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J. Trevor Robinson : « trouver la bonne espèce de monstre en laquelle transformer Monte-Cristo a nécessité beaucoup de brainstorming ! »

 

Agé de 34 ans, le Canadien J. Trevor Robinson est l’auteur de The mummy of Monte Cristo, version « mashup » du Comte de Monte-Cristo, c’est-à-dire d’une réécriture du roman de Dumas suivant de très près l’original en y ajoutant d’importants éléments fantastiques. Dans une interview accordée à pastichesdumas, il explique la démarche qui l’a amené à transformer Monte-Cristo en momie dans le style des films d’horreur du siècle dernier…
(interview recueillie le 28 août 2021)

Voir la version originale en anglais de cette interview – original version in English

Comment avez-vous eu cette idée saugrenue de transformer Monte-Cristo en momie ?

C’est le résultat de beaucoup de brainstorming ! Au début, je voulais savoir si je serais capable d’écrire un « mashup » d’un roman quelconque à la manière de Pride and prejudice and zombies. J’ai donc commencé à réfléchir aux livres classiques que j’avais lus et aimés. Le comte de Monte-Cristo est très vite monté en haut de la liste. Ensuite, il a fallu trouver la bonne espèce de monstre à introduire au cœur du récit. Au début, je ne pensais absolument pas à une momie. J’ai essayé d’utiliser des créatures du folklore français en hommage au cadre du livre. J’ai découvert des êtres très étranges dont je n’avais jamais entendu parler comme le carcolh, cet escargot géant tueur qui vit dans une caverne et a des tentacules qui s’étendent sur des kilomètres. Je suppose que c’est une légende très, très locale. J’ai réfléchi à cette idée pendant un petit moment… Puis mon épouse m’a très justement fait remarquer qu’il vaudrait probablement mieux utiliser un monstre dont davantage de gens auraient entendu parler !

J’ai alors envisagé d’utiliser un « blob » comme on en voit dans les films d’horreur des années 50, où ces masses gélatineuses se répandent dans toute une ville. Personne n’aurait réalisé que Monte-Cristo était en fait un blob portant un costume humain… Et puis un jour nous regardions le film The mummy de 1999 avec Brendan Fraser et Rachel Weisz et ça a été le déclic : l’idée de vengeance et celle de la malédiction de la momie allaient bien ensemble, la momie, dans la plupart des histoires de la culture populaire dispose d’un vaste trésor, ce qui colle bien avec Edmond trouvant le trésor de Monte-Cristo… Tout s’est mis en place.

Vous n’avez pas pensé à faire de Monte-Cristo un vampire ?

J’y ai réfléchi. Le fait est qu’un vampire semble assez cohérent avec le comportement du comte. Dans le texte original, il y a d’ailleurs des comparaisons faites entre lui et un vampire. Mais il y avait déjà plein de fictions sur le thème du vampire à l’époque où je réfléchissais à tout cela. Je n’avais pas forcément envie d’être comparé à Twilight. Et heureusement que je n’ai pas choisi de transformer Monte-Cristo en vampire parce que peu avant la date de parution de mon livre, j’ai découvert l’existence de The vampire count of Monte Cristo ! Ce qui est drôle, c’est que dans mon livre il y a un gag récurrent sur le fait que les vampires sont à peu près les seules créatures qui n’existent pas et personne ne croit en eux, alors que tous les autres monstres sont bel et bien réels.

Fondamentalement, vous avez donc choisi de baser votre livre sur Le comte de Monte-Cristo parce que c’est l’un de vos préférés ?

C’est ça. Je l’ai lu pour la première fois quand j’avais 18 ou 19 ans. Mes parents et moi nous nous rendions sur la côte Ouest du Canada. Je voulais emporter un bon gros livre pour le voyage. Je suis allé dans une librairie regarder la section des romans classiques. Il y avait un gros choix de Penguin Books. J’ai lu la description au dos du Comte de Monte-Cristo : j’ai vu les mots vengeance, trésor, aventure, intrigue, je me suis dit que ça avait l’air bien ! Et quand je me suis plongé dedans, j’ai été absolument captivé. Je suis bien content d’avoir choisi cette édition parce qu’il y avait des notes au bas de quasiment toutes les pages expliquant les références culturelles faites par Dumas, qu’un garçon canadien de 19 ans au XXème siècle ne comprendrait pas forcément à moins d’avoir étudié l’histoire de France. Par exemple, j’ai été extrêmement étonné par Napoléon revenant d’exil et se retrouvant de nouveau exilé peu après. Ca ressemble à du roman mais c’est de l’Histoire !

Vous dites que vous avez voulu écrire un livre dans l’esprit de Pride and prejudice and zombies, mais il y a une grande différence entre ce livre et le vôtre : Seth Grahame-Smith a utilisé exactement le texte de Jane Austen en y insérant quelques éléments fantastiques, alors que vous avez procédé à une réécriture complète de Dumas. Pourquoi cela ?

Et bien, ça ne m’est pas venu à l’idée de prendre le texte d’origine et d’ajouter simplement quelques scènes. Au début, je travaillais sur une copie du texte du Comte de Monte-Cristo que j’avais téléchargée, en avançant scène après scène et en essayant de rester très proche de ce qui se passe dans chaque chapitre. Mais je faisais déjà une réécriture pour ne pas simplement recopier. Cela me semblait la bonne façon de procéder pour moi. Et puis, dans la deuxième version, je me suis rendu compte que je pouvais faire les choses de façon très différente dans tel ou telle composante de l’intrigue, je pouvais supprimer complètement certains personnages comme l’épouse et le fils de Villefort…

Vous vous êtes donc retrouvé à tout réécrire…

Je crois que j’ai laissé ici ou là quelques citations ou descriptions mais pour l’essentiel, oui, j’ai essayé de réécrire, reformuler, parfois élaguer… Une des choses que j’ai apprises en faisant ce travail, c’est que Le comte de Monte-Cristo est paru à l’origine en feuilleton et que Dumas était payé au mot. On comprend mieux pourquoi certaines conversations tournent en rond !

Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de faire arriver Napoléon au pouvoir suprême grâce à une victoire sur des armées de zombies ?

Quand j’ai lu Monte-Cristo, je ne connaissais rien à la Révolution française, à Napoléon… J’ai donc commencé à faire un peu de recherche pour mieux comprendre le contexte du roman et j’ai rapidement compris deux choses. D’abord, que ce contexte était beaucoup plus complexe que ce que l’on peut voir dans deux ou trois notes de bas de page. Ensuite, j’ai réalisé qu’en reprenant l’histoire je pouvais ajouter davantage d’éléments d’horreur. Dans le monde réel, Napoléon arrive au pouvoir grâce à des manœuvres politiques complexes. Mais je pouvais lui faire battre des monstres et être porté au pouvoir par la gratitude de la population. J’ai donc remplacé la Révolution française par le soulèvement des zombies, ce qui conduit à toute l’intrigue autour de Danglars.

La plupart des « méchants » de votre livre deviennent monstrueux (Benedetto mange de la chair humaine, Villefort boit du sang, Morcerf aspire l’énergie vitale de ses victimes…). Danglars est la seule exception. Pourquoi ? Est-ce parce qu’il était déjà tellement monstrueux qu’il n’était pas nécessaire d’en rajouter ?

En quelque sorte, oui. Bien sûr, Villefort est encore entièrement humain, physiquement, mais il commence à se comporter comme un monstre. Conserver complètement humain l’un des principaux méchants, celui qui en fait se révèle être le pire de tous, fait un contraste intéressant avec les éléments fantastiques. Il utilise évidemment des moyens monstrueux pour arriver à ses fins mais il demeure fondamentalement quelqu’un de profondément horrible et il n’a pas la moindre excuse surnaturelle pour cela. Il y a des gens qui sont comme ça !

Le Monte-Cristo de Dumas se transforme en homme suprêmement puissant mais demeure un homme. A la fin du roman, toutefois, il se demande s’il n’est pas devenu un peu monstrueux à force de pousser si loin sa vengeance. Votre Monte-Cristo saute le pas tout de suite : il ne pourrait pas assouvir sa vengeance sans devenir d’abord un monstre. Cela veut-il dire que votre roman est beaucoup plus noir que celui de Dumas ?

C’est certainement une conséquence de ce que j’ai construit. Edmond comprend avant de se faire momifier qu’il se dresse contre des êtres terriblement puissants : pas seulement sur les plans économique et politique comme dans le roman original, mais aussi en raison de leurs pouvoirs, ceux de Fernand en particulier. Il a donc besoin de capacités supplémentaires. Et les méchants sont tellement monstrueux dans ce qu’ils sont prêts à faire subir à d’autres gens ou au monde en général que cela permet de ne pas penser qu’Edmond va trop loin en se faisant momifier. Mais je ne dirais pas que ma vision personnelle du monde est aussi noire, c’est simplement là que mon histoire s’est retrouvée une fois mise en mouvement. J’aime à penser que je suis beaucoup plus optimiste que cela !

Pourquoi avoir fait de Faria un conseiller financier ? C’est un peu étrange…

Honnêtement, c’est un choix sur lequel je n’ai cessé de m’interroger en me demandant si j’aurais vraiment dû faire cela… Une raison, c’est que pour un livre qui se focalise autant sur des questions d’argent et de trésor, il y avait très peu d’explications sur les mécanismes économiques en jeu. Par exemple, toute la question du crédit illimité que Danglars, dans le roman original, doit accorder à Monte-Cristo. Le mécanisme du fonctionnement d’un tel crédit n’est jamais vraiment expliqué. Je voulais donc expliquer davantage certains de ces mécanismes, et aussi exposer certaines idées à propos de la liberté et des abus de pouvoir qui apparaissent chez Dumas quand on voit Danglars et Villefort manipuler à leurs fins le pouvoir institutionnel.

J’ai aussi essayé de trouver le moyen de traiter le château d’If de manière plus fantastique, en le plaçant dans une autre dimension, en en faisant une prison surnaturelle, mais au bout du compte ça fonctionne mieux avec une île réelle au milieu d’un océan réel.

De fait, la première partie de votre livre demeure très proche de Dumas avec un rôle très limité pour le surnaturel…

C’est quelque chose que pas mal de gens m’ont dite. Je ne sais toujours pas comment j’aurais pu ajouter davantage d’éléments fantastiques dans cette première partie. Tout se met vraiment en branle quand Edmond prend la décision de se faire momifier.

Plus généralement, êtes-vous un fan de Dumas ?

J’ai lu Les trois mousquetaires, j’ai vu le film tiré de L’homme au masque de fer, je ne sais pas dans quelle mesure c’est une adaptation fidèle. Pour être franc, je n’ai pas trouvé Les trois mousquetaires aussi prenant que Le comte de Monte-Cristo. J’ai été très surpris de voir à quel point certaines des interprétations modernes des Trois mousquetaires s’éloignent du texte d’origine. Vous voyez des dessins animés, des films pour enfants, on y voit ces quatre amis qui s’occupent à lutter contre le crime, en quelque sorte. Mais le roman est beaucoup plus riche que cela.

Vous n’allez donc pas écrire un nouveau mashup utilisant un autre roman de Dumas ?

Ca n’est pas prévu pour le moment. J’ai en fait en projet une suite à The mummy of Monte Cristo ! Ce qui est commode quand on a un personnage immortel, c’est qu’on peut le mettre à n’importe quelle époque après son apparition et regarder ce qu’il y fait. J’ai donc en projet une suite qui se passerait à la veille de la Première guerre mondiale.

Intéressant… Il n’y aurait donc plus de relation avec le roman de Dumas, bien sûr ?

Il y aurait des références à l’histoire d’origine. J’ai réfléchi à la possibilité de trouver un roman se situant durant la Première guerre mondiale et d’en faire un mashup, mais j’ai fini par décider d’en écrire un à partir de zéro. Je ne voudrais pas que les gens pensent que je ne sais faire que des mashups. Je travaille aussi en parallèle à un roman de science-fiction.

Comment votre Mummy of Monte Cristo a-t-elle été reçue ?

Très bien pour le moment. Il y a quelques personnes qui n’ont pas aimé mais la grande majorité des commentaires lui donnent quatre ou cinq étoiles. J’ai un nombre à peu près égal de gens qui disent « je n’ai jamais lu le roman d’origine mais j’ai beaucoup aimé le vôtre malgré tout » et d’autres qui disent « j’adore Le comte de Monte-Cristo et j’étais donc très inquiet en ouvrant votre livre mais finalement j’adore aussi ». Et les deux réactions sont vraiment bien parce que je craignais que seules les personnes familières avec l’original puissent l’apprécier ou que, à l’inverse, les amateurs de Dumas trouvent mon livre très mauvais.

Quelle maxime est la plus adaptée selon vous au monde d’aujourd’hui : « attendre et espérer » comme chez Dumas ou bien « s’adapter et vaincre » comme chez vous ?

Bonne question ! Je suis peut-être de parti pris mais je crois que dans la période actuelle où tout change si vite « s’adapter et vaincre » correspond mieux. Mais il reste certainement de la place pour attendre et espérer ! Dans une certaine mesure, je ne crois pas que l’on puisse avoir l’une sans au moins un petit peu de l’autre.

Propos recueillis par Patrick de Jacquelot

 

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