Le comte de Barcelone, tome 1
Fanny Audibert
622 pages Le Passeur Éditeur - 2025 - France Roman
Intérêt: **
Un pastiche de Dumas sur pastichesdumas, quoi de plus
banal, pourrait-on penser? Hé bien non, il n’en est
rien. Si ce site regorge de suites, de plagiats et
d’hommages, pour ne rien dire des bandes dessinées, il
n’en va pas de même pour les pastiches. Un pastiche,
rappelons-le, est une œuvre (texte littéraire, tableau…)
qui imite le style d’un auteur ou d’un peintre. Souvent
avec une intention humoristique mais pas forcément, ce
qui le différencie de la parodie, résolument comique.
Or, si de nombreux écrivains ont imité Dumas dans sa
façon d’imaginer des histoires, bien peu, en fait, ont
entrepris d’écrire à sa façon. C’est tout l’intérêt du
roman Le comte de Barcelone que de pasticher
Dumas de bout en bout, tout au long de ses plus de 600
pages. L’auteure, Fanny Audibert, revendique d’ailleurs
sa démarche dans un « avertissement »
préliminaire qui commence par « j’ai conçu ce
livre comme un pastiche ». Une imitation de
Dumas qui s’étend jusqu’à la longueur de l’œuvre: cet
épais volume n’est que le premier tome de l’histoire.
Avant
de revenir sur la forme, parlons du fond. Comme bien
d’autres avant elle, Fany Audibert situe ce roman entre
Les trois mousquetaires et Vingt ans après
avec d’Artagnan comme personnage principal. Voulant que
son récit s’inscrive parfaitement dans la continuité des
romans de Dumas, elle s’interdit de faire apparaître les
trois autres mousquetaires aux côtés de son héros, Dumas
ayant explicitement précisé dans Vingt ans après
que d’Artagnan ne les avait pas revus pendant toute
cette période. Que le lecteur qui, ayant lu cette
précision dans l’avertissement en tête du volume,
s’attristerait à l’idée de ne pas revoir Athos, Porthos
et Aramis, se console: l’auteure trouve les moyens de
faire réapparaître malgré tout les trois amis.
Le comte de Barcelone est composé de trois
intrigues entremêlées. La plus importante est centrée
sur d’Artagnan. Au début du récit, ce dernier se
morfond, s’ennuyant à mourir dans ses fonctions de
mousquetaire à la Cour, privé de toute occasion de
briller et de faire carrière. C’est alors que Richelieu
se souvient de lui et l’envoie en mission en Espagne, en
guerre avec la France. Il s’agit d’aider la Catalogne et
les nombreux ennemis du roi d’Espagne à se rallier à
notre pays. D’Artagnan accepte avec enthousiasme. Même
si son rôle d’espion l’amène d’ailleurs à commettre des
actes peu honorables. Chargé d’infiltrer une bande de
brigands/rebelles qui s’opposent aux troupes françaises
installées en Catalogne, d’Artagnan trahit leur chef, un
homme valeureux qu’il admire, et cause sa mort. Mais un
soldat obéit aux ordres…
Deuxième volet du récit: les complots à la Cour autour
du personnage de Cinq-Mars. Ce favori de Louis XIII à
l’ambition démesurée se heurte de front à Richelieu. Les
nombreux ennemis du cardinal le poussent à user de sa
considérable influence sur le roi pour faire chuter le
tout puissant ministre. Tout au long du roman, on voit
Cinq-Mars se rapprocher d’une rébellion directe contre
Richelieu.
La troisième volet, enfin, a pour principal personnage
Cyrano de Bergerac. Pas le héros romanesque d’Edmond
Rostand, mais bien le personnage historique. Ayant
quitté l’armée suite aux blessures reçues lors du siège
d’Arras, le futur écrivain fréquente les milieux
intellectuels libertins. Nulle action romanesque dans
cette partie-là, mais de longues discussions
philosophiques et esthétiques entre des personnalités
qui défendent une approche scientifique du monde et une
liberté de pensée mal vue par les autorités civiles et
religieuses. Ce pan « Cyrano de Bergerac »
n’est d’ailleurs, dans ce premier tome au moins,
aucunement relié aux deux autres volets du récit.
Si de multiples auteurs ont imaginé, tantôt des romans
s’intercalant entre les deux premiers de la trilogie des
Mousquetaires et faisant intervenir le complot de
Cinq-Mars, tantôt des rencontres
entre d’Artagnan et Cyrano, c’est bien dans son
écriture en forme de pastiche que se distingue Fanny
Audibert. Tout le roman est écrit comme si c’était par
Alexandre Dumas lui-même. Celui-ci s’adresse directement
au lecteur, à la première personne du pluriel (« Rappelons
que dans le siècle dont nous parlons… »), en
se situant à sa propre époque (« en notre XIXe
siècle »). Il fait référence à ses propres
livres (la guerre d’Italie « sur le déroulement
de laquelle nous avons déjà instruit nos lecteurs dans
‘Le Sphinx Rouge’ »). Les tics d’écriture de
Dumas sont omniprésents (« voilà tout »…),
tout comme, selon les mots de Fanny Audibert, « sa
grandiloquence, ses latinismes, ses balancements… »
Dans la partie « historique », on retrouve
l’évocation des grands personnages du royaume
parfaitement à la manière de Dumas, avec des portraits
évocateurs de Louis XIII, Richelieu, Cinq-Mars et
autres. La composante qui retiendra le plus l’attention
du lecteur est bien sûr celle concernant les nouvelles
aventures de d’Artagnan. Bien menée, pleine de
rebondissements, elle regorge de références aux Trois
mousquetaires, amenées avec beaucoup d’habileté.
C’est, au détour de conversations, des allusions à
l’exécution de Milady ou à l’affaire du bastion
Saint-Gervais (voir extrait ci-dessous). Ou une
discussion imaginaire entre d’Artagnan, qui regrette
l’absence de son fidèle valet de jadis, et Planchet. Ou
bien encore, parce qu’il converse avec un interlocuteur
particulièrement peu loquace, des réminiscences de
Grimaud, formé au mutisme par Athos…
Alors que l’avertissement de l’auteure en tête de
volume, pouvait faire croire au lecteur qu’il ne
rencontrerait dans Le comte de Barcelone que
d’Artagnan et aucun de ses trois amis, la réapparition
de ces derniers surprend agréablement. On assiste aux
retrouvailles d’Athos et Aramis, le second ayant une
faveur à demander au premier. Porthos ne fait qu’une
apparition ponctuelle, mais fort réussie: le temps d’une
longue conversation dans une auberge avec Étienne Lathil
(héros du Sphinx rouge utilisé également par
l’auteure), où l’ancien mousquetaire dévoile toute sa
personnalité, sa naïveté et ses prétentions à un
interlocuteur perspicace et très amusé.
Le récit comporte même des allusions aux suites des Trois
mousquetaires, que le lecteur pourra s’amuser à
recenser. On voit par exemple d’Artagnan regretter le
diamant donné par Anne d’Autriche à la fin de l’affaire
des ferrets de la reine, qu’il a été obligé de vendre,
ce qui annonce l’épisode de Vingt ans après où
Mazarin lui rend cette pierre précieuse. Ou bien encore,
on apprend lors d’une conversation entre la duchesse de
Chevreuse (qui réapparaît elle aussi) et Aramis, que ce
dernier est « consumé » par le secret
que celle-ci lui a confié (celui de l’existence d’un
frère jumeau du roi), qui nourrit chez lui une ambition
insatiable - ce qui formera le cœur de l’intrigue du Vicomte
de Bragelonne.
Si Fanny Audibert s’en tient strictement à l’injonction
dumasienne selon laquelle d’Artagnan n’a revu aucun de
ses amis entre Les trois mousquetaires et Vingt
ans après, elle s’amuse à en frôler d’aussi près
que possible le non respect: dans la dernière page de
son roman, d’Artagnan et Aramis sont à quelques mètres
l’un de l’autre, le second ayant ordonné à des hommes de
main de tuer le premier - qui est là sous une fausse
identité, ce dont Aramis ne se doute pas. Le comte
de Barcelone se termine ainsi sur un terrifiant
suspense: d’Artagnan va-t-il périr assassiné sur ordre
de son ami? Bon, le respect par l’auteure de la
succession des intrigues de Dumas fait que l’on peut
raisonnablement parier que notre héros va s’en tirer,
mais on attend la suite!
Bon portrait de la fin du règne de Louis XIII, bon récit
d’aventure, le roman se distingue surtout par son
exceptionnelle fidélité à la manière d’écrire de Dumas,
que l’on savoure constamment. Le seul regret tient à la
composante Cyrano de Bergerac, souvent verbeuse et
déconnectée de l’intrigue principale. A voir s’il en est
toujours ainsi dans le deuxième tome.
Extrait du chapitre XV La patrie des vaillants
Le comte employa plusieurs minutes à relire devant
d'Artagnan la lettre que lui avait écrite le cardinal;
lecture qu'il accompagna de force hochements de tête et
de force coups d'œil en direction de notre mousquetaire,
qui demeurait impassible.
Enfin le comte replia la lettre et déclara :
— Monsieur le lieutenant, le cardinal m'écrit que l'on
peut faire fond sur vous, et que vous avez rendu
d'importants services à la couronne; trop importants, à
ce qu'il parait, pour être racontés.
D'Artagnan s'inclina en retenant un sourire.
— On m'apprend également que vous vous êtes distingué
plusieurs fois au feu, au pas de Suse en Italie, et,
avant cela, à La Rochelle. La Rochelle ! répéta La
Mothe-Houdancourt. J’y ai combattu moi-même, sous les
ordres de feu le duc de Montmorency. Sous quelle
enseigne y étiez-vous ?
— Je pourrais vous répondre que j'y ai servi sous deux
enseignes, monsieur.
— Deux ! comment cela ?
— C'est que j'eus le bonheur de changer de corps d'armée
pendant la durée du siège: je m'y rendis parmi les
Gardes, où je me trouvais ; par la suite, je suis passé
aux Mousquetaires, grâce au cardinal, qui voulut bien
faire cela pour moi. Mais, si vous m'interrogiez pour
connaître sous quel drapeau je me sentis le plus honoré
de combattre…
— Je comprends ; celui des Mousquetaires, je présume ?
— Non, M. le comte.
— Alors, celui des Gardes.
— Ni l'un, ni l'autre. Je m'aperçois que j'ai eu tort en
vous parlant de deux enseignes, car il y en eut trois :
celle que j'ai eu le malheur d'oublier était une
serviette d'hôtellerie.
— Une serviette d'hôtellerie !
— Oui, mais quelques trous qu'y laissèrent les balles
des ennemis eurent tôt fait de la changer en drapeau, et
ce trophée fit voir que mes trois camarades, ou plutôt
mes trois amis, et moi-même, avions approché d'assez
près le camp des Rochelais. J'ajoute que pas un d'entre
nous ne manqua à l'appel, tandis qu'ils y laissèrent
douze ou quinze des leurs.
— Ah .... fit La Mothe-Houdancourt. C'est donc ce fameux
épisode de... du bastion... Veuillez rafraîchir ma
mémoire.
— Cela se passait dans le bastion Saint-Gervais.
— Mais, fit tout à coup le comte, vous deviez avoir,
alors, à peine quelques années de moins que je n'en
avais moi-même; c’est-à-dire...
— J'avais tout juste vingt ans, monsieur, dit
d'Artagnan, dont le cœur, à ces souvenirs, se gonflait
de fierté.
Les yeux de La Mothe-Houdancourt s'écarquillèrent avec
quelque chose qui ressemblait à de la surprise.
— Monsieur, dit-il enfin, le cardinal, qui s'y connait
en hommes, n'avait sans doute pas tort en vous envoyant
jusqu’à moi.
— C'est ce qu'il semblait croire.
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