Les véritables mémoires de d’Artagnan le mousquetaire (Histoires secrètes et aventures galantes de la cour de France sous les cardinaux de Richelieu et Mazarin) recueillis et mis en ordre par Albert Maurin
Albert Maurin
400 pages 1874 - France Roman
Intérêt: *
Ce gros volume - 400 pages grand format sur deux colonnes
- publié dès 1874, soit juste après la mort
de Dumas, est peut-être l'une des premières tentatives
d'exploiter le succès des Trois mousquetaires
sous prétexte de rétablir la vérité
historique des personnages rendus célèbres par
l'écrivain. Le livre se fixe en effet comme objectif de
révéler les "véritables mémoires"
de d'Artagnan, mais il n'en est pas moins écrit comme
un roman.
L'auteur s'explique de cette contradiction au début du
deuxième chapitre: "Après avoir intitulé
ce livre "Mémoires", si nous ne nous sommes
pas astreint à la forme habituelle de ces sortes d'écrits,
en laissant la parole à notre héros, pour raconter
lui-même ses aventures, ses bonnes et mauvaises fortunes,
ses amours, ses disgrâces, les merveilleuses ou étranges
péripéties à travers lesquelles il va passer,
la commodité et le plaisir seuls du lecteur nous ont conseillé
cette marche.
Le récit que nous lui offrons aura ainsi moins de monotonie,
plus de variété, d'imprévu, partant plus
d'intérêt, que si nous suivions d'Artagnan d'heure
en heure, et, pour ainsi dire, pas à pas.
Plus libre dans ses allures, son histoire, sans cesser d'être
authentique, pourra se parer ainsi des agréments du roman,
et la vérité y aura tous les charmes de la fiction."
Le livre apparaît donc finalement tout simplement comme
un version romancée des Mémoires de M. d'Artagnan
de Courtilz de Sandras.
Extrait du chapitre 1 L'hôtel des mousquetaires
du Roi - La belle cabaretière de la rue du Vieux-Colombier
En ce moment l'attention des interlocuteurs de Porthos fut
détournée par un mouvement qui se fit dans la cour
de l'hôtel.
Un étranger venait d'y pénétrer et demandait
aux mousquetaires qu'il rencontrait sur son passage, s'il lui
était possible d'être introduit auprès du
capitaine-lieutenant.
- Il est pour l'heure en conférence avec ses officiers,
lui répondit un de ceux auxquels il s'adressait; mais,
avant qu'il soit longtemps, il aura. certainement terminé...
Et si vous avez, mon brave, quelque message pressé à
lui remettre, quelque commission qui ne souffre pas de retard...
- Monsieur, on me nomme Charles de Batz de Castelmore, chevalier
d'Artagnan, répliqua l'étranger, en regardant le
mousquetaire entre les deux yeux.
Puis, un poing sur la hanche, l'autre au pommeau de son épée,
il passa droit et fier devant lui, s'avançant vers la
porte de la galerie, qui s'ouvrait sur la cour, au haut d'un
perron de six marches.
Aux paroles que le nouveau venu avait prononcées d'une
voix forte, tous les mousquetaire avaient levé la tête; et le voyant lentement monter les marches du perron, en retournant
la tête comme pour les toiser, deux ou trois firent quelques
pas, comme pour lui demander compte de son insolence.
C'était un grand jeune homme un peu maigre, d'une jolie
figure très expressive, le nez busqué, les yeux
largement fendus et d'un grand éclat, la bouche petite,
le menton bien dessiné, sous sa royale, avec de naissantes
moustaches, des cheveux châtains naturellement bouclés,
la taille élégante, la démarche assurée.
Il ne paraissait pas plus de seize à dix-sept ans.
- On n'a pas besoin de me dire d'où il arrive ce nouveau
débarqué, dit Aramis, penché à la
fenêtre, tandis qu'il gravissait le perron. Il nous vient
en droite ligne du pays de Gascogne. N'est-ce pas, Porthos, qu'il
n'y a encore que notre pays, le gave d'Oléron, pour produire
d'aussi beaux gars.
Porthos acquiesça par un signe de tête à
la réflexion de son frère.
Au même instant le chevalier d'Artagnan entrait dans la
galerie. Il fit une courte pause sur le seuil, embrassa l'assistance
d'un rapide coup d'oeil, et son attention ayant sans doute été
fixée par la haute taille et la belle prestance de Porthos,
il s'avança vers lui avec un air de parfaite aisance.
- Monsieur, lui dit-il, pourriez-vous me renseigner sur l'endroit
où je pourrais trouver M. de Tréville?
- M. de Tréville est dans l'hôtel: seulement je
doute qu'il puisse vous donner audience à cette heure...
Mais, pardonnez-moi, mon jeune ami, si je vous adresse une question
à mon tour ?
- Ouais! pensa d'Artagnan, ils sont bien familiers, les Parisiens;
l'un m'appelle "mon brave," l'autre "mon jeune
ami." Sang-Diou! je finirai par me fâcher.
Porthos reprit :
- A votre accent, j'ai vu tout de suite que nous sommes compatriotes...
Y a-t-il longtemps que vous avez quitté la Gascogne?
- J'en suis arrivé d'hier matin, monsieur, mais vous-même,
vous êtes donc...
- Né natif des bords du gave d'Oléron, et je m'appelle
Porthos.
- Que je suis heureux de vous rencontrer, s'écria d'Artagnan,
dont le front se dérida... Mon père, Bertrand
de Batz, seigneur de Castelmore, m'a bien souvent parlé
de vous et de vos deux frères; il m'avait même donné
une lettre pour vous... Malheureusement, elle m'a été
dérobée, avec une autre lettre de mon père,
pour M. de Tréville, dans une bagarre entre Blois et Orléans,
où j'ai perdu aussi ma bourse, ma valise et mon cheval...
Une bien méchante aventure que je vous raconterai...
- Si cette perte vous gêne, je suis tout à votre
service.
Le jeune Gascon allait remercier son nouvel ami, lorsque le mousquetaire,
auquel il s'était adressé dans la cour, et dont
il avait rabattu la morgue en lui jetant au nez ses titres nobiliaires,
s'approcha de lui, l'air narquois, un méchant sourire
sur les lèvres.
- Monsieur le chevalier d'Artagnan, lui dit-il, vous avez bien
voulu vous informer à moi de M. de Tréville.
- Vous a-t-il chargé de m'annoncer et de m'introduire
auprès de lui?
- Monsieur le capitaine-lieutenant vient de sortir de l'hôtel
par la porte de la rue de Verneuil. Vous n'avez pas de chance.
Il vous faudra repasser, monsieur le chevalier.
Le sang monta au visage de d'Artagnan; il allait répliquer
et s'engager peut-être dans quelque mauvaise affaire; mais
le mousquetaire tourna vivement sur ses talons et s'éloigna,
en sifflotant un air de menuet.
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