Le comte de Monte-Cristo In "Temps zéro"
Italo Calvino
14 pages 1967 - Italie Nouvelle
Intérêt: ***
Cette nouvelle de Calvino constitue une variations sur le thème d'Edmond Dantès enfermé
dans sa cellule et essayant de "construire par la pensée
une forteresse d'où il est impossible de fuir". Pendant
que l'abbé Faria creuse des tunnels en tous sens, qui
transforment le château d'If en gruyère mais le
ramènent toujours dans la cellule d'Edmond Dantès,
ce dernier ne travaille à son évasion que par la
pensée. Car quand il aura construit mentalement cette
forteresse parfaite, il lui suffira de "déterminer
le point où la forteresse pensée ne coïncide
pas avec la véritable" pour trouver où se
situe la possibilité de fuite.
Brillante méditation sur la captivité de Dantès,
avec, entre autres, un parallèle entre l'île d'If
d'où il faut sortir et celle de Monte-Cristo où
il faut pénétrer. Avec en outre un développement
sur les méthodes de travail de Dumas: deux nègres
lui élaborent "toutes les variantes possibles d'un
hyper-roman démesuré" en passant en revue
tous les développements imaginables à chaque stade
de l'action. A partir de quoi Alexandre Dumas choisit la construction
de son livre...
Ce texte très étonnant constitue un superbe exercice de style de la part d'un des plus grands écrivains italiens du XXème siècle.
Extrait de la 3ème partie
Les murs et les voûtes sont percés dans tous
les sens par le pic de l'abbé, mais ses itinéraires
ne cessent de s'enrouler sur eux-mêmes comme une pelote
de laine, et ma cellule d'être traversée par lui
suivant toujours un nouveau tracé. Avec le temps le sens
de l'orientation s'est perdu: Faria ne reconnaît plus les
quatre points cardinaux ni même le haut et le bas. Parfois
je l'entends gratter le plafond; il tombe une pluie de plâtras;
une brèche s'ouvre; il en sort la tête de Faria,
à l'envers. A l'envers, pour moi, mais pas pour lui;
il rampe jusqu'au-dehors de sa galerie, il progresse la tête
en bas sans que rien s'en trouve dérangé dans sa
personne: ni ses cheveux blancs, ni sa barbe verdie par les moisissures,
ni les lambeaux de toile de sac qui recouvrent ses reins amaigris.
Comme une mouche, il parcourt le plafond et les murs; il s'arrête,
il plante son pic ici ou là, il s'ouvre un trou; il disparaît.
Quelquefois il n'a pas disparu à travers un mur qu'il
réapparaît par le mur d'en face: il n'a pas encore
retiré de là son pied que déjà il
se présente, ici, avec sa barbe. Il revient plus fatigué,
squelettique, vieilli, comme s'il s'était passé
des années depuis la dernière fois que je l'ai
vu.
Quelquefois au contraire, à peine s'est-il glissé
dans la galerie que je l'entends aspirer comme quelqu'un qui
se prépare à éternuer bruyamment: il fait
froid et humide, dans les méandres de la forteresse; mais
l'éternuement n'arrive pas. Moi, j'attends: j'attends
une semaine, un mois une année; Faria ne revient plus;
je me persuade qu'il est mort. Tout d'un coup le mur en face
tremble comme dans un tremblement de terre; à travers
l'éboulis Faria se présente, sur la fin de son
éternuement. |