires, cette excellente parodie est
signée Marcelin (pseudonyme d’Emile Planat, 1825-1887),
auteur à la fois du texte et des nombreuses
illustrations. Elle a été publiée dans Le Journal pour
Rire, « journal d’images, journal comique,
critique, satirique et moqueur ». Le récit
comprend douze petits chapitres plus une conclusion et
un épilogue, répartis sur les numéros 105 (1er octobre
1853), 106 (8 octobre) et 111 (12 novembre) du journal.
Il s’agit d’une
parodie toute simple. Le récit reprend les épisodes les
plus emblématiques de son modèle en leur infligeant un
traitement déformant, à base le plus souvent
d’exagérations monstrueuses. Par exemple, lors du
célèbre duel du début entre les quatre héros et les
gardes du cardinal, les protagonistes reçoivent l’aide
de leurs compagnies entières, les armées se mobilisent,
les provinces sont mises en alerte, l’Angleterre en
profite pour envoyer des troupes à La Rochelle, etc…
Rien de particulièrement subtil dans cette approche,
mais la qualité du texte tient à celle de l’écriture. La
description des trois mousquetaires tels que d’Artagnan
les découvre chez M. de Tréville à son arrivée à Paris
en donne un aperçu :
« A ses côtés se trouvaient trois personnages
étranges.
Le premier était un gentilhomme de haute taille et
de fière mine, qui pouvait bien avoir quinze pieds au
moins et vingt-cinq ans au plus; il avait les yeux
noirs, les cheveux noirs, la moustache noire ; son
feutre noir, à plumes noires, projetait une ombre
noire sur son pourpoint noir, ses chausses noires, son
linge noir, ses bottes noires, son âme noire, le tout
recouvert d'un grand manteau noir.
Du reste, on
lisait dans le blanc de son œil toujours levé au ciel
que ce gentilhomme portait le deuil de lui-même et
rien qu'à voir le bout de son nez rouge, on comprenait
qu'il noyait des douleurs infinies dans le vin bleu.
Il se livrait à un exercice assez singulier.
Son bras droit, détaché par quelque blessure,
semblait ne pas tenir à l'épaule ; il était mis en
mouvement par une ficelle correspondant à la main
gauche.
A ce bras tenait une épée.
A cette épée étaient déjà cloués une douzaine de
mousquetaires, dont le gentilhomme noir prenait la
place à mesure qu'il en clouait un nouveau.
Le second personnage, encore plus haut que le premier,
mais aussi large qu'il était haut, était du même âge,
mais plus réjouissant à voir. Il avait le nez
majestueux, les yeux perdus dans ses babouines, la
moustache dédaigneuse, six mentons, le teint fleuri et
l'air bête. Il portait un feutre jaune surmonté d'un
panache arc-en-ciel, un pourpoint rouge, des chausses
vertes et des bottes bleues.
Ce colosse
toussait, crachait, beuglait et menaçait d'avaler tous
les mousquetaires qui se trouvaient avant lui. En
attendant, pour s'entretenir la main, il jonglait avec
des poids, portait des cuirassiers à bras tendus, et
se livrait enfin à tous ces exercices qui, dans nos
temps de décadence, sont devenus le privilège exclusif
de quelques natures d'élite, de quelques mortels
favorisés des dieux qu'on nomme hercules du Nord.
Le troisième personnage était petit, petit, petit,
mais joli, joli, joli; il avait du rouge, du blanc et
des mouches; ses cheveux étaient accommodés avec soin,
et sa moustache coquettement relevée au fer; son
pourpoint était taillé dans le dernier goût, et ses
canons de la bonne faiseuse. Rien qu'à voir ce
délicieux petit gentilhomme, si menu, si coquet,
glissant sur ses pointes, les yeux baissés, mais
louchant en dessous, on devinait une vie toute confite
de charmants mystères et de pommade à la rose. »
Le texte comprend également des trouvailles comme
lorsque Athos lance le fameux « Tous pour
un ! Un pour tous ! » et que
d’Artagnan ajoute tout bas « Tous pour
moi ! » car il « avait son
idée » et il venait d’acquérir d’un seul
coup des amis et de l’argent au service de son ambition.
L'auteur Marcelin accompagne en outre son récit de
nombreuses illustrations fort réussies. Le Journal pour
Rire étant imprimé en très grand format, les pages sont
assez spectaculaires comme on peut le voir sur les
quelques exemples reproduits ici.
Bien dans l’esprit des « charges » de
l’époque, cette parodie fournit donc une lecture des
plus amusantes.
Merci à Gautier Piret de m’avoir
signalé ce livre
Extrait de la Conclusion aussi inattendue
que peu historique
Richelieu le
reçut avec un sourire qui parut de mauvais augure à
d’Artagnan.
- Monsieur d’Artagnan, lui dit-il, je suis vraiment
aise de vous voir. Voici justement un dossier qui vous
concerne, et que nous allons examiner ensemble, si vous
le voulez bien.
Et le cardinal se mit à lire les notes suivantes :
« D’Artagnan, mousquetaire : bon à
pendre. »
D’Artagnan s’inclina.
Le cardinal continua :
« A donné un coup d’épée à l’un de mes gardes
nommé Jussac. »
D’Artagnan s’inclina de nouveau.
« A donné un coup d’épée à un autre de mes gardes
nommé Bernajoux.
« A fait échouer ma négociation des diamants.
« A tué Milady mon agente. »
D’Artagnan s’inclinait de plus en plus, son nez
touchait la terre.
- Qu’avez-vous à répondre ? poursuivit Richelieu.
D’Artagnan déploya un papier, et lut à son tour :
« Tout cela a été fait par mon ordre.
« Signé Richelieu. »
Enfoncée
l’Eminence ! enfoncée l’Eminence !
- C’est bien, fit Richelieu, vous avez gagné la
première partie, mais permettez-moi de prendre ma
revanche.
A ces mots, saisissant un bâton qui se trouvait sur sa
table, il en appliqua à tour de bras une bonne volée sur
les épaules de d’Artagnan.
Quand il fut las de frapper, il lui présenta le bâton.
- Maintenant, monsieur, lui dit-il, ceci vous
appartient.
C’était un bâton de maréchal de France !!...
D’Artagnan se jeta à ses pieds.
- Nous voilà quittes, dit Richelieu ; la volée est
pour les tours que vous m’avez joués, et le bâton pour
la Rochelle que vous m’avez prise. Relevez-vous,
monsieur, et soyez sans crainte ; le cardinal de
Richelieu ne venge pas les injures du duc d’Orléans.
Et comme d’Artagnan se retirait :
- N’oubliez pas surtout, ajouta Richelieu, de me faire
tenir le mouchoir qui vous servait de drapeau, je le
veux faire blanchir à mes frais.
D’Artagnan, au comble de la joie, courut montrer son
bâton à ses bons amis.
Mais, ô incertitude des choses humaines, il ne les
retrouva plus, ses bons amis !
Certains que d’Artagnan ne sortirait pas vivant de son
entrevue avec le cardinal, Athos, Porthos et Aramis
avaient fait en son absence de sages réflexions ;
ils avait trouvé que cette vie, l’épée aux dents, le
pistolet au poing, et le derrière sur la selle, ne leur
avait en fin de compte rapporté que beaucoup d’honneur,
quelques betteraves et peu de profit, et ils avaient
résolu de retourner chacun dans leurs terres pour y
cultiver leurs goûts les plus simples :
- Moi, avait dit Porthos, je me fais hercule.
- Moi, avait dit Aramis, je me fais jésuite.
- Moi, avait dit Athos, je me fais sublime, et vais
prendre des jeunes vicomtes en pension.
Et les inséparables s’étaient séparés, chacun s’en
allant vers un point de l’espace.
D’Artagnan resta donc seul avec son bâton.
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