De plume et d’épée Roman Louis XIII
Hubert Monteilhet
444 pages Editions de Fallois - 1999 - France Roman
Intérêt: **
De plume et d’épée, Roman Louis XIII est le
premier d’une trilogie. Il a pour héros Arnaud
d'Espalungue, gentilhomme béarnais, au temps de
Richelieu. Le personnage est ambigu. Il passe du
protestantisme au catholicisme par intérêt, se laisse
acheter par un riche jeune seigneur qu'il devrait
affronter en duel (et qu'il finit par tuer malgré tout),
devient espion de Richelieu. Mais Espalungue a en même
temps des délicatesses, des états d'âme, des gestes
généreux.
Ainsi, il défend en
sous-main Anne d'Autriche contre Richelieu, il sauve une
religieuse de la prostitution, etc... C'est en quelque
sorte un d'Artagnan en plus réaliste. Le récit, très
vif, est fort bien écrit. Le registre est souvent leste,
vu les mœurs dévergondées de l’époque. Intrigue
centrale: les complots pour qu’Anne d’Autriche produise
enfin un héritier, étant donné le peu d’enthousiasme
qu’y met Louis XIII. Une affaire d’Etat dans laquelle
Espalungue joue un rôle de premier plan avec la
complicité de sa sœur, alors dame de compagnie de la
reine.
L'articulation avec Dumas est subtile. Le patronage de
l'écrivain est explicite au dos de la couverture:
« (livre) d'une audace et d'une
allégresse à faire pâlir Dumas ». La première
page s'ouvre sur la mort de d'Artagnan. Lui et les trois
mousquetaires sont aperçus de ci de là dans le livre,
sans plus. Plus subtil, l’intrigue destinée à faire
donner un enfant à Louis XIII en lui substituant le duc
de Beaufort est inspirée à Arnaud d'Espalunge par le
récit fait par d'Artagnan de sa nuit avec Milady. Et
l'image finale évoque une interprétation surprenante du
Masque de Fer. Mais finalement, il y a peu d'allusions
directes.
Au total, il s'agit d'un excellent roman, plein
d'invention, avec des personnages hauts en couleurs, et
une évocation crue et brutale de l'époque et de ses
mœurs.
Un deuxième volume, Les
cavaliers de Belle-Ile, Roman Louis XIV,
paru en 2001, se déroule vingt ans après le premier -
encore un clin d’œil. Espalungue est lancé par Mazarin à
la poursuite d’une lettre écrite par la reine Anne dans
laquelle elle confie bien imprudemment le secret de la
naissance de Louis XIV.
Comme dans le premier roman les allusions aux Trois
mousquetaires abondent. Espalungue évoque souvent
leur amitié. L’occasion se présentant, il tue l’homme
qui a jadis lui-même tué Athos en duel. Surtout,
d’Artagnan l’accompagne durant toute une partie de sa
quête. Mais avec un rôle de simple comparse, bien
inhabituel pour d’Artagnan. On ne voit celui-ci prendre
aucune initiative ni faire progresser l’action par
lui-même. Porthos figure également. Autres allusions au
roman de Dumas: une aventurière anglaise, lady Merrick,
est une copie conforme de Milady, marque au fer rouge
sur l’épaule comprise. La fin du roman, à Belle-Ile,
renvoie évidemment à celle du Vicomte de Bragelonne.
Enfin, la parodie de procès précédant l’exécution d’un
infâme agent anglais est évidemment inspirée par le
pseudo procès de Milady à la fin des Trois
mousquetaires.
Comme pour le premier volume de la série, celui-ci est
excellent, même si le lien avec Dumas demeure de l’ordre
de la citation.
Troisième volume, enfin, de cette trilogie (encore un
écho à celle des Mousquetaires de Dumas): Au
royaume des ombres, Roman carcéral XVIIème, paru
en 2003. Il s’agit cette fois d’extraits du journal
d’Arnaud d’Espalungue. On y découvre une nouvelle
version de l’affaire de l’homme au masque de fer.
Comme dans les deux
premiers volumes, l’intrigue tourne autour du complot
monté en son temps pour donner un héritier à la couronne
de France. Dans De plume et d’épée, on voyait le
duc de Beaufort se dévouer pour faire un enfant à Anne
d’Autriche et dans Les cavaliers de Belle-Ile,
il s’agissait d’empêcher le secret de sortir au grand
jour. Cette fois, c’est Louis XIV lui-même, l’enfant
royal issu de cette relation illégitime, qui est au cœur
de l’action. A sa mort, la reine laisse en effet à
Espalungue la tâche peu enviable de révéler au jeune roi
que son père n’est pas son père… Sous le choc, Louis XIV
charge Espalungue de procéder à l’arrestation de
Beaufort et à sa mise au secret à Pignerol, la priorité
étant d’ôter au duc toute possibilité de révéler au
monde qu’il est le vrai père du roi. Une tâche qu’Arnaud
n’accepte qu’à contrecœur car il est ami intime de
Beaufort, mais il ne veut pas risquer la défaveur
royale. Ce que ses amis d’Artagnan, Aramis et Porthos
lui reprochent vertement. Beaufort, constamment masqué
(même si ce n’est pas un masque de fer), vit donc à
Pignerol tout comme Fouquet, qui est assassiné sur ordre
de Louis XIV. Désireux d’adoucir le sort de Beaufort,
ses amis imaginent de le faire sortir de la forteresse,
Porthos prenant sa place.
Toujours aussi remarquablement écrit, ce troisième roman
complète une fort belle trilogie. Le rapport avec celle
de Dumas demeure le même, finalement assez original: de
multiples références explicites ou implicites (dans ce
dernier volume, on assiste entre autres à la mort
d’Aramis et de d’Artagnan, le corps de ce dernier étant
ramené sous les balles ennemies par Espalungue et
Porthos) mais pas de lien véritablement fort au niveau
de l’intrigue. Si les quatre mousquetaires apparaissent
souvent, c’est essentiellement au titre de figurants.
Dit autrement: les romans de Monteilhet sont extrêmement
solides par eux-mêmes et n’ont nul besoin de s’appuyer
sur ceux de Dumas. Les clins d’œil à ce dernier sont de
simples hommages, bienvenus mais nullement
indispensables.
Extrait du chapitre 9 de De plume et
d’épée
Le service du Palais était en dents de scie.
Nombreux jours de détente ou de repos, mais présence
ininterrompue, de jour comme de nuit, chaque fois qu'un
coup de collier s'imposait.
Lors des sorties du Cardinal, l'escorte était
constamment sur les dents, de peur d'un attentat ou d'un
rapt, et tout spécialement lorsqu'il s'agissait de
sorties imposées et annoncées, où tous les assassins de
France, d'Europe et de Navarre risquaient d'être au
rendez-vous. On scrutait les itinéraires possibles, on
calculait des variantes pour dérouter d'éventuels
agresseurs, on était aux aguets, durant le parcours, de
la moindre anomalie suspecte. Et en permanence, dedans
comme dehors, le risque du poison, la hantise du coup de
couteau d'un familier ou d'un fanatique négligemment
introduit auprès du Maître. L'alerte d'Amiens, qui
demeurait secret d'État, avait rendu le Cardinal plus
méfiant que jamais. Ce n'était pas une sinécure que de
veiller sur les jours de l'homme le plus détesté de
France !
D'ordinaire, si le Cardinal n'allait point voir le roi,
difficile à saisir en raison de ses perpétuelles
activités cynégétiques, il se rendait pour changer d'air
à la splendide maison de campagne de Rueil, où le Père
Joseph était lui-même fréquemment accueilli. C'étaient
également les hommes de Richelieu qui avaient mission de
protéger le moine, lequel n'arrêtait pas de bouger, et
le contraste était plaisant entre le pauvre froc et le
carrosse ou la litière à chevaux, accompagnés de leurs
laquais en livrées grises et vertes, qui les faisaient
ressembler à de gros perroquets promenant leur cage. Car
le Père Joseph, en recevant dispense pour les véhicules,
avait reçu dispense pour les laquais du même coup !
Ainsi que Tréville me l'avait laissé prévoir, il y avait
un peu n'importe qui parmi les gardes ou les
mousquetaires du Cardinal, la bonne noblesse n'y étant
représentée que par des déclassés. Si fier de son
élévation, Richelieu n'avait aucun préjugé dès qu'il
s'agissait d'obtenir des résultats, et le maintien de
son existence les conditionnait tous. Comme partout,
mais plus qu'ailleurs, un vif esprit de corps s'était
développé, la conscience d'"être" au Cardinal, ainsi
qu'on disait en un temps où les relations personnelles
d'homme à homme, fruits de longs siècles de féodalité,
commandaient encore les rapports. Et l'autorité de
Richelieu sur sa Maison était d'autant plus forte qu'il
mettait, en quelque manière, une qualité de suzerain au
service de l'État dont il tenait les rênes.
Nous avions le sentiment d'appartenir à un ministre
omniscient et tout-puissant, dont nous pouvions attendre
la mort en cas de défaillance, mais dont on pouvait
espérer le meilleur à force de zèle. Certains partaient
pour de mystérieuses missions, dont ils revenaient
bouche cousue... ou ne revenaient point. Un air assez
pesant se respirait chez nous, où une forte solidarité
se tempérait d'intrigues, chacun essayant de se pousser
sur les brisées du voisin. La méfiance régnait. Tel
maître, tels serviteurs.
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