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L’antilégende
Comment résumer un tel livre, qui oscille entre le roman de cape et d'épée classique et le récit fantasmagorique, à la chronologie incertaine et aux repères géographiques brouillés? Car le monde dans lequel se passe cette histoire ne ressemble que superficiellement au nôtre... Les héros principaux du livre sont Don Juan et son valet Sganarelle, accompagnés de la séduisante et intrépide Manon Lescaut. Don Juan est tout absorbé par son occupation habituelle: sillonner l'Europe en séduisant toutes les femmes qui passent à sa portée, laissant derrière lui une traînée de bonheur... Sganarelle, pour sa part, est chargé de tenir le registre des conquêtes de son maître, afin qu'il n'en oublie aucune. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes pour le séducteur s'il ne commençait à être poursuivi par de mystérieux spadassins, tous identiques, quasiment muets et peu habiles, mais décidés à le tuer. Simultanément, il apparaît que des centaines de femmes séduites par Don Juan ont été assassinées, et leur coeur arraché. Les soupçons se portent tout naturellement sur lui. Commence alors pour le trio une longue errance à travers l'Europe (et même beaucoup plus loin) pour échapper aux tueurs et tenter d'élucider le mystère. Très vite, Don Juan et ses amis font beaucoup de rencontres. Don Quichotte et son écuyer, le capitaine Fracasse et sa troupe, les quatre mousquetaires, Cyrano de Bergerac, Gulliver, le baron de Münchhausen et bien d'autres. Alors que le lecteur commence à se dire que ces accumulations de noms célèbres dépassent par leur ampleur la pratique devenue courante dans le roman moderne écrit «en hommage à la littérature classique», il est frappé par d'autres bizarreries: une chronologie floue, qui permet aux héros d'évoluer dans le temps de façon non linéaire; une géographie incertaine, qui les amène à franchir d'énormes distances en quelques heures. Et puis le fait que les morts reviennent parfois, comme Porthos qui, tué à Belle-Isle, réapparaît plus vaillant que jamais. La conviction que le monde dans lequel se situe ce livre n'est pas le monde réel est confirmée quand Don Juan rencontre Descartes qui lui explique les raisonnements métaphysiques qui l'ont amené à la conclusion suivante: ils vivent dans le monde de l'Index, celui où se retrouvent les personnages de fiction créés par les êtres tout puissants que sont les Auteurs. Une théorie qui explique le fait que tous les personnages importants du livre sont des héros connus et que les figurants sont quasi-anonymes - et qui révolte Don Juan qui, en athée absolu, refuse l'idée qu'il puisse devoir le jour à un Auteur... Reste cette affaire de femmes assassinées. Il apparaît qu'un mystérieux homme portant un masque de fer pourrait bien être responsable du massacre. Haïssant Don Juan, il s'arrangerait pour le faire accuser. Avec l'aide notamment des quatre mousquetaires et de Cyrano de Bergerac, Don Juan mène l'enquête. Ce qui le mène jusqu'à la lune (les procédés de voyage dans l'espace inventés par Cyrano sont mis à contribution!). L'objectif du Masque de Fer, en fait, est d'utiliser les coeurs des femmes tuées dans des rituels nécromanciens pour invoquer un Auteur - son Auteur - dans ce monde de l'Index. Car le Masque de Fer ne supporte pas de ne pas avoir de personnalité définie et veut faire réécrire sa propre histoire. Il parvient de fait à s'emparer d'un Auteur - en la personne d'Auguste Maquet, l'écrivain qui a aidé Dumas dans la rédaction de la série des Trois mousquetaires, et notamment du Vicomte de Bragelonne, dans lequel l'homme au Masque de Fer joue un rôle important. Ce qui ne permettra pas pour autant au personnage d'arriver à ses fins. S'il est à la mode - comme en témoigne ce site! - de rendre hommage aux grands mythes de la littérature, Fabien Clavel bat sans doute un record dans ce registre: son livre n'est QUE citations, dans une mise en abîme littéraire à la puissance 10. Risqué, l'exercice pourrait sombrer dans le procédé ou le ridicule. Mais l' «Auteur » s'en tire remarquablement bien. Son monde de fiction déroute et captive, à quelques longueurs près, et son utilisation de nombreux héros fonctionne (voir l'interview de Fabien Clavel). Du point de vue dumasien, l'histoire est riche. Les mousquetaires jouent un rôle clé dans la quête de Don Juan. L'ennemi de ce dernier, l'homme au Masque de Fer, sort tout droit du Vicomte de Bragelonne. Et le clou est bien sûr l'invocation d'Auguste Maquet. Il est d'ailleurs significatif que Fabien Clavel ait choisi de faire apparaître Maquet plutôt que Dumas lui-même. Auteur enchaîné à sa table de travail, sommé par sa créature d'écrire sur commande, le malheureux Maquet incarne dans L'antilégende la caricature du «nègre» littéraire... Les éléments tirés de Dumas ne sont
cependant pas au premier plan dans le récit,
complètement dominé par les personnalités de Don Juan et
de Sganarelle. C'est ce qui justifie la note de deux
étoiles seulement accordée au roman dans la perspective
bien particulière de pastichesdumas.
Extrait de l’Acte II, scène 4 |
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