Les trois petits mousquetaires
Emile Desbeaux
252 pages 1882 - France Roman
Intérêt: **
Note: ce livre a été réédité en 1995 chez Pocket, avec
un excellent dossier historique et pédagogique de 30 pages
Le volume s'ouvre sur la lettre suivante d'Alexandre Dumas fils:
A M. ÉMILE DESBEAUX
Cher Monsieur,
Si mon père vivait encore, il serait très heureux
de vous voir emprunter à l'un de ses livres le titre de
votre nouveau récit pour les enfants.
Ce serait pour lui une consécration nouvelle, devant une
nouvelle génération, du grand succès des
Trois Mousquetaires.
Heureux les ouvrages auxquels on emprunte encore quelque chose
trente ans après qu'ils ont paru!
Il ne me reste plus qu'à souhaiter à vos petits
héros la bonne fortune de leurs aïeux, ce qui sera
facile si leur père a été aussi bien inspiré
que pour le Jardin de Mlle Jeanne.
Agréez, Monsieur et cher confrère, l'assurance
de mes meilleurs sentiments.
ALEXANDRE DUMAS fils,
De l'Académie Française
Les trois petits mousquetaires est une transposition
du roman de Dumas dans le cadre d'un lycée parisien en
1873. Au début du roman, le jeune Marius de Champagnac,
onze ans, arrive de sa Gascogne natale pour faire des études
dans un pensionnat parisien. La lettre et l'argent de ses parents
lui sont volés à sa descente du train, ses habits
provinciaux suscitent des moqueries au lycée, il se prend
de querelle successivement avec trois garçons qui deviendront
ses meilleurs amis...
Tout le début du livre est ainsi un pastiche très
réussi de l'arrivée de d'Artagnan à Paris
dans Les Trois Mousquetaires. Le censeur, par exemple,
défend la bandes des "petits mousquetaires"
contre leurs adversaires qui sont soutenus par le proviseur,
en un reflet de l'opposition entre le roi et Richelieu.
Malheureusement, les choses se gâtent par la suite, quand
le récit cesse de suivre la trame de Dumas. L'histoire
devient alors passablement niaise. Partis en randonnée,
les quatre garçons arrêtent un voleur, sauvent une
vielle femme de la noyade, récupèrent une enfant
perdue, délivrent les habitants d'une maison en feu, et
ainsi de suite. Le tout au milieu de coïncidences plus absurdes
les unes que les autres.
Cette dernière partie vaut en fait comme document d'époque.
On y voit ces jeunesgarçons de la bonne société
donner des ordres éclairés à des domestiques
bornés, remettre à leur place des cantonniers qui
leur avaient manqué de respect, faire le bien en utilisant
leur fortune personnelle pour récompenser la veuve et
l'orphelin méritants. Et l'auteur conclut son récit
avec beaucoup de lourdeur en faisant découvrir le livre
de Dumas aux enfants, qui détaillent alors pesamment les
similitudes entre les mousquetaires du roman et eux-mêmes.
Extraits des chapitres 2 L'antichambre de M. Delormel et
3 L'épaule de Montagny et le voleur de Marius
Mais la fatalité s'attachait décidément
à notre jeune Gascon.
A peine avait-il fait quelques pas qu'il heurta avec sa valise,
couverte de la poussière du voyage, un collégien
à la figure hautaine, de grande taille et d'aspect vigoureux,
qui était en train de jouer aux billes.
Celui-ci se retourna, épousseta soigneusement sa tunique
du revers de sa main, et dit à haute voix, en regardant
M. de Champagnac fils:
- D'où arrive-t-il donc, celui-là? Il m'a presque
gâté ma tunique neuve. En voilà un maladroit!
Marius, qui allait s'excuser, sentit la colère lui monter
au cerveau.
- J'arrive de mon pays, répondit-il vivement, et ce n'est
pas pour vous servir.
- Tiens! Tiens! reprit le collégien, je vois qu'il faudra
vous donner une leçon de politesse, mon petit monsieur.
- Et moi, mon grand monsieur, je vois qu'il me faudra secouer à ma façon la poussière que j'ai mise sur
un si bel habit.
Un soufflet allait être la réponse du grand collégien;
mais le bruit de la querelle et l'arrivée du nouveau,
si drôlement accoutré, avaient attiré les
autres élèves. Les maîtres d'étude
s'approchaient.
Le collégien n'eut que le temps de murmurer à l'oreille
de Marius:
- Si vous n'êtes pas un lâche, à la récréation
de quatre heures, dans la petite cour.
Notre Gascon n'avait aucune idée de ce que pouvaient être
et la petite cour, et la récréation de quatre heures;
cependant, il répondit sans se déconcerter:
- J'y serai!
(...)
Dès que Saint-Jean eut averti ses compagnons de la
présence d'un intrus, tous les regards se fixèrent
sur Marius.
On l'examinait des pieds à la tête.
Le costume de M. de Champagnac fils excitait vivement la curiosité
des collégiens, qui maintenant l'entouraient.
Marius vit quelques sourires passer sur les visages et saisit
quelques chuchotements railleurs.
Quoique notre Gascon eût eu, jusqu'à ce jour, assez
bonne opinion de lui-même, il se trouva ridicule pour la
première fois de sa vie.
Cependant, la colère lui monta bien vite à la tête,
et, jugeant qu'il fallait mettre un terme immédiat à
ces railleries, il chercha dans l'assistance la figure la plus
moqueuse.
Il ne fut pas long à rencontrer celle de Saint-Jean. Saint-Jean,
qui n'avait guère qu'une douzaine d'années, était
un garçon presque aussi joli qu'une fille. Il avait la
physionomie douce et claire, l'oeil noir caché sous de
longs cils, qu'il tenait souvent baissés, la bouche petite
et rose et les cheveux peignés avec un soin extrême.
Ses mains étaient blanches, ses ongles longs et bien taillés.
Un col très blanc et des manchettes dépassaient,
malgré le règlement, sa tunique, coupée
assurément par un autre tailleur que celui du lycée.
C'était pourtant ce Saint-Jean qui, malgré sa gentille
apparence et sa coquetterie évidente, avait le solide
petit poignet dont il a été parlé.
Aussi Marius, qui n'était pas un lâche, se rappela-t-il
ce détail, en même temps qu'il remarquait sur les
lèvres silencieuses de Saint-Jean un sourire de moquerie
tout à fait éloquent.
Il se leva et alla droit à lui.
- Tel rit du costume qui n'oserait pas rire de celui qui le porte!
s'écria-t-il furieux.
L'accent avec lequel notre Gascon prononça ces paroles
redoubla l'hilarité des collégiens.
Quant à Saint-Jean, il leva lentement ses yeux jusqu'à
ceux de Marius, comme s'il lui eut fallu un certain temps pour
comprendre qu'on lui parlait sur un tel ton. Puis ses sourcils
se froncèrent; il allait répondre quand il aperçut
le sac jaune, le fameux sac de voyage, que M. de Champagnac fils,
en se levant, avait mis à découvert.
D'un geste à peine ébauché, il montra aux
autres le cas phénoménal.
Les rires, quoique étouffés, reprirent de plus
belle.
Marius, un peu décontenancé, s'écria de
nouveau en avançant d'un pas:
- Eh! dites-moi donc de quoi vous riez, et nous rirons ensemble!
- Je ne vous parle pas, monsieur, dit enfin Saint-Jean avec une
politesse exquise.
- Mais, je vous parle, moi! répondit M. de Champagnac
fils, exaspéré de ce mélange de dédain
et de bonnes manières.
- Au fait, puisque vous paraissez tenir si fort à savoir
pourquoi nous rions, mes amis et moi, je vais vous l'apprendre,
dit avec douceur le petit Saint-Jean. C'est votre sac qui est
la cause de notre joie. Jamais, sur ma parole, nous n'avions
vu de sac d'une couleur aussi originale et d'une forme aussi
surprenante. J'ajouterai que vous nous feriez un bien vif plaisir
en nous donnant l'adresse du fabricant de cette sorte d'objets,
afin que nous pussions nous en procurer de semblables!
- Oui! Oui! murmurèrent plusieurs voix moqueuses.
Saint-Jean, sans plus s'occuper du Gascon, avait tourné
sur ses talons; mais Marius n'était pas, nous l'avons
déjà vu, d'un tempérament à lâcher
prise.
Il vint se placer brusquement devant son railleur, et, lui mettant
le poing sous le nez:
- Insolent! murmura-t-il au comble de l'irritation, insolent!
vous me payerez ça.
- Soit! dit Saint-Jean en rabattant le bras de l'agresseur et
en le tenant solidement serré dans sa petite main, mais
point ici!
- Où donc?
- A quatre heures, dans la petite cour, si cela peut vous être
agréable!
(...)
Cependant Marius de Champagnac avait descendu l'escalier et
s'élançait dans la cour, lorsque, emporté
par sa course, il alla donner tête baissée dans
un élève qui sortait de chez le censeur par une
porte de dégagement.
Il heurta du front cet élève à l'épaule,
et l'élève poussa un cri semblable à un
hurlement.
- Pardon! dit Marius, essayant de reprendre sa course, pardon!
mais je suis très pressé.
A peine avait-il fait un pas qu'il se sentit rattrapé
par une main de fer.
- Ah! vous êtes pressé! s'écria l'élève.
Vous me heurtez brutalement parce que "vous êtes
pressé", vous me jetez un "pardon" du
bout des lèvres et vous croyez en être quitte! Mais
vous n'êtes pas M. Delormel, vous, mon petit!
- Ma foi! répliqua Marius en reconnaissant Georges de
Montagny, qui, après le pansement opéré
par le docteur, regagnait l'infirmerie, je vous ai heurté
sans le faire exprès et je vous en demande pardon. Si
vous n'êtes pas content, vous êtes bien difficile.
Que vous faut-il de plus?
- Monsieur, dit Montagny en lâchant Marius avec dédain,
vous n'êtes pas poli. On voit que vous venez de loin.
Marius avait déjà repris sa course; mais, à
la remarque de Montagny, il s'arrêta net.
- Oh! Oh! fit-il, de si loin que je vienne, ce n'est pas pour
vous faire de plus amples excuses. Et si je n'étais pas
si pressé, si je ne courais pas après quelqu'un...
- Eh bien! vous pourrez me trouver sans courir, moi, si vous
voulez!
- Je veux bien. Où cela?
- Dans la petite cour.
- A quelle heure?
- A quatre heures.
- Bon! on y sera! cria Marius de Champagnac. |