La Reina del Sur La Reine du Sud (Seuil)
Arturo Pérez-Reverte
546 pages 2002 - Espagne Roman
Intérêt: ***
Présenté expressément par son auteur comme inspiré du Comte
de Monte-Cristo, ce roman est le deuxième hommage
à Dumas écrit par le journaliste et romancier espagnol
Pérez-Reverte, après le célèbre Club Dumas.
Mais contrairement à
ce qu’ont pu faire tout récemment Stephen Fry avec The stars’
tennis balls ou Christian de Montella avec
Talion, il
ne s’agit nullement d’une transposition littérale du
roman de Dumas, d’une sorte de Monte-Cristo
modernisé. Ce dernier livre n’est qu’une source
d’inspiration parmi d’autres pour La Reina del Sur,
qui se veut bien autre chose qu’un pastiche de Dumas, et
notamment un reportage quasi-journalistique sur le
trafic de drogue.
L’Edmond Dantès de Pérez-Reverte est une jeune
Mexicaine, Teresa Mendoza. Son compagnon El Güero Davila
est pilote d’avion pour le compte des trafiquants de
drogue du Sinaloa, Etat du nord-ouest du Mexique. Les
mœurs – abondamment décrites – de ces gangs étant ce
qu’elles sont, Davila est assassiné par ses employeurs.
Et comme le veulent les « règles » locales, sa compagne
doit subir le même sort, même si elle ne sait rien de
ses affaires.
Mais l’instinct de survie fait apparaître chez Teresa
des ressources insoupçonnées qui lui permettent de
s’enfuir in extremis. Elle se réfugie en Espagne où,
près de Gibraltar, elle fait connaissance d’un autre
homme, Santiago Lopez Fisterra. Trafiquant de drogue lui
aussi, il pilote une vedette rapide et fait passer des
cargaisons de haschich du Maroc en Espagne. Teresa
l’accompagne dans ses expéditions et apprend le métier.
Mais Fisterra est lui aussi victime d’une trahison et
meurt au cours d’une poursuite avec les douaniers.
Teresa est emprisonnée.
En prison, elle se lie avec Patricia O’Farrell, jeune
femme de bonne famille qui a eu quelques démêlés avec la
drogue. Pati fait découvrir à la petite Mexicaine quasi
analphabète des horizons inconnus: la culture – le
premier livre qu’elle lui fait lire est... Le comte
de Monte-Cristo -, l’importance de la réflexion,
un certain sens de l’élégance et de la classe. Les deux
femmes étant libérées à peu près en même temps, Pati
donne accès à Teresa à un «trésor»: un stock
considérable de drogue dont les propriétaires
«légitimes» ont disparu. Les deux femmes s’associent
pour exploiter le pactole. Elles passent un accord avec
la mafia russe installée sur la Costa del Sol, et
utilisent leur capital de départ pour créer leur propre
business.
Les qualités de Teresa se révèlent alors toutes
entières: sens inné de l’organisation, compétences
techniques et géographiques acquises pendant son travail
avec Fisterra, discrétion, fiabilité, absence totale
d’état d’âme dans la conduite de ses affaires. Teresa
monte donc une entreprise très spécialisée, hyper
professionnelle, assurant le transport de la drogue pour
le compte des gangs de trafiquants russes, italiens,
colombiens et autres. Avec mise en place d’une nuée de
sociétés écrans, réseau de corruption au Maroc et en
Espagne, etc..
Dans cette formidable ascension dans le monde du
crime, Teresa n’est épargnée ni par ses rivaux, ni par
les trahisons. Mais elle sait toujours se montrer
impitoyable quand il le faut.
Baptisée «Reine du Sud» en raison de sa fortune et de
son influence, Teresa voit cependant sa vie basculer le
jour où les représentants des services secrets
américains et mexicains viennent lui proposer un marché:
une amnistie en échange de son témoignage public contre
le parrain du Sinaloa qui avait fait exécuter Davila.
Teresa accepte et, malgré une spectaculaire tentative
d’assassinat, va accomplir sa vengeance, douze ans plus
tard.
Les points communs entre La
Reina del Sur et Le comte de Monte-Cristo
sont nombreux. Les grands thèmes fondamentaux de Dumas
sont tous là: la transformation du héros, la toute
puissance, la vengeance. Teresa sort effectivement de
prison une autre femme; le succès de ses activités lui
confère une fortune et une influence exceptionnelles;
elle met tout cela, au bout du compte, au service de sa
vengeance contre l’auteur de ses malheurs initiaux.
Mais les différences avec Monte-Cristo sont
tout aussi frappantes. C’est même à un retournement du
thème que l’on assiste. La transformation d’Edmond
Dantès est entièrement positive: à l’issue de son
emprisonnement, il est éduqué, sage, omnipotent, prêt à
se consacrer à une œuvre de justice – impitoyable,
certes – où il punira les méchants et récompensera les
bons.
La transformation de Teresa, elle, lui permet de se
révéler comme une criminelle de haut vol. La dimension
«conte de fées» de la métamorphose d’Edmond Dantès est
donc remplacée ici par une vision très réaliste des
changements que la prison peut apporter au prisonnier…
La fortune de Teresa, elle la «mérite» en devenant la
meilleure dans le monde très concurrentiel des
trafiquants de drogue. Et la vengeance n’est pas le
moteur de ses actes pendant toutes ces années: elle ne
prend le dessus que quand l’occasion se présente.
Si la personnalité de Teresa est donc très différente
de celle du comte de Monte-Cristo, elle n’en partage pas
moins avec lui une très forte ambiguïté. Monte-Cristo
est ambigu de par l’excès de son désir de vengeance.
Teresa l’est parce que malgré ses actes, sa cruauté et
ses méthodes, elle n’est pas complètement antipathique:
ce n’est finalement qu’une femme complètement seule,
jetée toute enfant dans un monde d’une cruauté sans
limites, dont les deux seules personnes qu’elle ait
aimées ont été assassinées et qui n’a jamais eu d’autres
choix que celui de la survie.
La Reina del Sur, qui est aussi un reportage
glaçant sur le monde des trafiquants de drogue,
constitue ainsi, plutôt qu’un simple «remake», une très
intéressante variation sur les grands thèmes de
Monte-Cristo.
Extrait du chapitre 7: Me marcaron con
el Siete
(version française ci-dessous)
...Y al mismo tiempo, Dantés se sintio lanzado al
vacio, cruzando el aire como un pajaro herido, cayendo
siem-pre con un terror que le helaba el corazon... Teresa
Mendoza leyo de nuevo aquellas lineas y quedo suspensa
un instante, el libro abierto sobre las rodillas,
mirando el patio de la prision. Todavia era invierno, y
el rectangulo de luz que se movia en direccion opuesta
al sol calentaba sus huesos a medio soldar bajo el yeso
del brazo derecho y el grueso jersey de lana que le
habia prestado Patricia O'Farrell. Se estaba bien alli
en las ultimas horas de la manana, antes de que sonaran
los timbres anunciando la comida. A su alrededor, medio
centenar de mujeres charlaban en corros, sentadas como
ella al sol, fumaban tumbadas de espaldas aprovechando
para broncearse un poco, o paseaban en pequenos grupos
de un lado a otro del patio, con la forma de caminar
caracteristica de las reclusas obligadas a moverse en
los limites del recinto: doscientos treinta pasos para
un lado y vuelta a empezar, uno, dos, tres, cuatro y
todos los demas, media vuelta al llegar al muro coronado
por una garita y alambradas que las separaba del modulo
destinado a los hombres, doscientos veintiocho,
doscientos veintinueve, doscientos treinta pasos justos
hacia la cancha de baloncesto, otros doscientos treinta
de regreso al muro, y asi ocho o diez veces, o veinte
veces cada dia.
(...)
- Pati.
- Qué.
- El libro esta padrisimo.
- Ya te lo dije.
Seguia con los ojos cerrados, el cigarrillo humeandole
en la boca, y el sol acentuaba pequenas manchitas que,
como pecas, tenia en el puente de la nariz. Habia sido
atractiva, y en cierto modo aun lo era. O tal vez mas
agradable que atractiva de verdad, con el pelo guero y
el metro setenta y ocho, los ojos vivos que parecian
reir todo el rato por dentro, cuando miraban. Una madre
Miss Espana Cincuenta y Tantos, casada con el O’Farrel
de la manzanilla y los caballos jerezanos que salia a
veces en las fotos de las revistas: un viejo arrugado y
elegante con barricas de vino y cabezas de toros detras,
en una casa con tapices, cuadros y muebles llenos de
ceramicas y de libros. Habia mas hijos, pero Patricia
era la oveja negra. Un asunto de drogas en la Costa del
Sol, con mafias rusas y con muertos. A un novio de tres
o cuatro apellidos le dieron piso a puros plomazos, y
ella salio por los pelos, con dos tiros que la tuvieron
mes y medio en la UCI. Teresa habia visto las cicatrices
en las duchas y cuando Patricia se desnudaba en el
chabolo: dos estrellitas de piel arrugada en la espalda,
junto al omoplato izquierdo, a un palmo de distancia una
de otra. La marca de salida de una de ellas era otra
cicatriz algo mas grande, por delante y bajo la
clavicula. La segunda bala se la habian sacado en el
quirofano, aplastada contra el hueso. Municion blindada,
fue el comentario de Patricia la primera vez que Teresa
se la quedo mirando. Si llega a ser plomo dum-dum no lo
cuento. Y luego zanjo el asunto con una mueca silenciosa
y divertida. En los dias humedos se resentia de aquella
segunda herida, igual que a Teresa le dolia la fractura
fresca del brazo enyesado.
- Qué tal Edmundo Dantés?
Edmundo Dantés soy yo, respondio Teresa casi en serio,
y vio como las arrugas en torno a los ojos de Patricia
se acentuaban y el cigarrillo le temblaba con una
sonrisa. Y yo, dijo. Y todas ésas, anadio senalando el
patio sin abrir los ojos. Inocentes y virgenes y sonando
con un tesoro que nos aguarda al salir de aqui.
- Se murio el abate Faria - comento Teresa, mirando
las paginas abiertas del libro - . Pobre viejito.
- Ya ves. A veces unos tienen que palmar para que
otros vivan.
(...)
Volvio al libro. A Edmundo Dantés acababan de tirarlo
por un acantilado dentro de un saco y con una bala de
canon a los pies como lastre, creyendo habérselas con el
cuerpo difunto del abate viejito. El cementerio del
castillo de If era el mar... leyo, avida. Espero
que salga de ésta, se dijo pasando con rapidez a la
siguiente pagina y al siguiente capitulo: Dantés,
sobrecogido, casi sofocado, tuvo con todo suficiente
serenidad para contener la respiracion... Hijole.
Ojala consiga salir a flote, y volver a Marsella para
recuperar su barco y vengarse de los tres hijos de la
chingada, carnales suyos decian ser los malnacidos, que
nomas se lo vendieron de una manera tan cabrona. Teresa
nunca habia imaginado que un libro absorbiera la
atencion hasta el punto de estar deseando quedarse
tranquila y seguir justo donde lo acababa de dejar, con
una senalita puesta para no perder la pagina. Patricia
le proporciono aquél después de hablar mucho de ello,
admirada Teresa de verla tanto tiempo quieta mirando las
paginas de sus libros; de que se metiera todo eso en la
cabeza y prefiriese aquello a las telenovelas - a ella
le encantaban las series mejicanas, que traian acento de
su tierra - y las peliculas y los concursos que las
otras reclusas se agolpaban a ver en la sala de la
television. Los libros son puertas que te llevan a la
calle, decia Patricia. Con ellos aprendes, te educas,
viajas, suenas, imaginas, vives otras vidas y
multiplicas la tuya por mil. A ver quién te da mas por
menos, Mejicanita. Y también sirven para tener a raya
muchas cosas malas: fantasmas, soledades y mierdas asi.
A veces me pregunto como conseguis montaroslo las que no
leéis. Pero nunca dijo deberias leer alguno, o mira éste
o aquel otro; espero a que Teresa se decidiera ella
sola, después de sorprenderla varias veces curioseando
entre los veinte o treinta libros que renovaba de vez en
cuando, ejemplares de la biblioteca de la prision y
otros que le mandaba algun familiar o amigo de afuera o
encargaba a companeras con permisos de tercer grado. Por
fin, un dia, Teresa dijo me gustaria leer uno porque
nunca lo hice. Tenia en las manos aquel titulado Suave
es la noche o algo parecido, que llamaba su
atencion porque sonaba asi como requeterromantico, y
ademas traia una linda estampa en la portada de una
chava elegante y delgada con sombrero, muy en plan
fresita estilo anos veinte. Pero Patricia movio la
cabeza y se lo tomo de las manos y dijo espera, cada
cosa a su tiempo, antes debes leer otro que te gustara
mas. De modo que al dia siguiente fueron a la biblioteca
de la prision y le pidieron a Marcela Conejo, la
encargada - Conejo era su apodo: le puso a su suegra
lejia de esa marca en la botella de vino -, el libro que
ahora Teresa tenia en las manos. Habla de un preso como
nosotras, explico Patricia cuando la vio preocupada por
tener que leerse algo tan gordo. Y fijate: coleccion
Sepan Cuantos, Editorial Porrua, México. Vino de alla,
como tu. Estais predestinados el uno al otro.
Traduction en français par François Maspero -
Le Seuil 2003
Chapitre 7: Ils m'ont marqué du Sept..
En même temps, Dantès se senti lancé, en effet, dans
un vide énorme, traversant les airs comme un oiseau
blessé, tombant, tombant toujours avec une épouvante
qui lui glaçait le cœur... Teresa Mendoza lut
ces lignes et resta pensive un instant, le livre ouvert
sur ses genoux, en regar-dant la cour de la prison.
C'était encore l'hiver, et le rectangle de lumière qui
se déplaçait dans le sens inverse du soleil réchauffait
ses os à demi ressoudés sous le plâtre du bras gauche et
l'épais chandail de laine que lui avait prêté Patricia
O'Farrell. Elle était bien, ici, dans les der-nières
heures de la matinée, avant que ne retentisse la
sonnerie annonçant le repas. Autour d'elle, une
demi-centaine de femmes bavardaient, assises comme elle
au soleil, fumaient allongées sur le dos en en profitant
pour bronzer un peu, ou se promenaient par petits
groupes d'un bout à l'autre de la cour, avec cette façon
caractéristique qu'ont les recluses forcées de se
déplacer dans les limites de l'enceinte: deux cent
trente pas dans une direction, puis demi-tour après être
arrivées au mur surmonté d'une guérite et de fils de fer
qui les séparait du quartier des hommes, deux cent
vingt-huit, deux cent vingt-neuf, deux cent trente
exactement vers le panier de basket-ball, de nouveau
deux cent trente pour revenir au mur, et ainsi de suite
huit ou dix fois par jour.
(...)
- Pati.
- Quoi ?
- Le livre est super.
- Je te l'avais bien dit.
Elle continuait à garder les yeux fermés, la cigarette
fumante à la bouche, et le soleil accentuait les petites
taches, semblables à des grains de son, qu'elle avait
sur le nez. Elle avait été attirante et, d'une certaine
manière, elle l'était encore. Ou peut-être plus agréable
que vraiment attirante, avec ses cheveux blonds, son
mètre soixante-dix-huit, ses yeux vifs qui semblaient
rire tout le temps intérieurement quand ils vous
regardaient. Une mère qui avait été Miss Espagne en 1950
et des poussières, mariée avec le O'Farrell des vins et
des chevaux de Jerez dont on voyait parfois des photos
dans les magazines: un vieux tout ridé et élégant sur
fond de barriques et de têtes de taureaux, dans une
maison pleine de tapis, de tableaux et de meubles
couverts de céramiques et de livres. I1 y avait d'autres
enfants, mais Patricia était la brebis noire. Une
affaire de drogue sur la Costa del Sol, avec mafia russe
et trucidés. Son ami qui portait trois ou quatre noms
avait été descendu d'une rafale, et elle s'en était
tirée de justesse avec deux balles qui l'avaient
expédiée pour un mois et demi en réanimation. Teresa
avait vu les cicatrices dans les douches et quand
Patricia se déshabillait dans leur cellule: deux étoiles
marquant la peau dans le dos, près de l'omoplate gauche.
La trace de la sortie d'une des deux balles était plus
grosse, devant, sous la clavicule. La seconde s'était
écrasée contre l'os et avait été extraite sur le
billard. Des balles blindées, tel avait été le
commentaire de Patricia la première fois que Teresa
l'avait contemplée. Si ç'avaient été des dum-dum, je ne
te dis pas le désastre. Après quoi elle avait clos
l'affaire d'une grimace muette et amusée. Les jours de
pluie, cette seconde blessure la faisait souffrir, tout
comme Teresa souffrait de la fracture récente de son
bras plâtré.
- Qu'est-ce que tu penses d'Edmond Dantès ?
Edmond Dantès c'est moi, répondit Teresa presque
sérieusement, et elle vit les rides autour des yeux de
Patricia s'accentuer, sa cigarette trembler sous son
sourire. Et moi, dit-elle à son tour. Et toutes
celles-là, ajouta-t-elle en désignant la cour sans
ouvrir les yeux. Nous sommes toutes des vierges
innocentes et nous rêvons à un trésor qui nous attend
quand nous sortirons d'ici.
- L'abbé Faria est mort, annonça Teresa en regardant
les pages ouvertes du livre. Pauvre vieux.
- Tu vois. Parfois, il faut qu'il y en ait qui crèvent
pour que d'autres vivent.
(...)
Elle revint au livre. Edmond Dantès venait d'être jeté
du
haut des rochers, dans un sac, les pieds lestés d'un
boulet de canon,
par ceux qui croyaient avoir affaire au cadavre du vieil
abbé. La
mer
est le cimetière du château d'If, 1ut-elle
avidement. J'espère
qu'il va s'en sortir, se dit-elle en passant vite à la
page suivante et
au chapitre suivant. Dantès, étourdi, presque
suffoqué,
eut cependant la présence d'esprit de retenir son
haleine... Bon
Dieu!
Pourvu qu’il puisse remonter à la surface et revenir à
Marseille
récupérer son bateau et se venger des trois salopards de
merde,
ces enfants de putain qui se disaient ses amis et qui
l'ont vendu d'une manière
aussi dégueulasse. Teresa n'avait jamais imaginé qu'un
livre puisse
captiver l’attention du lecteur au point qu'il ne
souhaite plus qu’une
chose: retrouver un moment de tranquillité pour le
reprendre là où il
l'a laissé, avec une petite marque pour ne pas perdre la
page. Patricia
lui avait donné celui-là après lui en avoir beaucoup
parlé,
tandis que Teresa s'émerveillait de la voir rester si
longtemps absorbée
par les pages de ses livres; de se mettre tout cela dans
la tête et de
le préférer aux séries de la télévision -
elle, elle aimait passionnément les séries mexicaines,
qui lui
apportaient l'accent de son pays -, aux films et aux
concours que les autres
détenues se battaient pour voir dans la salle de la
télé.
Les livres sont des portes qui t'emmènent à 1’air libre,
disait Patricia. Avec eux tu apprends, tu fais ton
éducation, tu rêves,
tu imagines, tu vis d'autres vies et tu multiplies la
tienne par mille. Trouve-moi
quelque chose qui t’en donne davantage pour si peu,
Mexicaine. Et ils servent
aussi à écarter beaucoup de choses pénibles: rêves,
solitude, un tas de merdes comme ça. Parfois je me
demande comment vous
faites pour tenir le coup, vous qui ne lisez pas. Mais
elle n'avait jamais dit:
tu devrais en lire un, ou regarde donc celui-ci ou
celui-là; elle avait
attendu que Teresa se décide toute seule, après l'avoir
surprise à plusieurs
reprises en train de jeter un regard curieux sur les
vingt ou trente livres qu'elle
renouvelait régulièrement, exemplaires de la
bibliothèque
de la prison ou envoyés de l'extérieur par un membre de
sa famille,
un ami, ou encore rapportés, contre finances, par des
camarades bénéficiant
d'une autorisation de sortie. Enfin, un jour, Teresa
avait dit: j'aimerais en
lire un, parce que je n'ai jamais fait ça. Elle avait
dans les mains celui
qui s intitulait Tendre est la nuit, ou
quelque chose de semblable,
titre qui
lui semblait follement romantique, et puis
l'illustration de la couverture était
jolie, une fille élégante et mince avec un chapeau, très
distinguée, style années vingt. Mais Patricia avait
hoché la
tête, le lui avait repris et dit: attends, chaque chose
en son temps, avant
tu dois en lire un autre qui te plaira davantage. De
sorte que, le lendemain,
elles étaient allées ensemble à la bibliothèque de
la prison et avaient demandé à Marcela Conejo, la
responsable -
Conejo était son surnom: c'était de l'eau de Javel de
cette marque
qu'elle avait mise dans la bouteille de vin destinée à
sa belle-mère
-, le livre que lisait maintenant Teresa. Il parle d'un
prisonnier comme nous,
avait expliqué Patricia en la voyant inquiète d'avoir à
lire
quelque chose d'aussi épais. Et puis regarde: Collection
Sepan Cuantos, Éditions
Porrua, Mexico. Il vient de là-bas, comme toi. Vous êtes
faits l'un
pour l'autre.
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