The Rose Knight’s crucifixion 1 – The three mystic heirs 2 – The three monks of tears
Le Vicomte et les Mousquetaires
Lawrence Ellsworth
512 pages Autoédition - 2018 - États-Unis Roman
Intérêt: ***
Version française: Le Vicomte et les Mousquetaires
Tome 1: L'ombre des Rose-Croix
Traduction de Laurent Barucq
332 pages
Le Cherche-Midi - 2024
Parmi les livres recensés par pastichesdumas, il y a
des suites, des plagiats, des hommages, des pastiches,
des remakes… Autant de catégories pas forcément précises
et souvent perméables entre elles, mais qui couvrent à
peu près le champ des publications. Il est rare
qu’apparaisse un ouvrage définissant à lui seul une
nouvelle catégorie : c’est le cas avec The
Rose Knight’s crucifixion qualifié à juste titre
par son auteur de « roman parallèle ». Voir l'interview
que nous a accordée Lawrence Ellsworth.
Le concept est
très surprenant. Le roman raconte une histoire
complètement différente de celles des Trois
mousquetaires, avec un héros qui n’apparaît
jamais chez Dumas et une quête sans rapport avec
l’intrigue de ce dernier. Mais les deux histoires sont
complètement imbriquées dans le temps et dans les lieux.
De nombreux personnages des Trois mousquetaires
apparaissent dans The Rose Knight’s crucifixion
avec des fonctions allant de la simple figuration
jusqu’à des rôles de premier plan. Des scènes de Dumas
sont « rejouées » avec une autre perspective
et, dans certains cas, prennent une signification
complètement différente. L’imbrication des deux livres
est en fait le concept même sur lequel repose l’ouvrage
d’Ellsworth : l’auteur l’a structuré en 67
chapitres, tout comme Les trois mousquetaires,
conçus pour être lus en alternance avec ceux de Dumas.
Autrement dit, il conseille de lire d’abord le chapitre
1 des Trois mousquetaires, puis le chapitre 1
de The Rose Knight’s crucifixion, puis les
chapitres 2 des deux livres, et ainsi de suite (ce qui
n’interdit pas de lire le roman d’Ellsworth d’une
traite, de façon classique). La correspondance est
soulignée par des titres de chapitres qui se répondent.
Par exemple, là où le chapitre 4 des Trois
mousquetaires s’appelle L’épaule d’Athos, le
baudrier de Porthos et le mouchoir d’Aramis, son
équivalent dans The Rose Knight’s crucifixion
s’intitule The shoulder of Astarac, the spleen of
Vidou and the teeth of the Cocodril. Plan de
campagne devient Plash of champagne ;
Un dîner de procureur devient Prosecution
at dinner. La concordance repose parfois sur des
jeux de mots, comme quand De l’utilité des tuyaux
de poêle devient Of the futility of
pipe-dreams.
L’histoire tourne autour d’un livre mystérieux connu
sous le titre The three mystic heirs (notons
au passage qu’aucune explication n’est donnée quant à la
signification de ce titre, conçu simplement pour sonner
de façon presque identique à The three musketeers).
Ce livre renferme la somme des connaissances des
Rose-Croix, y compris un ensemble de formules rendant
opérationnelles l’« alchimie spirituelle » de
cette société secrète. Un recueil de formules magiques,
donc, censées donner la toute puissance à qui le
détiendra.
Interdit par l’Inquisition qui y voit un ouvrage de
magie noire conçu par une secte hérétique, The
three mystic heirs a été presque complètement
détruit : un seul exemplaire a survécu. Cet unique
volume suscite de multiples convoitises. Richelieu et
Buckingham le veulent pour des raisons identiques :
conforter leur puissance et celle de leur pays dans
l’affrontement qui les oppose et surtout empêcher
l’autre de mettre la main dessus. Les Jésuites le
cherchent pour le détruire en tant que livre diabolique.
D’autres personnes le convoitent pour les pouvoirs
qu’elles espèrent y trouver, et en particulier le héros
du roman : Louis d’Astarac, vicomte de Fontrailles.
Ce dernier est un
jeune seigneur qui vit dans son petit domaine de la
région d’Armagnac. Intelligent, très éduqué pour
l’époque (il a étudié à la Sorbonne), il est aussi
fortement bossu, ce qui le handicape physiquement et lui
donne une apparence plutôt repoussante. Avec comme
conséquence que la jeune fille du château voisin,
Isabeau de Bonnefont, une amie d’enfance dont il est
amoureux fou, refuse de l’épouser. Comme Fontrailles,
esprit curieux, a été amené durant ses études à
s’intéresser aux Rose-Croix, il espère trouver dans The
three mystic heirs le moyen de corriger les
imperfections de son corps.
The Rose Knight’s crucifixion, dont les deux
parties, The three mystic heirs et The
three monks of tears, forment un roman unique,
est donc le récit d’une sorte de course poursuite
échevelée qui voit tous les prétendants à la possession
du livre tenter de le localiser, s’en emparer, se
l’arracher les uns aux autres, se battre, se tuer,
s’allier, se trahir, etc. Les rebondissements et coups
de théâtre incessants empêchent de donner un résumé
détaillé de l’intrigue. Pour s’en tenir à l’essentiel,
on voit d’abord Fontrailles se rendre à Paris (en même
temps que d’Artagnan au début des Trois
mousquetaires) et entrer bon gré mal gré au
service de Richelieu qui le charge de trouver le livre.
Fontrailles y retrouve Aramis dont il est très ami
depuis qu’ils ont étudié ensemble. Le mousquetaire
convainc Fontrailles de s’allier à une amie à lui,
Camille de Bois-Tracy, alias Lucy Hay, comtesse de
Carlisle, une agent de Buckingham envoyée à la recherche
du livre. Les deux alliés et rivaux (puisqu’ils
travaillent respectivement pour Richelieu et Buckingham)
se heurtent aux Jésuites, retrouvent la trace du livre
qui se trouve désormais à Londres, s’y rendent.
Fontrailles y est réquisitionné par Milady, envoyée
elle aussi dans la capitale anglaise pour s’emparer des
ferrets d’Anne d’Autriche. Au terme de quelques
rebondissements, c’est Milady qui se retrouve en
possession du livre et le rapporte en France avec les
deux ferrets volés à Buckingham. Rentré à Paris,
Fontrailles tente de reprendre le volume à Milady.
Pourchassé, il intègre la Cour des Miracles, où il
devient rapidement l’adjoint du roi de la pègre avant de
s’enfuir. Il vole The three mystic heirs chez
Milady mais le père Joseph, l’âme damnée de Richelieu,
l’oblige à donner le livre en échange de la liberté
d’Isabeau de Bonnefont, de son père et de son fiancé
Eric de Gimous, dont il s’est emparé. Mais au terme d’un
affrontement compliqué sur le lieu de l’échange, qui
voit débarquer successivement, dans un morceau de
bravoure, Fontrailles, les hommes de Richelieu, les
agents de Buckingham, les Jésuites, Milady et les
mendiants de la Cour des Miracles, c’est encore une fois
Milady (qui n’hésite pas à travailler pour son propre
compte) qui part avec le livre maudit.
Isabeau et son père, qui sont protestants, vont se
réfugier à La Rochelle pour tenter de se placer hors
d’atteinte de Richelieu. Décidé à la mettre à l’abri,
Fontrailles se rend lui aussi dans la ville assiégée et
participe au combat du bastion Saint-Gervais côté
rochelais.
Le triomphe de Richelieu semble assuré : Milady
lui a finalement remis le livre et il s’est emparé de
Fontrailles et de ses amis. Il apparaît alors que le
père Joseph et les Jésuites se sont alliés pour tester
la puissance des formules magiques comprises dans The
three mystic heirs. Leur cobaye ne sera autre que
le bossu lui-même : ils vont tenter de lui rendre
le corps parfait dont il rêvait – l’objectif même de
Fontrailles. Malheureusement, les opérations décrites
dans l’ouvrage des Rose-Croix, dislocation et étirement
des articulations accompagnés de multiples formules et
incantations cabalistiques, relèvent plus d’abominables
tortures que de soins magiques. Fontrailles en réchappe
grâce à l’intervention de ses amis qui le font s’enfuir.
Fontrailles, Isabeau et
leurs amis se rendent à Béthune pour tenter de délivrer
Eric de Gimous qui y est retenu prisonnier par Richelieu
dans l’attente d’un échange de prisonniers avec
l’Angleterre (Eric est protestant comme sa fiancée) mais
le jeune homme est assassiné. Ils s’emparent de Milady
et la font passer en jugement mais doivent la relâcher.
A la fin du roman, Fontrailles n’a récupéré ni le livre
(qui n’intéresse plus personne, ses formules magiques
ayant fait la preuve de leur absence totale d’efficacité
au détriment du malheureux Fontrailles) ni un corps de
rêve, mais a gagné l’amour de la belle Isabeau…
Très simplifiées, ces grandes lignes montrent que l’on
se trouve en présence d’un roman feuilleton dans la
grande tradition, mené à un train d’enfer et qui se
tient parfaitement à lui tout seul. Mais sa véritable
originalité et tout son intérêt, du point de vue de
pastichesdumas, résident bien sûr dans son imbrication
avec Les trois mousquetaires.
Les liens entre les deux livres sont incessants et de
nature variée. Il y a d’abord les multiples personnages
communs. La plupart de ceux des Mousquetaires
figurent dans The Rose Knight’s crucifixion :
d’Artagnan, ses amis et leurs valets, Richelieu et son
entourage, Milady, mais aussi de nombreux personnages
secondaires comme les aubergistes et autres figurants.
Leur degré d’implication varie énormément. Des
personnages centraux chez Dumas comme d’Artagnan, Athos
et Porthos sont bien présents mais participent assez peu
à l’intrigue d’Ellsworth. Aramis, en revanche, est au
centre de l’action. Son amitié pour Fontrailles et son
goût pour l’intrigue l’amènent à s’engager fortement
dans ce nœud de vipères qui entoure le livre maudit, en
particulier pour tenter de protéger le bossu contre ses
puissants ennemis. Milady est au premier plan également
puisque c’est elle qui détient le plus souvent l’ouvrage
et réussit à le « vendre » à Richelieu. Ce
dernier, ainsi que Buckingham, sont très présents dans
l’intrigue en tant que commanditaires des recherches
pour le livre des Rose-Croix.
A l’inverse, des personnages très secondaires de Dumas
voient leur rôle énormément développé dans ce nouveau
roman. L’un des employés de l’auberge de Meung qui
attaque d’Artagnan au début des Trois mousquetaires
devient Cocodril, un homme de main aussi ambitieux que
dénué de scrupules, parfaitement cynique et toujours
prêt à trahir. Camille de Bois-Tracy, mentionnée à deux
ou trois reprises chez Dumas comme l’une des maîtresses
d’Aramis, joue ici un rôle très important. Bernajoux,
garde du cardinal chez Dumas, prend de la consistance en
tant que soudard zélé et borné.
Lawrence Ellsworth ne se borne pas à utiliser les
créations de Dumas : il ajoute dans sa fresque bon
nombre de personnages qui lui sont propres. Fontrailles,
bien sûr, qui campe un héros attachant, avec sa
curiosité intellectuelle, son amour désespéré et sa
difformité. Un anti d’Artagnan, dans une certaine
mesure : il est laid, cultivé et incapable de se
battre là où l’autre est beau, sans éducation et
virtuose de l’épée. Avec aussi des points communs, un
courage à toute épreuve et une capacité à susciter des
amitiés fortes. Les Jésuites forment un groupe
intéressant, en particulier l’un d’entre eux qui a
rapporté d’un séjour missionnaire aux Amériques quelques
mœurs Peau-Rouge… Ellsworth s’offre également le luxe
d’utiliser un personnage fictionnel, Sir Percy Blakeney,
l’ancêtre du célèbre « Mouron rouge » de la
baronne Orczy, qui fait partie des agents de Buckingham
et complote à Paris sous déguisement comme plus tard son
illustre descendant pendant la Révolution française.
C’est dans l’imbrication de l’action avec celle des Mousquetaires
que réside la principale originalité de The Rose
Knight’s crucifixion. Celle-ci est constante. A
l’exception d’une sorte de prologue, l’histoire de ce
roman commence au moment de l’arrivée de d’Artagnan à
Paris et s’achève avec l’exécution de Milady. Les lieux
de l’action sont souvent les mêmes, sans que ce soit
systématique : The Rose Knight’s crucifixion
suit sa propre dynamique et s’écarte souvent de son
modèle.
Les intrigues se recoupent parfois de manière légère.
Par exemple, au début des Trois mousquetaires,
à la fin du fameux duel qui voit d’Artagnan se joindre à
Athos, Porthos et Aramis contre les gardes du cardinal,
les quatre hommes, victorieux, vont déposer leurs
adversaires blessés à la porte d’un couvent et partent
fêter leur victoire bras dessus bras dessous dans la
rue. Dans le chapitre correspondant de The Rose
Knight’s crucifixion, Fontrailles croise les
quatre amis, est appelé par les religieuses du couvent
qui lui demandent de les aider à soigner les gardes du
cardinal et c’est ce qui donne au bossu son introduction
après de ce dernier. De simples anecdotes sans
signification particulière chez Dumas prennent toute
leur dimension dans ce « roman parallèle ».
Quand Richelieu, qui se rend à l’auberge du
Colombier-Rouge près de La Rochelle pour son rendez-vous
avec Milady, croise les mousquetaires, ceux-ci lui
racontent avoir eu une échauffourée dans cette auberge
avec quelques inconnus, et le cardinal leur demande de
l’y accompagner. Les lecteurs de The Rose Knight’s
crucifixion apprennent que Fontrailles et ses
amis avaient prévu d’y enlever Milady : c’est
l’arrivée des trois mousquetaires et la bagarre qui en a
résulté qui a fait échouer leur plan.
Dans le chapitre 29 des Mousquetaires,
d’Artagnan suit Porthos dans une église et l’y observe
en train de susciter la jalousie de sa procureuse en
faisant de l’œil à Milady qui prie ostensiblement au
premier rang. Chez Dumas, cette présence de Milady dans
l’église est purement accidentelle, sans raison d’être
particulière. Mais l’on apprend chez Ellsworth que
Milady est venue dans l’église à l’invitation de
Fontrailles qui tente de récupérer le livre dont elle
s’est emparée. Et le bossu est lui aussi présent à la
messe et observe les manigances de Porthos tout comme
d’Artagnan.
Autres exemples de « croisement » des
intrigues : on apprend que Fontrailles et Camille
de Bois-Tracy retournent de Londres en France cachés
dans le bateau de d’Artagnan quand ce dernier vient
rapporter ses ferrets à Anne d’Autriche. Ou encore que
lorsque les quatre amis se battent en duel contre quatre
Anglais (dont lord de Winter) et que l’adversaire
d’Aramis s’enfuit, alors que les trois autres sont tués
ou blessés, ce n’est pas par hasard : l’adversaire
en question n’était autre que Percy Blakeney, ami
d’Aramis, et les deux hommes s’étaient entendus à
l’avance sur une petite mise en scène pour éviter que
l’un ou l’autre ne soit blessé.
Dans bien des cas, l’imbrication des deux romans est
encore plus forte, quand une action est commune aux deux
ou qu’une scène des Trois mousquetaires prend
une nouvelle signification avec The Rose Knight’s
crucifixion. Les exemples sont multiples. On
apprend que la venue secrète de Buckingham à Paris
n’était pas justifiée uniquement par le désir de voir
Anne d’Autriche mais aussi par la volonté de lancer
ses agents sur la piste de The three mystic heirs.
Le vol des ferrets de la reine possédés par Buckingham
prend également une autre tournure : après avoir
dissimulé Fontrailles sous la banquette, Milady attire
le duc dans sa voiture, le séduit, ce qui amène ce
dernier à jeter sur le plancher ses vêtements, sur
lesquels le bossu peut ainsi récupérer les ferrets. Lors
d’une scène un peu similaire, Fontrailles s’introduit
dans l’hôtel de Milady à Paris pour y voler le livre
maudit, se dissimule sous son lit… et y reste tout le
temps que durent les ébats de celle-ci avec d’Artagnan,
arrivé entre temps. Ce qui lui permet au passage de
découvrir la présence de la fleur de lys sur l’épaule de
Milady en même temps que le cadet des gardes.
La célèbre scène où d’Artagnan, après avoir rapporté
les ferrets à Paris, part à la recherche de ses trois
amis laissés sur la route et trouve Aramis en train de
discuter avec deux Jésuites de la thèse qu’il prépare
pour entrer dans les ordres change totalement de
sens : en lisant le chapitre précédent dans The
Rose Knight’s crucifixion, on découvre Aramis en
train de comploter avec les deux Jésuites qui sont eux
aussi à la recherche du livre des Rose-Croix. Voyant
d’Artagnan arriver, Aramis leur enjoint de faire
semblant de discuter d’une thèse imaginaire pour tromper
celui-ci… (voir extrait ci-dessous)
A la lecture des deux « romans parallèles »,
on découvre également que la rencontre de Richelieu avec
Milady dans l’auberge du Colombier-Rouge près de La
Rochelle n’avait pas comme seul objet la délivrance
d’instructions du cardinal à son espionne : le
premier objectif était de négocier la vente de The
Rose Knight’s crucifixion par Milady.
Tout à la fin de son livre, Ellsworth change
curieusement de procédé. Au lieu de continuer à
intercaler dans le roman de Dumas des épisodes
complètement distincts, il entreprend de transposer dans
l’histoire de Fontrailles des éléments caractéristiques
de celle des Trois mousquetaires. Aux cinq
jours d’emprisonnement de Milady en Angleterre, durant
lesquels elle séduit peu à peu son geôlier Felton,
correspondent les cinq jours d’expérimentations
horrifiques menées sur Fontrailles pour tester la
validité des formules de The Rose Knight’s
crucifixion. Si le bossu en réchappe, c’est
notamment parce qu’il « travaille » l’un des
Jésuites en l’amenant à douter progressivement du
bien-fondé de sa mission, exactement comme Milady avec
Felton.
Même schéma tout à la fin : Fontrailles et ses
amis arrêtent Milady près de Béthune et décident de la
juger, exactement comme dans Les trois
mousquetaires. La différence : ils
l’exécuteraient volontiers, mais ils ne peuvent se
permettre de tuer un agent de Richelieu, ne disposant
pas, contrairement aux mousquetaires, d’un blanc-seing
signé du cardinal. Ils lui extorquent en revanche une
confession signée à propos de ses crimes – qui permettra
au final à Fontrailles d’échapper à la vindicte du père
Joseph et de Richelieu, exactement comme d’Artagnan se
sert du blanc-seing face au cardinal.
The Rose Knight’s crucifixion, on le voit, est
un livre hors du commun dans l’ensemble des innombrables
variations sur le thème des mousquetaires. L’auteur
tisse sa toile avec virtuosité, entremêlant les deux
histoires avec un naturel parfait – et plein d’humour,
ce qui ne gâte rien. L’exercice reflète une connaissance
des moindres détails des Trois mousquetaires,
ce qui s’explique aisément : avant d’écrire The
Rose Knight’s crucifixion Lawrence Ellsworth a
réalisé une nouvelle traduction en anglais des Trois
mousquetaires (et une autre du Sphinx rouge).
Une démarche qui rappelle celle de Javier La Orden
Trimollet qui, après avoir réalisé une nouvelle
traduction en espagnol de la trilogie des mousquetaires,
a écrit sa propre suite : El invierno
del mosquetero.
Une traduction française du roman d'Ellsworth a été
publiée en avril 2024 sous le titre Le Vicomte et
les Mousquetaires. Tome 1: L'ombre des
Rose-Croix. La publication du tome 2 est prévue
sous le titre La conspiration Richelieu.
Merci à Mihai-Bogdan Ciuca de
m’avoir signalé ce livre.
(Traduction française ci-dessous)
Extrait du chapitre XXV Aramis
Though it was a sunny day, the room on the first floor
of the only inn in Crèvecoeur was gloomy, as the drapes
had been drawn almost to a close. Three men sat in the
austere chamber, from which every worldly comfort had
been removed, and talked in low tones.
“So it is agreed, then,” said Aramis the musketeer.
“The price of my admission into the Society of Jesus
will be The three mystic heirs — should I be
able to lay my hands upon it.”
“We have confidence in your resourcefulness and
finesse,” said Athanasius Kircher.
“As long as you understand,” Aramis said, “that I have
no intention of allowing my friend d’Astarac to come to
harm.”
“Heh,” said Jean Crozat, known as Père Mikmaq. “So you
say. But I know your sort, and you are not a man who
will allow another to come between you and something you
want.”
Aramis stood, hands clenching in unwonted agitation,
but before he could reply the sound of hoofbeats came
from the yard outside. The musketeer stepped to the
window and twitched one drape aside. “Nom de diable!”
he cried.
For he had recognized the rider as d’Artagnan.
Kircher said, “What is the meaning of this impious
outburst, Brother Aramis?”
“A friend of mine has just ridden up. I thought he was
dead!” Aramis said. “What joy! ...But he mustn’t find us
here discussing heretical books.”
Mikmaq said, “You told your man to make sure we weren’t
disturbed.”
“This gentleman is not so easily deterred,” said
Aramis, “but if you will take my advice on how to handle
this, he’ll suspect nothing. He knows I’ve always
intended to leave the musketeers and return to the
Church. Adopt the false names I gave to Bazin, and
pretend to be quizzing me about the thesis I must
present to qualify for ordination.”
Kircher nodded happily. “Yes, indeed. Most amusing. I
shall play the stern taskmaster.”
“But I don’t know anything about playacting!” said Père
Mikmaq. “Bah! This is absurd.”
“Just pretend to be a rural curate who knows nothing,”
Aramis said. “You can manage that, can’t you?”
Mikmaq seemed to be on the verge of a sharp reply when
Kircher interrupted: “Of course he can. What will you
use for your thesis?”
“These notes I was making for a poem,” Aramis said,
gathering some papers from his writing table.
“A poem?” said Mikmaq. But Kircher hushed him: they
could hear boots coming up the wooden stairs. There was
a brief commotion on the landing outside the room, and
then the door opened suddenly.
“Bonjour, dear d’Artagnan,” said Aramis.
Chapitre XXV Aramis
Traduction de Laurent Barucq
Même si la journée était ensoleillée, il faisait sombre
dans la chambre au premier étage de l'auberge de
Crèvecœur car les rideaux étaient presque entièrement
fermés. Trois hommes assis dans la pièce austère,
dénudée de toute forme de confort, discutaient à voix
basse.
«Nous sommes donc d'accord, dit Aramis. Le prix de mon
entrée dans la Compagnie de Jésus sera Les Trois
Mystiques Clercs - si j'arrive à mettre la main dessus.
- Nous avons confiance en vos ressources et votre
finesse, répondit Athanasius Kircher.
- Il faut que vous compreniez, reprit Aramis, que je
n'ai nullement l'intention de laisser mon ami d'Astarac
être mis en danger.
- Ah! s'exclama Jean-Marie Crozat, dit le père Mikmaq.
Si vous le dites. Mais je connais les gens de votre
espèce, et vous n'êtes pas homme à laisser quelqu'un
s’interposer entre vous et votre but.»
Aramis se leva, les mains inhabituellement agitées, mais
avant qu'il puisse répondre, on entendit un bruit de
sabots dans la cour dehors. Le mousquetaire s'avança
vers la fenêtre et ouvrit un rideau. «Nom de diable !»
cria-t-il.
Il venait de reconnaitre le cavalier : d'Artagnan.
Kircher dit :
«Quelle est la raison d'un tel emportement impie, frère
Aramis ?
- Un de mes amis vient d'arriver à cheval. Je le croyais
mort. Quelle joie !.... Mais il ne faut pas qu'il nous
trouve ici à discuter de livres hérétiques.»
Mikmaq rétorqua :
«Vous avez dit à votre homme de s'assurer que nous ne
soyons pas dérangés.
- Ce gentilhomme ne se laisse pas facilement décourager,
répondit Aramis, mais si vous suivez mes conseils, il ne
soupçonnera rien. Il sait que j'ai toujours souhaité
quitter les mousquetaires pour retourner à l'Église.
Adoptez les faux noms que j'ai donnés à Bazin, et faites
semblant de m'interroger sur la thèse que je dois
présenter pour prétendre à l'ordination.»
Kircher acquiesça gaiement.
«Soit. C'est très amusant. Je jouerai le rôle du
supérieur austère.
- Mais je ne sais pas jouer la comédie ! s'écria le père
Mikmaq. Bah ! C'est absurde.
- Faites semblant d'être un vicaire de campagne qui ne
sait rien à rien, dit Aramis: Vous devriez y arriver,
n'est-ce pas?»
Mikmaq semblait sur le point de lui renvoyer une
réplique cinglante lorsque Kircher l'interrompit :
«Bien sûr qu'il va y arriver. Qu'allez-vous utiliser
comme thèse ?
- Ces notes que je prenais pour écrire un poème,
répondit Aramis en ramassant des papiers sur la table.
- Un poème ?» dit Mikmaq, mais Kircher le fit taire : on
entendait des bottes gravir l'escalier de bois.
Il y eut une brève agitation sur le palier devant la
pièce, et la porte finit par s'ouvrir à la volée.
«Bonjour, cher d'Artagnan», dit Aramis.
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