Les trois mousquetaires et demi in Le voyage inouï de Mr Rikiki
Cami
255 pages 1938 - France Humour - Roman
Intérêt: **
L'humoriste Cami n'était décidément jamais à court
d'idées pour réutiliser dans ses livres les grands héros
de Dumas, et tout particulièrement les mousquetaires.
Après leur avoir donné un fils "collectif" dans Le
fils des trois mousquetaires (nouvelle
et roman) et
les Nouveaux
exploits du même, et les avoir fait revenir
sur Terre sous forme de fantômes dans Les chevaliers
du gai, Cami adopte une autre approche avec
le "roman dialogué" que constitue Le voyage inouï
de Mr. Rikiki.
Ce dernier, qui
apparaît dans plusieurs livres de l'auteur, est
expéditionnaire de première classe. Personnage falot, il
se trouve expédié avec toute sa famille dans
"l'écrevisse", la machine à voyager dans le temps conçue
par son voisin inventeur (dit "le Bosselé").
Complètement déréglée, la machine les emmène au hasard
dans le passé, ce qui est prétexte à de nombreux
chapitres passant en revue l'histoire de France et du
monde.
Une première allusion à Dumas peut être relevée dans le
chapitre La Tour de Nesle (célèbre pièce de
Dumas) où M. Rikiki affronte Marguerite de Bourgogne.
Mais le morceau de bravoure du roman réside dans le
chapitre Les Trois Mousquetaires et demi - 1+1=1,
où Rikiki vient en aide à d'Artagnan de façon plutôt
inattendue (voir extrait ci-dessous).
L'aventure se poursuit dans le chapitre suivant Le
Roi soleil. Après un bond en avant de vingt ans,
Rikiki y retrouve d'Artagnan, qui lui fait jouer le rôle
de l'homme au masque de fer afin de déjouer un complot.
Ces textes brefs jouent évidemment sur le contraste
entre le minable expéditionnaire de première classe et
les glorieux mousquetaires. Un humour pas toujours très
fin, mais joyeusement délirant!
Extrait du chapitre 20 Les Trois mousquetaires
et demi - 1+1=1
(L'intérieur de
"l'Ecrevisse-à-rebrousser-les-siècles".)
MME RIKIKI.- La direction de "l'Ecrevisse" enfin
réparée nous voici de nouveau sur la route des
Batignolles.
M. RIKIKI.- Comment, Bosselé, vous freinez déjà?...
Mais nous n'avons même pas dépassé le siècle de Louis
XIII!...
BOSSELÉ.- Vous n'entendez donc pas ces bruits
alarmants? Le moteur a le hoquet et
"l'électro-crémaillère" grince des dents! La prudence
est mère de la soupape de sûreté et m'ordonne de stopper
immédiatement pour réparer. (Il freine. "L'Ecrevisse"
s'immobilise.)
M. RIKIKI, regardant par un hublot.- Nous
sommes dans une sorte de terrain vague. Ne bougez pas.
Je vais descendre avec Bosselé pour reconnaître les
lieux. (Ils descendent et s'avancent dans le terrain
vague.)
BOSSELÉ, à un homme qui passe.- Pardon
"homme-qui-passe", pourriez-vous nous dire quel est cet
endroit?
L'HOMME-QUI-PASSE.- Ben, vous êtes derrière le couvent
des "Carmes-Deschaux", le coin de Paris le plus
fréquenté par les duellistes, rapport à son isolement.
Faut vous dire que les duels sont interdits par un édit
du cardinal de Richelieu. Tenez, justement, v'là deux
cavaliers qui viennent en découdre!
M. RIKIKI, fixant un des deux inconnus qui
s'avancent.- C'est bizarre... il me semble que la
physionomie de ces mousquetaires ne m'est pas
inconnue...
L'HOMME-QUI-PASSE.- C'est M. d'Artagnan. (Il
s'éloigne.)
D'ARTAGNAN, à Rikiki et Bosselé.- Mes
gentilshommes, vous plairait-il nous servir de témoins,
et si le coeur vous en dit, ferrailler en notre
compagnie?...
M. RIKIKI.- Permettez... nous...
D'ARTAGNAN.- A votre guise. (A son adversaire.)
En garde, monsieur! (Les deux duellistes engagent le
fer. A la seconde reprise, l'adversaire de d'Artagnan,
tombe transpercé.)
SIX-GARDES-DU-CARDINAL, surgissant. - Ah! nous
vous prenons sur le fait, monsieur d'Artagnan! C'est
ainsi que vous respectez l'Edit?... Allons, pas de
résistance! Rendez-vous!...
D'ARTAGNAN. - Me rendre?... Mordious! Me rendre, quand
vous n'êtes que six pour m'arrêter!... Je m'en vais vous
charger, messieurs les gardes!
LES SIX-GARDES, entre eux.- Il a raison, nous
ne sommes que six. C'est insuffisant. Allons chercher du
renfort! (Ils s'éloignent en courant.)
D'ARTAGNAN.- Les lâches!... Ils vont revenir en
nombre...
M. RIKIKI. - Fuyez!
D'ARTAGNAN. - Oui, mais pour leur échapper, il faudrait
qu'ils ne puissent pas me reconnaître... Comment
faire?... (Soudain.) Oh! capéious!... une idée! (A
Rikiki.) Mon gentilhomme, grâce à votre petite
taille, vous pouvez sauver la vie de d'Artagnan!
M. RIKIKI. - Moi... je...
D'ARTAGNAN.- Oui. Il n'y a pas une seconde à perdre!...
Enlevez votre chapeau, coiffez mon feutre et montez sur
mes épaules! (il coiffe Rikiki de son feutre et le
met à cheval sur ses épaules.)
M. RIKIKI, abasourdi.- Permettez... je...
D'ARTAGNAN. - Et maintenant, drapez-vous dans mon large
manteau de mousquetaire, qui va me dissimuler
complètement aux regards indiscrets. (Rikiki, aidé
par Bosselé, se drape dans le manteau. D'Artagnan,
portant Rikiki sur ses épaules, est complètement caché
sous les plis de la vaste cape.) A nous deux,
nous formons maintenant un seul et magnifique
mousquetaire! Je vais marcher en ployant légèrement les
genoux pour n'avoir point l'air d'un géant, et par la
fente du manteau j'y verrai suffisamment pour diriger
mes pas sans trop de difficultés.
BOSSELÉ.- Merveilleux stratagème. Mon cher Rikiki, vous
avez à présent l'aspect imposant d'un mousquetaire de
haute prestance! L'ingénieuse combinaison de vos deux
corps superposés, ne formant plus, grâce à la cape,
qu'un seul et superbe cavalier, met l'arithmétique en
échec: 1+1=1!
M. RIKIKI.- Mais... permettez, monsieur d'Artagnan...
J'ai près d'ici ma famille... et...
D'ARTAGNAN.- Qu'elle vous rejoigne à l'auberge de "la
Toupie-Rouge", rue de la Pomme-de-Pin... C'est là que je
loge.
M. RIKIKI, à mi-voix.- Attention, monsieur
d'Artagnan!... J'aperçois une troupe de gardes qui
s'avancent dans notre direction!
UN GARDE, à Rikiki.- Pardon, mon gentilhomme,
n'avez-vous point aperçu sur votre route un certain
d'Artagnan, que nous avons mission d'arrêter?
M. RIKIKI, bégayant de frayeur.- Vous di...
di... vous di... dites... d'ar... d'ar.. d'ar... d'ar...
LES GARDES, riant.- Il ne va pas dare-dare pour
causer! C'est sûrement un bègue!... Si on attend tend
ses explications nous arriverons trop tard!... En avant!
... (Ils s'éloignent.)
(...)
(La nuit est tombée. D'Artagnan, portant Rikiki,
arrive dans une rue de mauvaise mine et aperçoit des
bandits qui entourent le carrosse d'une grande dame
pour la dévaliser.)
M. RIKIKI. - Prenons une rue adjacente et n'allons pas
nous mêler de...
D'ARTAGNAN. - Que dites-vous?... Laisser une faible
femme aux prises avec ces drôles? Jamais... Nous allons
exterminer cette canaille!... Tenez-vous bien! (Il
charge les bandits, l'épée en avant, et les met en
fuite après en avoir occis une demi-douzaine. Un des
voleurs passe traîtreusement derrière d'Artagnan pour
le poignarder dans le dos. Mais Rikiki l'aperçoit et
sortant brusquement son bras de dessous le manteau
applique un coup de parapluie sur le crâne du bandit
qui s'écroule assommé.)
LA GRANDE DAME.- Qui êtes-vous, ô mon sauveur? O
vaillant chevalier! héroïque mousquetaire?
D'ARTAGNAN, sous le manteau.- Mon nom est
Rikiki-le-Terrible et j'habite l'auberge de la
"Toupie-Rouge"! Si ma rapière bat les vils coquins, mon
coeur bat toujours pour l'amour des belles! (Il
s'éloigne rapidement.) Merci, Rikiki! Sans vous,
j'étais poignardé. D'Artagnan n'oubliera jamais qu'il
vous doit la vie! Jusqu'à présent, nous étions quatre
amis inséparables connus sous la raison sociale: "Les
Trois Mousquetaires", mais désormais, Rikiki, malgré
votre petite taille, vous faites partie de notre
illustre trio!...
M. RIKIKI.- Oh!... c'est trop d'honneur...
D'ARTAGNAN.- Non!... Vous êtes un brave, Rikiki! Et à
partir d'aujourd'hui, on ne dira plus les Trois
Mousquetaires, mais les Trois Mousquetaires et demi!
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