La comtesse de Monte-Cristo
Jean Duboys
270 pages 1867 - France Roman
Intérêt: *
Publiée en France du vivant de Dumas, cette Comtesse
de Monte-Cristo est curieusement beaucoup plus connue -
et facile
à trouver - aux Etats-Unis, où elle a été
publiée à maintes reprises dans différentes
traductions, soit sans nom d'auteur, soit sous celui de Dumas, soit sous le titre The countess of Monte-Cristo, soit en deux parties intitulées respectivement The countess of Monte-Cristo et The daughter of Monte-Cristo.
Le livre est d'ailleurs fréquemment inclus dans les oeuvres
complètes de l'écrivain... Et d'autres suites apocryphes
de Monte-Cristo y font des allusions pour inciter à sa
lecture, comme Monte-Cristo's
daughter.
La comtesse de Monte-Cristo a été publiée
initialement en feuilleton à partir du 27 octobre 1867
dans le journal "La Petite Presse", avant d'être
reprise à partir du 1er octobre 1869, toujours en feuilleton, dans "Le Voleur".
Aux Etats-Unis, la préface de l'éditeur T. B. Peterson
au volume publié dès 1871 cite le "succès
sans exemple" rencontré par ce récit dans
"Le Voleur" et aussi la vogue dont il a bénéficié
dans "Le Messager Franco-Américain", le "New
York Herald" et le "New York Evening Telegram".
Ce qui amène l'enthousiaste éditeur à proclamer
le livre "indiscutablement le plus merveilleux roman de
notre époque" et à décréter
qu'il n'a pas d'équivalent, "pas même le chef
d'oeuvre du grand Dumas"!
En réalité, cette emphase est loin d'être
justifiée. Le roman raconte les aventures d'Hélène
de Rancogne, victime au début du récit des machinations
de l'infâme Hercules Champion, régisseur du domaine
de Rancogne. Aidé de ses complices, le docteur Toinon
et le négociant Matifay, Champion assassine le comte,
s'empare du domaine et des biens d'Hélène et, face
au refus de cette dernière de l'épouser, la fait
condamner à perpétuité pour le meurtre de
son mari...
Heureusement, Joseph, un fidèle domestique de la famille,
décide de sauver sa maîtresse: il organise la fausse
mort de cette dernière en prison et découvre le
trésor perdu depuis longtemps des seigneurs de Rancogne.
Quelques années plus tard, au milieu du XIXème
siècle, tout Paris est ébloui par le faste d'une
mystérieuse grande dame dont on ignore tout. Comme le
célèbre roman de Dumas est alors sur toutes les
lèvres, cette richissime inconnue est tout naturellement
surnommée la comtesse de Monte-Cristo (celle-ci n'a donc
rien à voir avec le comte de Monte-Cristo de Dumas, sinon
par analogie). Il s'agit bien sûr d'Hélène
de Rancogne, venue se venger de ses ennemis.
Ces derniers se sont entre temps totalement brouillés.
Matifay a fait prospérer sa part de butin et est devenu
le plus riche banquier de France. Champion, qui s'appelle désormais
Le Gigant, lui voue une haine mortelle et convoite sa fortune.
Une intrigue compliquée s'élabore. Utilisant les
charmes de la courtisane Nini Moustache, Le Gigant pousse méthodiquement
à la ruine le comte de Puysaie, dont le vieux Matifay
convoite la très jeune fille Cyprienne. Quand le mariage,
destiné à sauver le comte de la faillite, aura
été réalisé, Le Gigant prévoit
de s'emparer de la fortune combinée de Matifay et des
Puysaie en utilisant une fille cachée de ces derniers
et en éliminant les gêneurs.
La comtesse de Monte-Cristo - qui utilise plusieurs identités
et déguisements - et ses amis entravent bien sûr
ces noirs desseins. L'intrigue s'inscrit dans la plus pure veine
des mélos de l'époque: appels aux bons sentiments
de la courtisane, apparition d'enfants illégitimes, coïncidences
monstrueuses. Tout se termine bien: Matifay meurt avant d'avoir
pu toucher la pauvre Cyprienne, qui peut du coup se marier avec
le fidèle Joseph, qui se révèle ne pas être
du tout domestique, mais bien un descendant caché des
Rancogne! Le Gigant et Toinon finissent aux galères. Quant
à la comtesse de Monte-Cristo, elle crée l'ordre
des Soeurs du Refuge, une oeuvre de bienfaisance destinée
aux femmes méritantes.
Fort long et passablement embrouillé, le roman est loin
d'approcher de son modèle. La transformation d'Hélène
de Rancogne en comtesse de Monte-Cristo est à peine esquissée,
de même que l'utilisation de sa fortune. Ses méthodes
de vengeance manquent de la subtilité de celles du comte.
Et il est frappant de constater que le récit suit beaucoup
plus souvent les autres personnages que la comtesse elle-même.
Le trait le plus original est peut-être la dimension "féminine"
donnée au personnage: Hélène cherche plus
à empêcher ses ennemis à nuire de nouveau
qu'à les punir, et accorde plus d'importance à
secourir les femmes en difficulté qu'à se venger.
Extraits successifs de l'original français et de la traduction anglaise
Première partie Les misères des riches, chapitre 2 Un bal chez la comtesse de Monte-Cristo
En ce bienheureux hiver de l‘an de grâce 18… la reine de la saison fut la comtesse de Monte-Cristo. Le célèbre roman d’Alexandre Dumas était alors dans le plus fort de sa vogue et fournit tout naturellement un nom à cette grande dame anonyme qui jetait l’or par les fenêtres de son hôtel avec une prodigalité quasi royale, et s’entourait d’un mystère tout à fait romanesque en vérité.
D’où elle venait, on l’ignorait: noble, elle devait l’être, son grand air ne laissait aucun doute à cet égard; digne de tout respect, elle l’était aussi, et l’on parlait même à voix basse d’une auguste protection hautement affirmée en plusieurs circonstances. Les gens qui prétendent tout savoir, et ils sont nombreux dans cette petite ville, que l’on nomme «tout Paris», avaient chacun leur roman sur le compte de la comtesse de Monte-Cristo. L’un prétendait que c’était une princesse aussi moldave qu’inédite, voyageant à la façon de Christine, reine de Suède; d’autres affirmaient qu’elle arrivait en ligne droite de Constantinople, où elle avait épousé le sultan. D’autres prétendaient que c’était tout simplement une amie intime de la fameuse lady Esther Stanhope, dont on s’occupait alors beaucoup. Les plus mystérieux enfin, ceux que par conséquent on croyait avec plus de facilité, se chuchotaient à l’oreille je ne sais quelle légendepolitico-fantastique d’où il résultait simplement que la comtesse de Monte-Cristo était une aventurière du plus grand monde, une sorte de duchesse de Lamothe-Valois, chargée par le cabinet des Tuileries d’importantes missions diplomatiques.
Quoi qu’il en soit, et que nos lecteurs adoptent telle ou telle de ces versions qui leur semblera la plus plausible, cette année-là, la comtesse de Monte-Cristo était, dans toute la force du terme, l’étoile du grand monde, et une étoile de premier ordre.
Son hôtel des Champs-Elysées pouvait soutenir la comparaison avec les plus luxueuses demeures de Paris; ses équipages étaient universellement cités. Nul ne connaissait la valeur exacte de son coffret à diamants, et pour devenir à la mode soi-même, il suffisait d’avoir été seulement remarqué par elle.
Telles les planètes, qui ne sont des astres que parce qu’elle empruntent quelques rayons au soleil.
On connaissait du reste beaucoup de relations à la comtesse de Monte-Cristo, beaucoup de relations et peu d’intimes.
Chapitre 17 A ball at the mansion of the
countess de Monte-Cristo
In
the beautiful winter of the year of grace 18--, the queen of
the season was Madam de Monte-Cristo. The celebrated novel of
Alexandre Dumas (The Count of Monte-Cristo) was in the height
of its vogue, and naturally gave a name to that great anonymous
lady who cast her gold broadcast with a regal prodigality, and
surrounded herself with a truly romantic mystery.
Whence she came, none knew: noble she must be, her distinguished
bearing left no doubt on that score, worthy of all respect she
really was, and whispers went around about some high protection
that had transpired on several occasions. People who pretended
to know everything, and there are many such in that small city
of Paris, had each their own tale about Madam de Monte-Cristo!
Some asserted that she was a Moldavian Princess, travelling after
the style of Christina, Queen of Sweden: others that she had
come straight from Constantinople and that she had married the
Sultan. Others again stated that she was merely a friend of the
famous Lady Esther Stanhope, whose name was then in every one's
mouth! The most mysterious version, propagated by the knowing
few, whispered about some wonderful political legend, which would
fain prove that Madam de Monte-Cristo was but an adventurer of
the upper class, a kind of Duchess of Lamothe Valois, charged
by the Tuilleries with some important political mission.
However it might have been, and the reader can assume which version
he pleases, but during that season Madam de Monte-Cristo was
the star of high life, in the first degree. Her hotel in the Champs-Elysées, could vie with the most
luxurious dwellings of Paris, and her equipages were unique!
No one could estimate the value of her jewel-case, and to be
fashionable it sufficed to be admired by her.
Planets are but stars borrowing rays from the sun. Madam de Monte-Cristo
was known to have many acquaintances, very many, but very few
intimate friends. |