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Don Juan de Tolède mousquetaire du Roi
C’est une œuvre très ambitieuse que livre Benoît Abtey avec cet épais roman présenté comme le premier tome d’une série intitulée Les secrets de d’Artagnan. L’auteur part d’une belle idée: au début de la Fronde, d’Artagnan protège le jeune Louis XIV, âgé de dix ans, dans sa fuite du Louvre vers le château de Saint-Germain-en-Laye. L’enfant roi est quelque peu perdu dans ce château vide et froid, et passablement affolé par les événements. D’Artagnan entreprend alors de le calmer en lui racontant, jour après jour, soir après soir, ses souvenirs que Louis XIV écoute avec fascination. L’histoire que choisit le mousquetaire tourne autour de la Cabale des Importants durant laquelle, déjà, quelques hauts personnages de l’Etat ont conspiré contre Mazarin. D’Artagnan décrit les dessous de l’affaire et les actions d’une multitude de personnages. L’intrigue principale raconte comment les conjurés ont loué les services d’une empoisonneuse venue d’Italie et d’un brigand chef de bande pour tuer le cardinal, et comment deux agents de celui-ci, un certain don Juan de Tolède et d’Artagnan lui même ont œuvré pour déjouer leurs projets. Autour de cette histoire intrigues et sous intrigues prolifèrent, tout comme les récits annexes plus anciens. Jouant avec tous les codes des romans feuilleton, l’auteur cherche à écrire l’ultime roman de cape et d’épées. Les coïncidences sont constantes, pas un personnage à la naissance obscure qui ne se révèle être l’enfant caché d’un autre personnage de premier plan, pas une silhouette aperçue en toile de fond qui ne finisse par tenir un rôle important plus tard dans le livre. Le problème c’est que Benoît Abtey en fait un peu trop. La prolifération des personnages et des intrigues, les récits dans le récit dans le récit font que la lecture de ce – très – long roman est parfois difficile. Le livre n’en manque pas pour autant de qualités. Bien écrit – parfois un peu trop – il offre de beaux portraits et notamment celui du personnage qui lui donne son titre. Don Juan de Tolède est un intéressant mélange: tueur à gages et homme d’honneur, issu des bas-fonds et ami intime de Mazarin, grand séducteur et ami des arts… Le meilleur du roman tient à la description des relations entre d’Artagnan et l’enfant roi, totalement subjugué par le mousquetaire et qui trouve dans son récit matière à apprentissage et réflexion. Le deuxième roman de la série, paru en 2013 sous le titre Masques de fer, est nettement plus réussi.
Extrait de la cinquième partie Recevez mes adieux, chapitre huit L’échafaud Les tourments du roi Le cœur du jeune roi Louis XIV est en proie à la contradiction. L’impatience est là, l’attente fébrile: qu’adviendra-t-il de son héros don Juan de Tolède? Va-t-il achever son existence si tumultueuse sur ce qui ressemble au berceau de ses origines? Le nomade Abel périra-t-il une nouvelle fois sous le couteau du terrien, le jaloux Caïn? Ce colosse digne de Michel-Ange doit-il terminer son voyage dans le sang et les larmes? Sa figure inoubliable prendra-t-elle place dans la pierre, sur un portail illustrant quelques hauts faits de l’Ancien Testament? Ou bien don Juan de Tolède pourra-t-il être sauvé et paraître plus haut, aux pieds de la nouvelle Jérusalem? Le roi, oui, est impatient de le savoir. Pourtant, il aimerait retarder l’échéance. Par crainte, tout d’abord, de voir tomber son héros, son sauveur, son dieu. Car ce don Juan de Tolède est venu à son secours, il lui a fait oublier les orages de la Fronde, les déchirures du royaume, la perfidie des Grands, la disgrâce dans laquelle il est tenu, en exil, dans un bastion retranché. Il lui a fait oublier toutes ses peines sans rien lui cacher des réalités qu’il faudra affronter bientôt, des luttes qu’il devra poursuivre dans l’espoir de les conclure par la force et par la ruse. Oui, cet aventurier au front d’airain, amant de l’amour, est devenu son modèle. Louis XIV voudra lui ressembler, l’égaler, à sa manière. L’enfant est debout, face à la fenêtre, seul. Le jour se lève. Il sait déjà quel avenir l’attend. Libre, il ne le sera jamais. Cela, il vient de le comprendre, vivement, cruellement. Ce cavalier, cet aventurier, lui offre un modèle, oui, mais un modèle inaccessible. « Mon château sera ma prison. Mais si je ne puis courir les chemins là où bon me semble, ne dépendre de personne, eh bien, au moins, je serai le maître, un maître indiscuté. Et mes ennemis connaîtront un sort pareil au mien. Ils n’auront pas plus que moi le plaisir de jouir de ce que la destinée me refuse. » Nous disions que le roi aimerait retarder l’échéance. La fin de cette histoire, c’est en effet la fin d’un rêve. Le retour au monde. Et puis, la fin de cette histoire, c’est aussi le départ de d’Artagnan, du moins de cette chambre. Sa mère, la reine, le lui a bien dit, l’autre soir. - Louis, le chevalier d’Artagnan ne peut toujours rester enfermé dans cette pièce, près de vous. Quand il terminera son récit, il continuera de veiller sur vous, mais vous comprendrez, mon fils, que le cardinal a prévu de l’employer à d’autres tâches. C’est un précieux serviteur et les amis fidèles sont rares. Le roi reste dans ses pensées: «Partager quelques instants de sa vie fut si passionnant! Un mousquetaire... et quel mousquetaire! Non pas seulement le mousquetaire du roi mais le roi des mousquetaires! Mais le voici justement, qui entre, le chapeau à la main, soigneusement vêtu, mais sans effet de mode, sobrement, comme à l’accoutumée, le visage ouvert et l’œil plissé.» - Installez-vous, chevalier, je ne demande qu’à vous entendre.
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