Tim Mendees: « Dumas et Lovecraft restent
incroyablement influents aujourd’hui »
Le Britannique Time Mendees a coordonné l’anthologie The
Three Musketeers Vs. Cthulhu in the Court of King
Louis, dont il a écrit l’une des quinze
nouvelles. Auteur d’une oeuvre abondante dans la lignée
des écrits de Lovecraft, il explique dans une interview
à pastichesdumas sa passion pour le genre du
« mashup » dans lequel on fait se rencontrer
des univers littéraires complètement différents les uns
des autres. Les auteurs impliqués dans le projet,
affirme-t-il, ont tellement aimé imaginer la
confrontation entre les mousquetaires de Dumas et les
monstres de Lovecraft que bon nombre d’entre eux veulent
poursuivre dans cette voie! Plus d’informations sur Tim
Mendees et son travail sur son
site.
(interview recueillie le 22 novembre 2022)
Voir la version originale en anglais de
cette interview – original version in English
Comment vous est venue cette idée folle de
faire se rencontrer les mondes des Mousquetaires et de
Cthulhu?
Mon
domaine, c’est la fiction lovecraftienne. Mais j’aime
énormément les mélanges (« mashups ») que l’on
peut faire avec. Parce que la dimension d’horreur
cosmique de ce genre d’histoires, vous pouvez l’injecter
dans à peu près n’importe quoi d’autre. Et c’est
extrêmement amusant de prendre deux choses que
normalement on ne verrait jamais ensemble et de les
faire se rencontrer.
L’éditeur Black Ink Fiction cherchait un projet. Ils
avaient déjà faits d’autres anthologies « Vs »
et ils m’ont approché en me demandant si j’avais une
idée. Il se trouve que j’avais re-regardé auparavant un
vieux film des Trois mousquetaires, celui fait
en 1973 par Richard Lester avec Oliver Reed, qui est une
splendeur! Cela m’avait donné l’idée d’écrire une
histoire qui combinerait les ferrets de la reine et le
« shining trapezohedron » de Lovecraft, cette
pierre extraterrestre qui permet de faire venir sur
Terre Nyarlathotep, l’un des Grands Anciens. Je me suis
dit: « voilà une histoire qui s’écrit toute
seule! » J’avais donc cette idée derrière la tête
depuis un moment. Alors quand Black Ink Fiction m’a
demandé si j’avais une idée pour une anthologie mashup,
j’ai tout de suite pensé à ça. Mais je me demandais s’il
y aurait d’autres auteurs prêts à faire quelque chose de
similaire en mettant ensemble les mousquetaires et
Cthulhu. J’ai donc demandé à quelques auteurs amis s’ils
auraient des idées ou bien s’ils pensaient que mon
projet était complètement stupide. Et en fait tout le
monde a semblé très excité! Alors je me suis lancé. J’ai
écrit une présentation du projet et j’ai reçu bien plus
de textes que je n’aurais imaginé.
Ce qui est surprenant, c’est que les deux auteurs sont
complètement différents: le monde de Lovecraft est
sombre, plein de monstres et d’horreurs, tandis que
celui de Dumas est gai, plein d’amour de la vie… On
pourrait croire qu’ils n’ont rien en commun.
C’est tout à fait vrai. Et c’est justement pour ça que
j’aime faire ce genre de choses. C’est vraiment comme si
vous aviez à la fois les forces antagonistes de la lumière
et de l’obscurité. Vous avez cette joie de vivre chez
Dumas et cette terreur existentielle chez Lovecraft. Cela
crée une confrontation spontanée. Et vous pouvez combiner
les intrigues, les aventures de Dumas et les adeptes des
sectes de Lovecraft. Les possibilités sont illimitées!
Il semblerait qu’il y a trois personnages de Dumas qui
sont prêts à basculer du côté obscur: Richelieu, Aramis
et surtout Milady. Cette dernière est la
« candidate » la plus évidente pour se rallier
à Cthulhu?
Oui. Je crois que c’est parce que, tout particulièrement
dans les films et les adaptations télévisées, elle
apparaît toujours comme très manipulatrice, oeuvrant dans
l’ombre… Elle est intelligente, sournoise, et son
personnage a également du glamour, ça séduit les auteurs.
On peut en faire une « méchante » romanesque. En
ce qui me concerne, dans ma nouvelle The stone, the
serpent, and the man of god, je voulais poser la
question: et si la raison pour laquelle Athos a voulu tuer
Milady, ce n’était pas parce qu’elle avait une fleur de
lys sur l’épaule? Si c’était parce qu’il avait découvert
qu’elle était quelque chose de « différent »?
Chez Lovecraft, il y a plein de races et de créateurs qui
peuvent se faire passer pour des humains mais qui font des
allégeances très différentes… Je me suis dit que ce serait
un thème intéressant à explorer.
Dans les nouvelles de l’anthologie, Aramis peut parfois
se rallier aux forces du mal, mais aucun des trois
autres mousquetaires. Il semble que personne ne puisse
imaginer d’Artagnan comme zélateur de Cthulhu…
En effet, c’est intéressant, personne n’a fait cela. En ce
qui concerne Aramis, je crois que c’est à cause de son
inclinaison religieuse. Que se passerait-il s’il était
adepte d’une religion plus ancienne et plus dangereuse?
C’est plus facile de faire cela avec lui qu’avec Porthos
ou d’Artagnan.
En fait, Porthos est le héros inattendu de plusieurs
nouvelles du recueil. Avec-vous une explication?
Oui, j’en ai une! Nous avons fait une table ronde pour le
lancement du livre et Chris Soucy, l’auteur de Porthos
in peril, a dit que Porthos était généralement mis
de côté, qu’on le considérait comme moins important dans
l’intrigue qu’Athos ou d’Artagnan. Du coup, il a voulu le
mettre au coeur de sa nouvelle. C’était une décision
assumée d’utiliser un personnage qui n’avait pas été
exploité autant que les autres. En fait, j’ai l’impression
que beaucoup de nos auteurs se sont dit que tout le monde
allait se focaliser sur d’Artagnan et ils ont donc choisi
quelqu’un d’autre. Et au bout du compte, personne ne s’est
centré sur d’Artagnan!
Savez-vous si Lovecraft était un lecteur des romans
de Dumas?
Il mentionne Dumas brièvement dans une lettre à August
Derleth, donc nous savons qu’il l’avait lu. Il a grandi en
lisant Les mille et une nuits, il lisait beaucoup
cette littérature classique. On n’en sait pas beaucoup
plus. Donc, nous savons qu’il a lu Dumas mais pas ce qu’il
en pense.
Avez-vous d’autres projets liés à Dumas?
Oui. J’envisage sérieusement d’écrire un texte plus long,
dans le prolongement de ce volume. Une novella, ou
peut-être même un roman. Ce qui est vraiment intéressant,
c’est que beaucoup d’auteurs impliqués dans notre projet
ont tellement aimé qu’ils veulent continuer. Je n’ai
jamais vu cela arriver avec les autres anthologies
auxquelles j’ai été associé. Les gens ont vraiment été
séduits par le concept. Cette façon de rassembler deux
icônes de la littérature, cela ouvre des possibilités
infinies.
Ces nouvelles histoires utiliseraient de nouveau les
mousquetaires, donc, mais pourquoi ne pas faire quelque
chose avec Monte-Cristo?
C’est quelque chose dont nous avons discuté avec l’un des
auteurs! C’est une bonne idée, je vais y réfléchir…
Plus généralement, Dumas est-il une source
d’inspiration pour vous de façon régulière?
Il est bien présent. Mes grand-parents avaient Les
trois mousquetaires et j’ai lu le livre quand
j’étais enfant. Ensuite, j’ai vu les films. On y jouait
dans le jardin! Dumas a inspiré beaucoup des récits de
cape et d’épée. Même quand vous ne l’avez pas lu, vous en
avez les éléments par osmose. J’aime aussi beaucoup le
concept de l’équipe, les relations que les quatre
mousquetaires ont entre eux. Cela donne une excellente
dynamique. Si vous avez un seul héros, il n’a personne
avec qui échanger des idées. Deux personnes: oui, ils
peuvent avoir une conversation… Mais avec quatre, vous
avez des contradictions, des conflits, des conflits
amicaux, des querelles, et ça donne de bonnes histoires.
J’aime avoir ce genre de dynamique dans mes récits. Et
voir différentes personnes se réunir pour une noble cause
comme empêcher Cthulhu de sortir de la mer!
Quand vous parlez des histoires de Dumas, il semble que
vous faites allusion aux films plutôt qu’aux livres,
n’est-ce pas?
Oui, il y en a tant! Même s’il faut bien reconnaître que
la plupart sont très mauvais! J’ai aussi lu les livres.
Mais j’ai vu les films à un âge où cela m’a incité à lire
les livres.
Dans le milieu de vos collègues écrivains et de vos
fans, lit-on encore Dumas?
Oui, tout à fait. Je fais partie de nombreux groupes de
lecture sur les réseaux sociaux. Il y avait une
discussion, voici quelque temps, à propos des romans de
cape et d’épée. Quelqu’un a demandé: « pouvez-vous
recommander un livre d’aventure? » Et plein de
réponses disaient: « retournez à Dumas! » Il est
donc toujours là. Dans de nombreux romans de fantasy, par
exemple, vous pouvez voir qu’ils ont le même genre de
toile de fond, des intrigues de cour, il y a un lien
direct entre Dumas et tout cela. Il est incroyablement
influent. Et c’est la même chose avec Lovecraft: dans à
peu près tous les domaines des histoires d’horreur, il y a
un lien direct avec Lovecraft et, à travers lui, avec des
gens comme Edgar Allan Poe.
Avec-vous d’autres projets mêlant Lovecraft à d’autres
grands écrivains?
Oui. J’ai écrit une novella qui mélange Lovecraft avec The
wind in the willows. Ca s’appelle The madness in
the willows… C’est complètement ridicule mais
qu’est-ce que je me suis amusé à l’écrire! J’ai aussi fait
des mashups qui sont des « quasi » Sherlock
Holmes. Et je prévois en ce moment une nouvelle anthologie
similaire à The Musketeers Vs. Cthulhu qui sera
composée de divers mashups, que les auteurs pourront
choisir. S’ils veulent faire une histoire inspirée de
Dickens, qu’ils le fassent. S’ils préfèrent Shakespeare,
très bien! Ca devrait être amusant.
Propos recueillis par Patrick de Jacquelot
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