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D’Artagnan amoureux
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Extrait du chapitre 21 Comment une machine volante qui ne vole pas se transforme en une machine roulante qui roule
(D'Artagnan et Pélisson de Pélissart veulent se lancer à la poursuite de La Fon, qui a volé le projet de traité de paix)
(D'Artagnan)- Imaginez que nous rattrapions votre La Fon?
- Si vous faites cela, je lui prends le coeur et j'en fait deux
parts: une pour mes rats, une autre pour...
- Imaginez seulement que nous arrivions à Paris en même
temps que lui.
- Mieux encore. Je demande au cardinal de le faire rouer. Le
cardinal est trop bon ami à moi pour me refuser cela.
- Encore faut-il arriver à Paris.
- D'Artagnan, votre calme m'effraye. Vous avez une seconde idée.
- Il est acquis que nous ne pouvons partir à cheval ou
en carrosse, car le mouvement de la route nous romprait les os.
- On n'en peut douter.
- En cette extrémité, que nous reste-t-il donc?
- Vous, d'Artagnan, ou plutôt votre idée.
- Vous, au contraire, mon cher Pélisson.
- Moi?
- Oui, vous et votre machine volante.
Le regard de M. Pélisson se voila d'inquiétude.
- Vous savez qu'il s'agit d'une fort belle machine, mais qui
ne vole pas encore.
- Vous me l'avez expliqué. Mais pour un ingénieur
de votre force...
- Inventeur, inventeur! Pas ingénieur.
- Dites-moi la différence.
- Vous comprenez que je ne puis m'encombrer la tête de
calculs, ni me gâcher les mains à serrer des vis.
- Je le conçois.
- J'ai laissé ces besognes à mes physiciens, mes
mécaniciens, mes dessinateurs, mes astronomes, mes chimistes.
- Vous avez tout cela?
- Oui, dans les massifs centraux de la France. Moi, j'ai donné
l'idée de cette machine et les drôles l'ont réalisée.
- Vous m'avez défini son principe.
- Oh, il est fort simple. On a extrait de mes mines une pierre
assez remarquable qui chauffe instantanément tout ce qu'on
en approche.
- Une chaleur extrême m'avez-vous dit.
- A tel point que mes premiers physiciens en eu les bras perdus.
J'ai dû en faire venir de nouveaux de Paris.
- Et de cette chaleur vous avez tiré de quoi faire tourner
deux roues géantes?
- Elles tournent fort bien.
- Mais la machine ne s'élève pas.
- Hélas, non! Je l'ai cependant prévue d'un poids
extrême.
- Dans quel but?
- Dans le but de jeter du lest en montant. Voyez-vous, si j'élève
du sol un poids de six mille livres, je ne l'en soutiendrai que
mieux dans les airs lorsqu'il en pèsera trois mille.
- Acceptez-vous une proposition?
- De grand coeur.
- Allons voir votre machine.
Et d'Artagnan, appuyé sur Planchet, suivit M. Pélisson
appuyé sur M. de Pélissart, jusqu'à son
atelier.
La machine s'y trouvait, soutenue par une galerie de bois.
Elle mesurait douze pieds de haut et quarante de long. Son apparence était celle d'une nacelle bordée par deux roues
géantes. Ces roues étaient percées d'alvéoles,
leur rôle étant d'aspirer l'air et de le rejeter
aussitôt, comme font certains poissons pour se mouvoir.
Huit roues, plus petites, assuraient la marche de l'engin sur
le sol.
Le moteur, prêt à fumer, se composait d'un entrelacs
de tuyaux, alimentés par deux gros réservoirs d'eau
placés de chaque côté.
D'autres réservoirs représentaient les trois mille
livres de lest annoncées par M. Pélisson.
Enfin, il y avait un drapeau aux fleurs de France tendu au-dessus
des deux sièges d'osier prévus pour le pilote et
son passager. Des coussins, superbement brodés aux armes
de M. Pélisson, assuraient le confort des passagers.
Disons ici quelles étaient les armes de M. Pélisson
de Pélissart. Elles représentaient une oie tenant
dans son bec une couronne d'épines, avec cette devise:
"Ma foi vaut mon foie."
D'Artagnan considéra l'ensemble de cette construction
avec la minutie qu'il portait en toute chose. Quand il eut terminé
son inspection, il se tourna vers l'inventeur qui attendait ses
observations la paupière gonflée et la narine basse.
- Imaginez, cher Pélisson, que vous vidiez les trois mille
livres d'eau qui vous servent de lest.
- Par l'aube et le chant du coq, je puis le faire. Mais...
- Mais?
- Mais j'en serai bien gêné à mille mètres
d'altitude.
- Le feriez-vous pour l'amour de moi?
- Oui.
- Et par haine du La Fon?
- Par le diable vert-pré, dix fois oui.
- Quand cela?
- Le temps de déverser l'eau.
- Bien, Planchet, notre bagage. Nous partons.
- Moi aussi, Monsieur?
- Toi aussi.
- Dans les airs?
- Je n'ai pas dit dans les airs. J'ai dit: avec moi.
- En ce cas, je suis prêt.
Et le fidèle Planchet, ne doutant pas que son maître
fût devenu fou, mais sachant qu'il est des occasions où
folie vaut raison, courut préparer les bagages.
Deux heures plus tard, la machine, délestée de
son poids inutile, fumait.
- Jambe de chienne! fit M. Pélisson. Et si elle volait
à présent?
- N'est-ce point ce que vous cherchiez?
- Depuis que je me suis frotté au soleil, je suis un peu
guéri de ces expéditions.
- Ne craignez rien. Nous ne monterons pas si haut.
- Vous ne m'empêcherez pas d'éprouver un très
fort sentiment d'attraction terrestre.
- Songez à La Fon.
- Au Fon? Le perfide! En route!
Et M. Pélisson abaissa la manette de cuivre qui commandait
le mouvement des roues centrales. L'appareil fit un bond, Planchet
retint son chapeau à deux mains et, comme une flèche,
la machine parcourut quelques coudées. Cela fait, elle
s'arrêta.
- Prodigieux! s'écria M. Pélisson. Cette machinevolante
roule.
- Oui, mais voudrait-elle continuer?
- Certes. Laissez-moi parler au moteur.
Et M. Pélisson se pencha sur les tuyaux qui laissaient
échapper d'amers grondements.
Une minute plus tard, la machine repartait, semant l'effroi dans
Rome.
Un chien fut sa première victime. Mais comme ce chien
était enragé et se proposait de mordre deux enfants
de six et huit ans, ce fut une bonne oeuvre, sinon une bonne
action.
Un prêtre entreprit de bénir les passants. La machine
lui happa le bras. Ce fut une nouvelle chance, car ce prêtre
entretenait des relations secrètes avec l'hérésie
et accompagnait ses bénédictions de prières
telles que: "Pourceaux de Romains, que Luther l'emporte
au plus tôt et que je puisse me marier avec ma gothon."
La troisième manifestation de la Providence se produisit
quand la machine écrasa un jeune suisse de la Garde pontificale
nommé Knappergraffenringsturpelschwirtzhömellungsburger.
En effet, ce malheureux, hanté par des idées malsaines
et d'ailleurs porté sur les bières fortes, avait
projeté le matin même de lacérer les toiles
de la chapelle Sixtine pour les remplacer par des compositions
de son cru.
Imperturbable, d'Artagnan contemplait la route.
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