Soirée cinéma au Palais-Cardinal
par Andrea Zottel
Texte originel publié sur le site
artagnan.de.
Paris, Palais du cardinal Richelieu, quelques
jours après la sortie du film Les trois
mousquetaires - D’Artagnan de Martin
Bourboulon.
Richelieu (regardant autour de lui) : Mesdames
et messieurs, je crois que nous sommes au
complet ? (Il fait signe à son valet) :
Patrice, veuillez lancer le film - !
Le roi Louis XIII (agacé) : Pardon, Votre
Éminence, mais ma chère épouse n'est pas
encore là.
Richelieu (confus) : Oh, je vous demande mille
fois pardon, Votre Majesté ! Euh, savez-vous
peut-être si madame la reine - ?
Mais déjà la porte s'ouvre et la reine Anne
d'Autriche entre : Oh ! j'espère que je ne
suis pas en retard ? (Elle sourit en
s'excusant).
Le roi Louis (fronçant les sourcils) : Si, on
peut dire cela!
Richelieu (essayant de calmer les esprits) :
Non, non, Votre Majesté, ne vous inquiétez pas
! Je vous en prie, asseyez-vous ! Ce fauteuil
confortable, ici, à côté de votre royal époux,
vous est réservé !
La reine Anne (souriant coquettement en
retour) : Merci beaucoup ! (Elle s'assied et,
en dépit de la présence de Louis, sort de son
sac brodé de perles un sachet de pop-corn.
Elle l'ouvre laborieusement, avec un
bruissement agaçant, et explique en mâchant
avec plaisir:) En plus, je vois que je ne suis
pas la seule à être un peu en retard. Monsieur
de Rochefort n'est pas encore arrivé.
Rochefort (se matérialisant promptement de
façon méphistophélique) : Je suis là. Mesdames
et messieurs, veuillez excuser mon retard !
Mais il y avait tellement de bouchons …
Richelieu (respirant et faisant signe à son
valet) : Voilà, c'est parti ! Patrice ! Lancez
le film !
Les lumières de la salle s'éteignent et le
cliquetis d'un ancien projecteur de film se
fait entendre. Une musique sauvage retentit,
l'action commence avec le bruit des armes et
un combat acharné. Pendant un moment, un
silence religieux et tendu règne dans le
public. Mais bientôt, une agitation nerveuse
s'empare des spectateurs.
D'Artagnan (profondément indigné) : Parbleu,
c'est vraiment - ! Non, ce n'était pas du tout
comme ça à l'époque, à Meung ! Je n'ai jamais
vu cette femme blonde de ma vie ! Et je ne
l'ai pas laissée me tirer dessus ! C'est tout
simplement un mensonge ! Et le fait qu'on
m'ait enterré ensuite vivant ne peut être que
le fruit du cerveau d'un fou ! Mes amis, s'il
vous plaît, dites-moi si vous avez déjà vu
quelque chose d'aussi dégoûtant ?
La reine Anne (s'arrête, choquée, de mâcher du
pop-corn) : Beurk !
Milady (également profondément piquée) : Mon
Dieu, en effet ! Cette scène est tout
simplement effroyable ! Et en plus, elle est
complètement fausse !
Madame de Chevreuse (avec suffisance) : Cette
blonde est sûrement censée vous représenter,
Milady !
Milady (secouant résolument la tête) : Pas du
tout, madame ! Regardez, c'est cette brune
maigrichonne qui joue mon rôle ! Celle avec
l'horrible chapeau ! Non, cette blonde, ce
doit être vous !
Madame de Chevreuse (perplexe) : Moi ? Mais je
suis brune ! Et vous, Milady, vous êtes blonde
! Tout le monde le sait !
Rochefort (fronçant les sourcils) : Mesdames,
on a manifestement échangé la couleur de vos
cheveux ! Hum, je me demande dans quel but ?
Milady (féroce) : Rien de bon, visiblement !
Regardez, monsieur le comte, comment on vous
dépeint ici ! Vous avez l'air d'un criminel !
Le roi Louis (contrarié) : Chut !
Le film se poursuit rapidement : le jeune
d'Artagnan, heureux de sortir de sa tombe
boueuse dans la forêt, arrive à Paris, se fait
admettre à l'Hôtel de Tréville par ruse, se
présente avec succès au capitaine des
mousquetaires, raconte son aventure qui lui
aurait coûté la vie s'il n'avait pas porté sa
bible de poche sur son cœur, comme toujours,
et déclenche les fameux trois duels avec les
mousquetaires Athos, Porthos et Aramis.
Aramis (agacé) : Diable ! S'il y a quelqu'un
ici qui se promène toujours avec une bible,
c'est bien moi, bon sang !
Athos (saisissant son verre de vin avec
colère) : Parbleu, le type qui me représente a
l'air d'avoir déjà un pied dans la tombe !
Dites-moi, mes amis, ai-je vraiment l'air si
vieux ?
Tous (à l'unisson) : Vous, monsieur, vieux ?
Mais jamais de la vie !
Milady (souriant avec douceur) : C'est
vraiment honteux, mon cher mari, de vous faire
passer pour un vieillard décrépit !
Tréville (tapant jovialement sur l'épaule
d’Athos qui est fâché) : Mon cher Athos, vous
êtes le plus noble et le plus redoutable
mousquetaire que Sa Majesté ait jamais eu !
Croyez-moi, votre âge n'a aucune importance !
Athos (irrité) : Non ? mais...
Rochefort (s'indignant) : Pardon ? Qu'est-ce
qu'il vient de dire, le Porthos du film ?!
Qu’il rit quand il en a envie - ? Mais dans le
livre, c'est mon texte, bon sang !
Porthos (lui souriant avec complaisance) :
Oui, monsieur le comte ! Mais avouez que
sortant de ma bouche, vos mots sonnent aussi
très bien !
D'Artagnan (en soupirant) : Eh bien,
maintenant que mon interprète s'est vu
attribuer un magnifique cheval espagnol au
lieu d'un certain cheval orange, votre texte,
monsieur le comte, n'a plus aucun sens !
Aramis (espiègle) : C'est vraiment un beau
destrier que l'on a mis à votre disposition,
mon cher d'Artagnan ! Malheureusement, c'est
un peu trop tôt, car vous n'avez pas encore
sauvé la reine. (Il fronce son joli nez) Mais
vos vêtements laissent beaucoup à désirer !
Qu'est-ce que c'est que ça ? Le manteau d'un
brigand ? Et votre béret me manque, vous qui
le portiez toujours si audacieusement enfoncé
sur le front !
Porthos (féroce) : Pah, des vêtements !
Regardez donc ce petit bonhomme qui est censé
me représenter ! Pas de taille ! Pas de
muscles ! Aucune silhouette imposante !
Parbleu, cette misérable carcasse, c'est moi ?
Ne me faites pas rire ! Et vous, Aramis, vous
ressemblez à un pirate ! Et très sale, même !
Et il est laid ce garçon, Dieu me préserve !
Oh, mon Dieu, où est passé le beau jeune homme
dont nous étions tous les deux, Athos et moi,
si épris à l'époque !
Aramis : Au nom du ciel, Porthos,
taisez-vous !
Le roi Louis (contrarié) : Chut !
Madame du Vallon (vers Porthos) : Pourquoi
vous énervez-vous, mon mari ? Au moins vous
êtes représenté ! Mais je parie que les
créateurs de cette œuvre m'ont encore
complètement oubliée ! Tout comme vos quatre
valets si efficaces, Grimaud, Planchet,
Mousqueton et Bazin, qui ont toujours veillé à
ce qu'il ne vous manque rien, à vous et vos
amis.
L'action se poursuit ; on se bat avec les
cardinalistes et on fête ensuite la victoire ;
Athos se réveille le lendemain matin, étourdi,
et trouve une morte dans son lit.
Milady (indignée) : Mais ce n'est pas moi !
Madame de Chevreuse (féroce) : Et moi non plus
!
La reine Anne (en mâchant son pop-corn) : Bien
sûr que non. C'est la blonde du carrosse !
Dans le film, Athos est arrêté et jugé ; il
est condamné à mort, bien qu'il n'ait pas été
prouvé qu'il a effectivement tué la femme dans
son lit.
Richelieu et le roi Louis (profondément
consternés) : Incroyable ! On calomnie notre
justice d'État !
Mais les amis d'Athos tentent bien sûr de le
sauver, et l'Aramis du film, accompagné de
Porthos et d'Artagnan, s'empare de la
chevalière de ce comte de Valcour, qui a été
tué à Meung et enterré dans la forêt avec le
Gascon inconscient.
Aramis (haletant) : Ha... vous avez vu
ça ?! Il a... profané la croix ! Mon double
infâme a profané le crucifix !
Richelieu (essayant d’apaiser les esprits) :
Calmez-vous... s'il vous plaît, mon cher !
Vous pouvez être sûr que le metteur en scène
et les deux auteurs brûleront en enfer pour
cela.
Aramis (tremblant de dégoût) : Et comment
cette brute sadique a traité le pauvre vieux !
Juste ciel ! Ce n'est pas moi !
Richelieu (lui tapotant doucement l'épaule) :
Bien sûr que non, mon cher, bien sûr que non !
Nous le savons bien !
D`Artagnan (furieux) : Et maintenant, mon
double se rend chez le comte de Valcour avec
la bague et n'y rencontre personne d'autre
que... !
Milady (soupirant, résignée) : Cela devait
arriver ! Qui m'a donné cette idée idiote de
tuer la blonde de la diligence et de la mettre
dans le lit d'Athos ? Parbleu, quand
j'assassine quelqu'un pour prendre sa place,
je fais soigneusement disparaître le corps et
je ne le mets pas dans le lit des autres !
Rochefort (grognant) : Il me semble que je
n'ai pas du tout droit à la parole dans cette
œuvre !
La reine Anne (lui souriant avec
compréhension) : Réjouissez-vous donc,
monsieur le comte ! Regardez la coiffure
hideuse qu'on m'a donnée ici et les propos
stupides qu'on m'a mis dans la bouche ! Cette
reine-là se comporte comme une poule !
Lord Buckingham (nasillant de manière blasée)
: Ouuuuh yes, indeed ! Je dois vraiment me
demander ce que mon alter ego trouve à cette
poule qui caquette ! Boody hell ! Et qu'est-ce
que je vais faire de ce satané collier ?
Suis-je une femme ?
Milady (taquine) : Mais non, milord !
Portez-le simplement avec votre très élégant
costume de la mystérieuse Dame blanche, que
vous cachez, je le sais de source sûre, au
fond de votre armoire ! Et si, à l'occasion,
vous organisez un bal masqué dans votre
palais, je vous déroberai le collier à l'aide
d'un baiser enflammé !
Lord Buckingham (haussant les sourcils,
indigné) : Vraiment ? Mais on vous poursuivra
immédiatement !
Milady (haussant les épaules avec mépris) : Et
alors ?
Tréville (furieux) : Milady, nous n'en sommes
pas encore là ! Regardez ! Maintenant on veut
même exécuter Athos ! Et ce lâche capitaine et
ses hommes peureux restent là comme des
agneaux, sans bouger, ils ne lèvent pas le
petit doigt pour le sauver ! Morbleu ! Par
tous les diables, est-ce que c'est possible ?
Athos (impassible) : En revanche, son frère
protestant, que je n'ai pas, le sauve avec
beaucoup de courage, je dois l'admettre !
Porthos et Aramis (en colère) : Et nous ?
Qu'est-ce qu'on fait ? On sert à quoi ?
D'Artagnan (souriant) : Oh, on saura bien se
servir de vous ! (redevenant sérieux) Mais je
dois dire, Athos, que le jeu de cache-cache
perfide que vous jouez ensuite avec mon alter
ego dans la forêt obscure, je ne le trouve pas
du tout sympa de votre part ! Pourquoi ne pas
vous être montré tout de suite au lieu de
jouer au chat et à la souris avec lui ? Le
pauvre a presque eu le cœur brisé par la peur
!
Athos (haussant les épaules) : Plaignez-vous
auprès des deux scribes. Ce sont d'ailleurs
aussi eux qui ont décidé que vous auriez ma
plus belle épée !
Aramis : Et moi, votre chapelet !
Porthos : Et moi votre... ! (se grattant la
tête) Zut ! Ça m'a échappé maintenant ! Mais
qu'est-ce que mon double a reçu de cet acteur
d'Athos tout à l'heure ?
Athos (impassible) : Ses dernières pistoles.
Porthos (heureux) : Parbleu ! Bien sûr que oui
! Comment ai-je pu l'oublier !
Madame du Vallon (levant les yeux au ciel et
soupirant avec résignation) : Mon cher époux,
où avez-vous la tête ?
Milady (sévère) : Messieurs, concentrez-vous
s'il vous plaît, nous continuons ! Le roi et
le cardinal viennent d'exercer une forte
pression sur la reine, et regardez, nous
sommes déjà en Angleterre ! Oh, milord, je ne
savais pas que votre château se trouvait au
bord des fameuses falaises blanches de Douvres
?
Lord Buckingham (féroce) : Rubbish ! Il n'est
pas là, il est à Londres !
Milady (soupirant) : Je sais. Mais regardez,
messieurs, voilà que la brune dérobe au lord
qui ne se doute de rien le collier de diamants
que madame la reine lui a offert à Paris ! Mon
Dieu ! Et bien sûr, d'Artagnan est
immédiatement sur ses talons ! Oh ! le comte
de la Fère veut l'arrêter ! Ha ! Elle le
pousse tout simplement à terre ! C'est ce que
j'appelle de l'audace ! Et voilà qu'elle se
lance à cheval tout près des falaises,
poursuivie par le Gascon qui la fait tomber de
cheval ! Que va-t-elle faire maintenant ?
(Elle s'arrête, le souffle coupé) Non !! Je
n'y crois pas ! Elle se rend ! Elle lui laisse
le collier et se jette dans les flots de la
mer ! Elle a perdu la tête ? Quelle folie,
quelle bêtise ! Pourquoi ne pas se jeter à la
mer avec le collier ?
Richelieu (souriant) : Oui, oui. En effet,
madame, je vous aurais crue plus intelligente
!
Madame de Chevreuse (respirant) : Eh bien, je
suis contente de ne pas figurer dans cette
histoire ! Qui sait ce que ces écrivains
m'auraient fait faire ou dire ?
Aramis (lui souriant avec complaisance) :
Peut-être une liaison secrète avec le prétendu
frère d'Athos ? Un binoclard tiré à quatre
épingles !
Constance (impatiente) : Bon, maintenant
d’Artagnan est de retour à Paris ! Mais
pourquoi roucoule-t-il avec mon actrice au
lieu de lui donner immédiatement le collier ?
La reine est en danger !
La reine Anne (avec un clin d'œil) : Hâte-toi
lentement !
Tout le monde se rend solennellement à la
cathédrale pour le mariage imminent du frère
royal Gaston avec la duchesse de Montpensier.
Mais Athos sent bien qu'il y a un attentat
dans l'air ! Et c'est vrai, à peine la
cérémonie de mariage est-elle en cours que le
perfide sniper, posté en haut de la tribune de
l'orgue, se met à tirer frénétiquement sur la
foule. Athos se jette sur le roi et le couvre
de son propre corps, tandis qu'autour de lui
s'engage un combat acharné avec les
conspirateurs, combat que les mousquetaires
remportent bien entendu. En récompense de cet
acte exceptionnel, Athos est gracié et
d’Artagnan est nommé lieutenant des
mousquetaires.
D’Artagnan (riant aux larmes) : Hahahaha !
Parbleu, c'est ce que j'appelle une promotion
rapide ! Pas encore mousquetaire, mais déjà
lieutenant !
Le roi Louis (piqué au vif) : Il doit y avoir
une erreur ! Une fois de plus, les scénaristes
n'ont pas été très attentifs.
Porthos (indigné) : Au fait, mesdames et
messieurs, que pensez-vous de ces horribles
uniformes ? On se ridiculise devant le roi
avec ça !
Le roi Louis (exaspéré) : Des uniformes,
dites-vous ? Mon cher, regardez-moi !
Qu'est-ce que je peux dire ? Mon costume dans
ce film est nul ! Ça manque de chic ! Et
pourtant, je suis Français et qui plus est, le
représentant de la France !
Constance (tremblante) : Oh, je sens que c'est
grave ! Bien sûr ! Je vais être enlevée !
Milady et Rochefort (à l'unisson) : Mais pas
par nous cette fois, mademoiselle !
Constance (excitée) : Non, par ces affreux
conspirateurs ! (agacée) Et le "mademoiselle",
je l’interdis formellement ! Après tout, je
suis mariée ! - N'est-ce pas, chéri ? (Elle
caresse avec tendresse la main osseuse de
monsieur Bonacieux, qui est assis à côté
d'elle, muet et visiblement dépassé).
D’Artagnan (résigné) : Et ce crétin de Gascon
se précipite naturellement après Constance, se
fait brutalement assommer et se retrouve à
nouveau le nez dans la boue. Ventredieu !
Tous (soupirant en chœur de manière abyssale)
: Sacrédieu ! Comme au début ! Quelle fin
indigne !
Richelieu (souriant avec une douceur
menaçante) : Oh non, mes chers, ce n'est pas
la fin ! La deuxième partie sortira dans six
mois au plus tard !
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