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Signé Dumas

Cyril Gely
Eric Rouquette

96 pages
Les Impressions Nouvelles - 2003 - France
Pièce de thêatre

Intérêt: **

 

Première représentation de la pièce: le 16 juin 2003 au Festival d'Anjou.
Création: le 12 septembre 2003 au Théâtre Marigny à Paris.


Dumas est-il l’auteur de ses livres? Auguste Maquet, qui fut son principal collaborateur et participa à la rédaction de ses plus grands chefs d’œuvre romanesques, des Mousquetaires à Monte-Cristo, n’a-t-il pas joué un rôle au moins aussi important qui lui dans la conception de leurs œuvres communes? Ces questions sont posées depuis que Mirecourt fit scandale en publiant, en 1845 son pamphlet au vitriol Fabrique de romans: Maison Alexandre Dumas et Cie. Et la consécration suprême qu’a représenté l’entrée de Dumas au Panthéon en novembre 2002 n’empêche pas, semble-t-il, les interrogations sur la paternité de son œuvre de persister, comme en témoigne cette nouvelle pièce.

Signé Dumas est pour l’essentiel un duo entre les deux écrivains. L’action se situe en 1848. Les deux hommes travaillent à l’adaptation théâtrale du Comte de Monte-Cristo. Dumas déborde d’énergie, d’enthousiasme. Il dicte ses instructions à Maquet, en s’interrompant pour évoquer ses projets d’aménagement du Château de Monte-Cristo, la patronne d’un restaurant du coin avec qui il vient de «faire la sieste», ses problèmes d’argent, etc…

Maquet, besogneux, prend note, risque une remarque ou deux, se fait rabrouer… C’est alors que l’on apporte aux deux hommes la nouvelle du début de la Révolution de 48. Dumas s’attend à une régence de la duchesse d’Orléans et dicte à Maquet une proclamation de soutien à cette dernière, dont il espère qu’elle le fera ministre.

Mais Maquet a pressenti, lui, que la Révolution ne s’arrêtera pas au renvoi de Louis-Philippe et s’inquiète: il veut dissuader Dumas de publier un texte qui, en cas d’avènement de la République, mettrait en danger sa position – et donc par contrecoup celle de son collaborateur.

Dumas prend très mal cette rébellion et le ton monte vite. Il traite de plus en plus Maquet en domestique et celui-ci, à bout d’humiliation, explose. Dès lors, tout y passe: Maquet se revendique comme associé à parts égales avec Dumas, qui ne voit en lui qu’un simple secrétaire. Dumas veut le mettre dehors: Maquet lui réclame alors l’argent qui lui est dû, puis parle de procès.

S’échauffant de plus en plus, et révélant, sous des dehors effacés, une certaine dose de mégalomanie, il affirme qu’il prouvera devant les tribunaux qu’il est lui, Maquet, le véritable et seul auteur de leurs œuvres communes. Dumas sera déshonoré et totalement ruiné…

Dumas commence par prendre ces menaces à la légère, mais s’affole quand Maquet lui révèle qu’il a gardé toutes les étapes successives de leurs travaux sur les Mousquetaires, datées et authentifiées devant notaire, prouvant qu’il en est le véritable auteur. Dumas lui répond en une belle tirade sur les rapports qu’il entretient avec ses lecteurs et les places respectives que leur réservera la postérité (lire extrait ci-dessous).

La rupture est consommée. Mais arrive alors la nouvelle de l’instauration de la République. Le projet de proclamation de Dumas n’a plus lieu d’être, le danger est écarté. Maquet revient et reprend son travail.


Très enlevée, la pièce se lit – et surtout se regarde, admirablement servie lors de sa création par Francis Perrin dans le rôle de Dumas et Thierry Frémont dans celui de Maquet – avec beaucoup de plaisir. Les dumasiens fervents peuvent certes trouver à y redire. L’attitude ouvertement méprisante de Dumas envers Maquet ne correspond pas forcément à la réalité, non plus que son dédain proclamé pour les républicains de 1848. Un élément anecdotique – mais crucial dans l’intrigue puisque c’est la seule chose qui fasse vraiment peur à Dumas – n’est pas avéré non plus : le fait que Maquet aurait fait enregistrer devant notaire toutes les étapes de ses travaux.

Surtout, la thèse implicite de l’ouvrage, selon laquelle les deux hommes formaient un tout indissociable et étaient tous deux essentiels à la réalisation de leurs œuvres, est des plus discutables. Dans la réalité, les deux écrivains ont continué leurs productions après leur séparation, avec les succès respectifs que l’on sait.

La pièce n’est cependant nullement manichéenne et ne reprend en rien les thèses absurdes de Mirecourt et consorts. Le face à face des deux hommes dans leurs relations habituelles, pendant la première partie de la pièce, est des plus savoureux. Et leur affrontement pose d’intéressantes questions sur les notions de paternité d’une œuvre littéraire. Il est d'ailleurs à noter que les deux auteurs présentent leur oeuvre comme une fiction qui s'intéresse aux rapports entre Maquet et Dumas, sans volonté de les juger (voir l'interview qu'ils nous ont accordée).


Extrait

MAQUET
(…) Dès que je franchis le seuil de cette porte, vous êtes seul, submergé. D’ici une semaine, la parution de Bragelonne est suspendue. Et face au désastre, vous n'aurez plus qu'une chose à faire, Dumas: vous arrêter.

DUMAS
M'arrêter?

MAQUET
Oui. Vous arrêter. Mettre un terme à votre carrière. D'ailleurs, vous êtes en fin de course. Il est peut-être temps, non?

DUMAS
Salaud! Jamais je ne m'arrêterai.

MAQUET
Vous êtes déjà à l'arrêt. Il n'y a que moi qui vous maintienne à la surface. Regardez-vous. Ah! Vous faites votre âge tout d'un coup! C'est la glissade qui commence! La glissade vers la vieillesse, la déchéance, la misère... La misère et la mort...

DUMAS
Salaud! — Les deux hommes se regardent un court instant. Puis Maquet enfile sa gabardine. Il commence ensuite à rassembler des papiers — Salaud! Vous êtes ignoble. Vous me dégoûtez... Vous n'êtes pas un homme, Maquet. Vous êtes un monstre... Un monstre... Oui. Je peux mourir, seul si vous voulez, ruiné peut-être. Qu'est-ce que ça peut me foutre! Allez-y, Maquet! Tuez-moi si ça peut vous faire plaisir! Votre crime ne peut pas me porter atteinte. Jamais... J'ai déjà légué tant de richesses à tous ceux qui me lisent. — I1 va à la bibliothèque et montre ses ouvrages — Il y a longtemps que tout ça leur appartient. — Il ouvre un livre — Quand ils ouvrent un de ces livres, savez-vous ce qu'ils y trouvent, Maquet? Mon cœur. Le mien. Je peux mourir, oui. Mon cœur va continuer à battre, lui, pendant des siècles. Où est votre cœur, Maquet? Où est-il? Pas entre ces pages! Ni dans cette bibliothèque! Il n'est nulle part. Vous n'en avez pas. Vous ne savez pas ce que c'est que de donner. Donner avec son cœur. Et vous ne le saurez jamais. Vous voyez ce livre, eh bien je touche celui qui le lit. Et en retour j'en suis aimé. — Il referme le livre — Et quand il le referme, je fais partie de sa vie. Pour toujours. Moi et moi seul. Il n'y a que ça qui compte. Voilà l'unique raison de cette œuvre. Voilà ce qui fait que j'en suis l'auteur. Et peu importe les moyens, peu importe qu'on sache que j'ai eu besoin d'un Maquet...

MAQUET
On le saura.

DUMAS
Eh bien, faites-le savoir. Faites-le. Ça ne changera rien. On ne vous aimera pas pour autant. Vous pouvez faire tous les procès que vous voulez, je vous assure que l'histoire donnera à chacun sa place. Vous avez devant vous Alexandre Dumas. Le seul. Dans cent ans, dans deux cents ans, on ne retiendra que celui-là. — Il va vers Maquet et lui prend fermement la main — Touchez sa main, touchez son front, touchez son nez... Son portrait est reproduit à des centaines d'exemplaires. Sa stature est taillée dans la pierre... — Il l'emmène vers la fenêtre — Venez par-là. Vous voyez le dessus du perron? C'est lui qu'on y verra bientôt. C'est moi. Moi seul. Vous croyez être Dumas? Mais regardez-vous. Regardez-moi et regardez-vous. Faites la différence. Vous verrez ce que je suis vraiment, ce que tout le monde voit... Vous voulez me ruiner? Mais l'argent, je le flambe sitôt rentré. L'argent, c'est des dettes, et ça ne sert à rien d'autre qu'à construire des légendes. Vous voulez que je vende mon château? Mais mon château, Maquet, même vendu, il m'appartiendra toujours. Les pierres sont là. Chacune d'entre elles est marquée de mon sceau, de mon empreinte. Elles offriront toujours la trace de mon existence. De mon existence, Maquet. Pas de la vôtre... Partez maintenant... Partez... Ce soir, vous retournerez dans le ruisseau, vous rentrerez dans le rang des assistants contrariés, des plumitifs. C'est tout ce que ça vous rapportera. Et si par miracle, plus tard, dans une page littéraire de quartier, un chroniqueur vous évoque, ce sera pour palabrer sur les ratés, sur les scribouillards, sur les nègres...


 

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