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Fred Duval : « Sortez Dumas par la porte, il revient par la fenêtre ! »

 

Fred Duval est le scénariste de deux séries de bandes dessinées mettant en scène les mousquetaires, dont la parution s’achève l’été 2020. La première, Mousquetaire, comprend les tomes 1, 2, 3 et 4. La seconde, Le dernier mousquetaire, comprend les tomes 1 et 2. L’auteur explique dans une interview accordée à pastichesdumas comment il a cherché à placer ses mousquetaires dans un contexte plus proche de la réalité historique – sans réussir, au bout du compte, à échapper à Dumas !

(interview recueillie le 30 juillet 2020)

 

Comment en êtes-vous arrivé à écrire en même temps deux histoires très différentes de mousquetaires ?

En fait, c’est un peu un hasard, ces deux publications en parallèle. Au départ, mon intérêt est plus pour le XVIIème siècle et le début du XVIIIème et je suis arrivé à tout ça par Molière, pas par Alexandre Dumas ! Dumas,  je l’ai lu évidemment, il y a longtemps, j’ai vu les films, j’ai lu les romans, etc., mais ce qui m’a plongé dans cette époque, c’est l’adaptation du Tartuffe de Molière (parue en 2008 chez Delcourt). J’ai une formation d’historien. A la fac, j’étais plutôt spécialiste du XIXème et du XXème mais voilà, je me suis pris de passion pour le siècle de Louis XIV, pour Colbert, Vauban, toutes ces transformations. En me documentant sur les mousquetaires, je suis tombé sur les livres d’Odile Bordaz consacrés au vrai d’Artagnan et je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire avec ça. Quelque chose qui ne s’inspirerait pas de Dumas mais qui parlerait de grandes cavalcades, de grandes aventures, dans un contexte historique un peu plus proche de la réalité. Dumas s’arrange évidemment avec quelques points de l’Histoire et moi j’ai eu envie de traiter un d’Artagnan réaliste, en partant de ce que l’on sait sans rien inventer le concernant. Il s’agissait d’utiliser tout cela dans la série Mousquetaire mais en le ramenant au bout du compte dans une aventure à la Dumas.  

Pour faire cette série, je me suis beaucoup documenté sur l’époque. Par ailleurs, depuis 2000 je participe avec Jean-Pierre Pécau à la série uchronique Jour J (chez Delcourt). On est toujours à la recherche de sujets. Or, l’uchronie est un exercice qui demande une très bonne connaissance du contexte historique réel. Nous n’avions pas traité du tout le règne de Louis XIV, je me suis donc pris au jeu d’utiliser les connaissances que j’avais acquises pour Mousquetaire pour faire Le dernier mousquetaire, un récit où l’Histoire aurait été déviée, tout en restant dans une certains rigueur historique.

Fred Duval
Photo © Chloe Vollmer-Lo

Vous dites que vous vous inspirez de la réalité historique dans la série Mousquetaire, mais les aventures que vous faites vivre à vos personnages sont tout de même parfaitement imaginaires, non ?

Tout ce qui concerne les personnages inventés pour la série, Alexandre de Bastan, Eloïse de Grainville, est imaginaire. Tout ce qui concerne d’Artagnan est vrai : l’arrestation de Fouquet, sa participation à la révolte du Vivarais, le siège de Maastricht où il meurt… Tout cela nous avons essayé de le reconstituer le plus fidèlement possible, sachant qu’il y a toujours des erreurs. Mais bien sûr, on ne peut pas savoir s’il était copain avec une empoisonneuse comme dans Mousquetaire.

Votre démarche n’est donc en fait pas très différente de celle de Dumas qui s’appuie sur un contexte historique réel et imagine ce qu’il faut pour faire vivre des aventures palpitantes à ses personnages ?

Oui mais par exemple chez Dumas les mousquetaires sont plutôt opposés à Richelieu qui cherche à discréditer la reine alors qu’en réalité, ils n’étaient pas du côté du roi. Donc, oui, on est proche d’une démarche à la Dumas mais le jeu c’est d’être un peu plus dans la réalité historique.

Vous donnez une image très noire des mousquetaires. On voit par exemple d’Artagnan commettre un assassinat pur et simple à la plus grande stupéfaction de la jeune recrue Alexandre…

Les mousquetaires étaient un corps très fidèle au roi et exécutaient les ordres qu’on leur donnait. Evidemment, il n’est pas avéré que d’Artagnan a tué des gens de sang froid. Mais à propos de la révolte du Vivarais, il y a des témoignages où lui-même ne dit pas qu’il a participé à des exactions mais il les commente et ne les condamne pas. Je me suis amusé à décrire d’Artagnan tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Pour dire les choses par un autre bout, je pars du principe qu’il est impossible de rivaliser avec la démarche de Dumas. Quitte à faire des histoires de mousquetaires en 2020, il faut s’en inspirer mais ne surtout pas essayer de retrouver sa verve, parce que c’est impossible.

Vous voulez dire que l’on ne peut pas refaire du Dumas aujourd’hui, tout simplement ?

On peut peut-être mais je n’en avais pas envie, parce que je serais certain de faire moins bien. Proposer un sujet comme celui de Mousquetaire en le traitant comme Dumas l’a fait, est-ce que ce serait utile ? Je n’ai pas la prétention de rivaliser avec Dumas. On peut s’en inspirer, bien sûr, quand on fait de l’aventure. C’est une référence absolue. Si on fait une histoire d’évasion, on ne va pas la faire dans le contexte de Monte-Cristo, on va la faire dans un autre contexte mais on peut utiliser Dumas pour ses schémas parce que Dumas c’est comme Molière, c’est comme Shakespeare, il fait partie des grands, grands classiques dont tous les scénaristes, tous les romanciers d’aventure s’inspirent. Mais refaire l’histoire des mousquetaires comme Dumas l’a faite, ça n’a aucun intérêt à mon sens.

Je suis donc parti du principe que l’on allait garder le contexte historique et essayer d’avoir le corps des mousquetaires le plus fidèle possible dans les limites de la connaissance historique. Par exemple, Dumas, pour des raisons de convenance et aussi de documentation de l’époque, fait naître d’Artagnan plus tôt qu’en réalité parce que ça l’arrange, ça lui permet de le faire se croiser avec Richelieu alors que ce n’était pas possible en réalité.

Vous corrigez les erreurs historiques de Dumas, en quelque sorte ?

Dumas n’a pas fait des erreurs historiques, il a joué avec l’Histoire, comme ça nous arrive à tous. Son ambition n’était pas historique, il faisait un roman d’aventures.

Mais au bout du compte, le résultat que vous obtenez n’est pas de nature franchement différente de celui de Dumas ! Dans les deux cas, il y a toute une trame historique sur laquelle se greffe une aventure. Vos mousquetaires à vous vivent toutes sortes d’aventures parfaitement imaginaires.

Oui bien sûr. J’ai juste essayé d’être un peu plus dans l’Histoire à propos des trois mousquetaires. C’est amusant, en fait, de jouer avec ça.

Le paradoxe, c’est que si l’on s’intéresse encore un peu aujourd’hui à la réalité historique des quatre mousquetaires, c’est uniquement à cause de Dumas, parce ce sont des personnages historiques de faible importance. Odile Bordaz n’aurait probablement jamais écrit ses livres sur le vrai d’Artagnan si Dumas n’était pas passé par là !

Ça c’est sûr. C’est Dumas qui l’a popularisé, qui en a fait un personnage ancré dans la culture populaire.

A propos de respect de la réalité historique, on change totalement de registre avec Le dernier mousquetaire, puisque la trame de l’Histoire n’est plus la même… Qu’est-ce qui vous a amené à faire diverger l’Histoire en faisant mourir Louis XIV enfant pendant la Fronde ?

Quand on écrit une uchronie, on cherche le point de divergence le plus avantageux, le plus spectaculaire possible. Là, la question était : et si Louis XIV n’avait pas existé ? Il fallait donc le faire mourir jeune. Ensuite, c’est un jeu de construction intellectuelle. On sait que pendant la Fronde, la vie du jeune roi aurait pu être menacée. Et j’ai trouvé amusant, sans en avoir la certitude, que d’Artagnan soit du voyage pendant lequel le roi est assassiné. Il est très probable qu’il faisait partie de la protection rapprochée du jeune Louis, ce qui expliquerait la complicité qui a existé entre les deux hommes. J’ai donc trouvé intéressant sur le plan dramatique de faire de d’Artagnan le responsable de la mort du roi : il boit un verre de trop, il y a des truands qui arrivent et le jeune Louis meurt. C’est le point de divergence. Et ensuite, on regarde ce que seraient devenus les princes, Condé et les autres. On regarde point par point comment ils se seraient comportés. Ça demande de bien connaître son sujet. Dans une uchronie, on ne peut pas faire n’importe quoi avec les personnages : on peut imaginer comment ils auraient évolué dans ce nouveau contexte historique mais on ne peut faire blanc un personnage noir.

Dans Le dernier mousquetaire, la situation de d’Artagnan est dramatique : c’est une épave, il a raté sa mission et sa vie…

Il a sur la conscience la mort du roi ! Mais il reste fidèle à Mazarin et il attend ses ordres. En attendant, il devient un simple maître d’armes, un type modeste que tout le monde oublie. C’était intéressant d’avoir un d’Artagnan dont plus personne ne se souvient.

On voit Porthos et Aramis réapparaître de façon inattendue…

Oui, et plausible parce que dans la réalité ils étaient protestants. Donc, si l’on imagine qu’il y a une inquisition anti-protestants dans le sud-ouest de la France, avec un deuxième siège de La Rochelle, on peut se dire qu’ils auraient été volontaires pour défendre la ville, c’est plausible.

On assiste donc à la dernière mission des mousquetaires, il y a une mort grandiose de Porthos, c’est un clin d’œil à sa mort dans Le vicomte de Bragelonne ?

Même pas ! Je me suis fixé une règle : ne pas relire les romans de Dumas avant de faire ces albums. Parce que l’ami Dumas prend beaucoup de place ! Je n’ai donc des souvenirs que de mes lectures d’adolescents ou de jeune adulte. Maintenant que le travail est fini, je vais enfin relire la série de Dumas ! En tout cas, la mort de Porthos dans Le dernier mousquetaire n’est pas un clin d’œil.

Il y a pourtant un certain parallèle entre le Porthos de Dumas qui meurt écrasé à Belle-Ile en sauvant ses amis et le vôtre qui meurt criblé de balles dans un couloir du Louvre en sauvant la vie du roi…

C’est vrai. C’est cette force de la nature qui va fatalement se sacrifier pour sauver ses amis. C’est un modèle, on retombe toujours dans des schémas dramatiques.

Oui mais là encore, c’est Dumas qui a fait de Porthos une force de la nature, ça n’était certainement pas le cas dans la réalité. On revient donc toujours au mythe créé par Dumas.

Tout à fait. En fait on peut parler de Dumas comme d’une source. Il a tellement établi de schémas dans la dramaturgie d’action, dans le récit d’aventure qu’il fournit une grille. Donc, oui, même si on veut s’éloigner de lui comme c’était mon cas, on se rend compte que finalement il revient. On sort Dumas par la porte, il revient par la fenêtre !

Propos recueillis par Patrick de Jacquelot

 

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