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Le secret d’Aramis

MC Odiel

512 pages
Autoédition - 2021 - France
Roman

Intérêt: **

 


Cet épais roman met en scène les quatre mousquetaires avec quelques variations importantes par rapport à Dumas. En premier lieu, les héros de MC Odiel sont constitués d’une sorte de « mélange » entre ceux des Trois mousquetaires et les personnages historiques. Par exemple, ils utilisent simultanément leurs « vrais » noms (de Portau, d’Aramitz, de Sillègue d’Athos de Hautevielle) et ceux rendus célèbres par Dumas, ces derniers étant leurs « noms de guerre ». Ensuite, et surtout, le roman tourne autour du « secret d’Aramis »: le plus raffiné des mousquetaires n’est autre qu’une femme qui cache son véritable sexe à tout le monde.

Foisonnant, le livre fait vivre de multiples aventures aux quatre mousquetaires. Il commence par un duel homérique durant lequel Aramis tue sans savoir à qui il a à faire un envoyé secret de l’empereur d’Autriche Ferdinand de Habsbourg. Ce qui déclenche une tempête politico-diplomatique, Richelieu cherchant à savoir si le duel avait des motivations politiques, etc. La toile de fond est ainsi dressée: il s’agit des tractations secrètes entre la France, l’Autriche, l’Espagne pour nouer des alliances ou éviter des guerres. Dans ce contexte chargé, les mousquetaires sont mis à rude épreuve, ensemble ou séparément. Les péripéties sont diverses et variées. D’Artagnan et Aramis, par exemple, sont envoyés par Anne d’Autriche auprès de la jeune reine Christine de Suède pour la prévenir d’un projet d’enlèvement ou d’assassinat qui la menace, pendant que les deux autres mousquetaires connaissent d’autres aventures à Paris. Dans le courant de l’histoire, Richelieu oblige les quatre mousquetaires à passer secrètement à son service, en faisant ses agents secrets.

Parmi les multiples trames romanesques qui se déploient dans le roman, celle du « secret d’Aramis » est bien sûr la principale. Le lecteur apprend très vite de quoi il s’agit: Aramis est en fait une femme, et personne, croit-il (ou croit-elle), ne le sait. Ce n’est que vers la fin que l’on apprend les raisons de cette supercherie. A sa naissance, le fait qu’elle soit une fille a été vécu comme un drame par sa mère: son père voulait à toute force un héritier mâle et était prêt à répudier son épouse. La mère a donc « emprunté » un bébé mâle pour annoncer la naissance d’un fils et a ensuite élevé sa fille comme si c’était un garçon.

« Très tôt, finit par expliquer Aramis, je fus initié au secret et instruit du fait qu'il m'arriverait des choses épouvantables si l'on découvrait que je n'étais pas doté de ce fameux appendice masculin qui caractérisait les autres garçons. (…) Je pensais que j'étais différent et que je devais cacher cette bizarrerie de mon anatomie à tous sous peine d'être sacrifié pour être un monstre. Dans mon esprit, il y avait les hommes, les femmes, et moi, seul être de mon espèce. Depuis toujours, je raisonnais au masculin et aujourd'hui encore je n'arrive pas à faire autrement ». A l’adolescence, ce sentiment de différence pousse Aramis à intégrer un séminaire pour entrer dans les ordres mais son père (qui ignore tout de son véritable sexe) exige que son fils unique devienne militaire comme le veut la tradition familiale.

Devenu mousquetaire, Aramis, qui se vit donc totalement comme un homme, réussit à dissimuler à tous son secret. Impitoyable dans les duels où il est connu pour tuer systématiquement ses adversaires, il a la réputation d’un véritable « démon de la guerre ». Mais bien entendu, tout cela n’empêche pas les tensions intimes. Aramis vit dans la terreur de voir son secret découvert et souffre de sa radicale « différence ». C’est sa proximité avec Athos et une chute opportune dans une rivière glacée qui font découvrir le pot aux roses. La personnalité d’Athos joue un rôle important dans l’histoire. Moins compliquée que celle d’Aramis, sa vie personnelle a aussi sa part obscure. Le mousquetaire a notamment dans le passé eu des liaisons homosexuelles, ce qui ne l’empêche pas de nouer dans le courant du roman une relation profonde avec une nouvelle maîtresse. Mais du fait de cette ambivalence, Athos ressent depuis toujours une attirance trouble pour Aramis (dont il ignore le véritable sexe, même si le doute commence à s’installer). Attirance qu’il se refuse à exprimer car il ne veut pas que ses désirs gâchent la profonde amitié qui unit les quatre mousquetaires (voir extrait ci-dessous). Quand finalement la réalité s’impose, c’est avec Athos qu’Aramis assumera enfin sa féminité durant une liaison aussi torride que brève…

Dans le roman The Secret Lily, c’est d’Artagnan qui se révèle être en fait une femme. Un postulat absolument pas crédible qui nuit gravement au récit. Le même reproche peut être formulé à l’encontre du Secret d’Aramis, au moins partiellement. On ne voit vraiment pas comment un mousquetaire pourrait des années durant dissimuler son sexe féminin dans la vie d’un groupe de soldats, la promiscuité des camps, etc. Aramis fait d’ailleurs preuve à l’occasion d’une naïveté sans bornes: quand elle apprend que le docteur Théophraste Renaudot qui l’a soignée des semaines durant et son valet Bazin qui a fait de même ont constaté qu’elle était une femme, elle est toute étonnée (heureusement qu’ils se sont montrés parfaitement discrets!).

Ce manque de crédibilité du postulat de départ est cependant moins gênant dans Le secret d’Aramis que dans The Secret Lily, sans doute parce que le roman ne tourne pas exclusivement autour du thème du sexe du héros/héroïne. De nombreux autres aspects du récit retiennent en effet l’attention. L’auteure donne vie de manière intéressante à tout un entourage pour chacun des quatre mousquetaires en évoquant leur vie de famille, leur vie domestique… Porthos se retrouve à adopter une fillette abandonnée et noue une liaison profonde avec sa lingère quitte à se brouiller avec son père. D’Artagnan crée un lien durable avec sa petite voisine, une charmante jeune fille qui rêve de devenir comédienne (et qui pourrait bien devenir plus tard la compagne et actrice principale de Molière). Innovation amusante: les quatre mousquetaires vivant très près les uns des autres dans Paris, ils ont spécialisé leurs valets: Bazin s’occupe du linge des quatre hommes, Planchet des provisions et de l’intendance, Grimaud fait le ménage des quatre domiciles…

Le roman fait apparaître de multiples personnages dont certains fort intéressants comme la bohémienne qui devient la maîtresse d’Athos ou la très jeune reine Christine de Suède, dévorée de curiosité et d’envie d’apprendre. Milady, Mazarin font de brèves apparitions, tout comme Théophraste Renaudot dans son double rôle de médecin et de journaliste. La multiplication des trames narratives et des personnages fait que l’ensemble est un peu touffu, un peu long et que l’on s’y perd parfois. Mais il y a aussi de forts bons passages comme lorsque Richelieu force un par un chacun des quatre mousquetaires à travailler pour lui en utilisant les informations qu’il a rassemblées à leur sujet.

En définitive, même si le thème principal du sexe caché d’Aramis n’est pas complètement convaincant, le livre n’en a pas moins de solides qualités.


Extrait du chapitre XVIII La baguette de buis

À présent, chaque fois qu'il croisait le regard d'Aramis, il se surprenait à détourner les yeux. Depuis leur départ de Paris, il avait tout fait pour ne pas se retrouver seul à seul avec lui, ce qui dans la promiscuité du camp n'était pas difficile. Mais cette difficulté à s'isoler dans un camp militaire le poussait justement à douter de son intime conviction. Et Athos se raisonnait. Si Aramis était une femme, il lui serait tout simplement impossible de le cacher car ici toute intimité est impossible. Comment une femme pourrait-elle échapper aux contraintes de son sexe, dans la crasse et la cohue d’un camp remplis de soudards? Aucune femme ne mesure cinq pieds et dix pouces ni ne possède une telle force de fer et des épaules aussi solides. Et pourtant, depuis ses quinze ans, il n'a toujours pas de barbe. Il demeure svelte comme un adolescent et ses mains et ses traits ont cette finesse si rare chez un homme. Sa voix n'est ni celle d'une femme, ni vraiment celle d'un homme. « Que le diable emporte Aramis! Je ne sais plus ce que je dois penser de lui. » Athos ne voyait qu'une chose. Il avait toujours aimé ses amis comme des frères et sa raison lui interdisait tout dérapage avec eux. Ses désirs ne s'arrêtaient pas à la barrière du sexe puisqu'il se sentait encore parfois attiré par des hommes, mais il avait toujours cru pouvoir contrôler ce penchant. Cela ne posait pas de problème pour d'Artagnan et Porthos, ces frères sur lesquels il veillait sans qu'aucune de ces pensées interdites n'aient jamais interféré dans sa relation avec eux. Mais avec Aramis, il en était autrement. Lui seul avait eu connaissance de cette ambivalence si dangereuse à assumer dans un monde où chaque jour la religion dicte à chacun la bonne conduite. Aramis savait et l'avait toujours aidé à préserver sa vie et son honneur, y compris vis-à-vis des détracteurs en lui servant au besoin de témoin éclairé au cours de certains duels. Il avait fait siens ses secrets et le regardait toujours droit dans les yeux. Ils philosophaient souvent ensemble et aimaient se coucher tard après avoir rêvé d'un monde où tout serait possible... Une ou deux fois, Athos était parti de chez Aramis précipitamment, (enfui serait même plus approprié), tant il avait été troublé de se sentir aussi près de quelqu'un, trop près pour ne pas souhaiter un contact physique. Dans ces moments là, il se maudissait un instant, puis se tournait vers d’autres occupations.


 

 

 

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