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Due Anni Dopo

Angelo Nizza
Riccardo Morbelli
Angelo Bioletto (illustrateur)

224 pages
Perugina e Buitoni - 1937 - Italie
Humour - Roman

Intérêt: **

 


Cette fiche consacrée à deux livres italiens a été réalisée par François Rahier. Qu’il en soit ici vivement remercié!

La fiche traite simultanément de I Quattro Moschettieri (240 pages, 1935) et de Due Anni Dopo (224 pages, 1937)


Entre 1934 et 1937 l’Italie fasciste fut la proie, selon certains historiens, d’une véritable « fièvre des mousquetaires », provoquée par la diffusion à la radio d’État d’un feuilleton tiré du roman d’Alexandre Dumas. Sous la houlette d’Angelo Nizza et de Riccardo Morbelli, Les Trois Mousquetaires retitrés Les Quatre Mousquetaires, avaient été en effet revisités d’une manière très particulière pour devenir le support d’une revue parodique agrémentée de chansons composées par Egidio Storaci. Tout à fait délirante et irrévérencieuse, cette parodie faisait voyager nos personnages dans le temps. Entraînés dans des situations de plus en plus improbables, ils devaient rencontrer, pêle-mêle, Marlene Dietrich et Clark Gable, Charlot, Buffalo-Bill, Mata-Hari, Tarzan ou encore Monte-Cristo – pour finir un jour, à la « Maison Dumas et Cie », dans l’atelier d’écriture de leur créateur – allusion claire au pamphlet d’Eugène de Mirecourt, Fabrique de romans : Maison Alexandre Dumas et Compagnie, Paris, 1845 !

L’entreprise était sponsorisée par les pâtes Buitoni, premier exemple d’un soutien publicitaire de ce type en Italie. Le succès du feuilleton favorisa un concours de figurines autocollantes dessinées par Angelo Bioletto que l’on pouvait trouver dans les paquets de pâtes ! À la suite d’une plainte pour publicité déloyale de la part des concurrents de Buitoni, le ministère des Finances arrêta l’expérience en 1937. Néanmoins, outre les albums où l’on pouvait coller les figurines, et qui sont devenus de véritables collectors en Italie, deux novélisations de la parodie – I Quattro Moschettieri et sa suite Due Anni Dopo (Les Quatre Mousquetaires/Deux ans après), avaient été publiées à l’époque, respectivement en 1935 et 1937, et l’hebdomadaire illustré pour enfants Il Moschettiere, proche des jeunesses communistes, reprit même le premier épisode du roman en feuilleton après la guerre. Récemment, en 2004, une adaptation théâtrale de la parodie a été montée à Pérouse par la compagnie théâtrale de l’Ombrie, dans une mise en scène de Gigi Dall’Aglio, sous le titre I Quattro Moschettieri.

Dans l’édition du Moschettiere (1946-1947) le roman était ainsi présenté :

« Ce livre drolatique, qui contient beaucoup de bêtises, de mots d’esprit, de blagues, d’histoires et d’épisodes plaisants, rassemblés dans le seul but de prêter à rire, a été écrit dans les heures suivant les repas, et les humbles auteurs, avec deux oreillers – un sous la tête et l’autre sous les reins – du vin frais à leur côté, en ont jeté des bribes un peu chaque jour, quand ça leur venait, entre une partie de cartes et une partie de mourre. »

La parution s’échelonna sur près de six mois ; seule la première partie a été publiée dans le journal. En voici le sommaire :

Il Moschettiere, 1946, n°1 (15 septembre) – n°16 (29 décembre)
Alla Taverna del Gatto malinconico (À la Taverne du Chat mélancolique)
Il Castellano dannato (Le Châtelain damné)
Quattro contro cento (Quatre contre cent)
La Diabolica beffa del Sultan (La Diabolique farce du Sultan)
Una notte a Veneza (Une nuit à Venise)
“Quei quattro me la pagherano” (Ces quatre-là vont me le payer)
I Moschettieri in Pallone (Les Mousquetaires en ballon)

Il Moschettiere, 1947, n°1 (5 janvier) – n°12 (23 mars)
[Maison Dumas & Cie, p. 65 sq.]
In balia del vento (À la merci du vent)
Dove si riscopre l’America (Où l’on redécouvre l’Amérique)
La terribile notte del 5 maggio (La terrible nuit du 5 mai)
In lotta col mistero del continente Nero (En lutte avec le mystère du continent Noir)
I grattacapi di Ramsete II (Le casse-tête de Ramsès II)
Conclusione

Au fil des douze chapitres, nos amis, accompagnés d’Arlequin, le valet d’Aramis, voyagent beaucoup, dans le temps et l’espace, visitent la Russie de Catherine II (ou de Marlene Dietrich en « Impératrice rouge » comme dans le film de Josef von Sternberg), redécouvrent l’Amérique, et, au hasard d’un voyage en ballon (ils atterrissent au Bourget !!!), poursuivis par une foule qui les presse pour obtenir des autographes, ils se retrouvent devant l’entrée de la « MAISON DUMAS & Cie ».

Voici un extrait du chapitre VII, au cours duquel les mousquetaires rendent visite à leur père spirituel. Le texte italien emprunte parfois des tournures, ou l’orthographe de certains mots, au dialecte vénitien, pour donner à l’écriture un aspect désuet. D’autre part, on y affuble Aramis d’un accent maniéré et ridicule qui lui fait prononcer, en italien, les « r » comme des « v ». En français, on pourrait en trouver un équivalent dans la façon de parler des « Incroyables » sous le Directoire. En italien, ce « rhotacisme » est souvent utilisé pour tourner en ridicule les personnages au snobisme affiché.

(Voir après l’extrait un encadré sur le journal Il Moschettiere)


Extrait du chapitre VII
Version française ci-dessous

E avviandosi sotto l'androne, scoperse la bella fila di cassette delle lettere in finto mogano con le placchette di ottone.

- Xe Dumas, azzardò Arlecchino.

- Certo, Alessandro Dumas, non c’è dubbio, precisò D’Artagnan.

- Dumas padre, nostro padre.

- L’autore dei Tre Moschettieri.

- Stavà cevto al piano nobile, disse Aramis.

Sicuri di trovar rifugio, i nostri eroi dall’androne passarono su per la scala.

- Chi cercano, loro ?

- Cossa vorlo questa que ? Chi xelo ?

Era la portinaia, con le mani sui flanchi, presso l’entrata del suo stambugio, guardia fedele de lo stabile. S’intravedeva nel bulo del suo antro la pentola che bolliva sul gas in permanenza : costante, fedele strumento per la violazione di segreri epistolari.

- Dove vanno, loro ? domandò ancora alzando la voce.

- Scusi, noi si andava a trovare il signor Dumas, rispose D’Artagnan.

- Quale ?

- Alessandro.

- Padre o figlio ?

- Dumas, lo scrittore…

- Sempre la stessa storia ! Sono scrittori tutti i due, lo non so perchè a quel Dumas
è venuto in testa di chiamare Alessandro anche su figlio. Vadano pure ! brontolò la donna rientrando nelle stambugio e sbatacchiando la porta.

I nostri amici salirono. Dumas non stava al piano nobile ma al primo piano. Proprio di rimpetto abitava un banchiere.

Sull’ampia placca di ottone spiccava una scritta : MAISON DUMAS & Cie, sul vetro smerigliato della porta la parola “Avanti”; sul tappeto “Salve”.

Dopo averi fatti attendere per un’ora nel salottino ammobilitato in stile barocco francese (poltrone scomode, mobili arcigni e solennni, atmosfera convenzionale), Dumas comparve col suo sorriso di mulatto alla pastadentifricia, scostando la tenda di velluto roso et facendone tinnire gli anelli di ottone.

Strinse le mani di turri in silenzio, come persona che voglia darsi una certe importanza e un certo tono paterno:

- Siete voi? Vi aspettavo ! Ho ricevuto appunto in questo momento i diritti d’autore dei miei romanzi. I Tre Moschettieri è un libro raffermo, ma si vende ancora. Voi mi rendete, figli miei.

[...]

- Vedele come si deve organizzare un scrittore ! Che volete ? La gente paga e rider vuole qui!... Romanzi, novelle, articoli, poesie, drammi... Ne faccio d’ogni colore e... e mio figlio non scherza. Se non fosse mio figlio, che concorrente ! Ho un gran daffare a vergare firme e riscuotere soldi. Come tutti sanno, Alessandro Dumas ha i suoi negri. Ho un esercito di impiegati che mi scrivono i romanzi.

- Che bella ditta! esclamò Porthos ammirato.

- Organisassion  proprio a la todesca, soggiunse Arlecchino.

Ma lo scrittore si riscosse ad un tratto: gli affari facevan sentire il loro imperioso richiamo.

- Scusate, telefono un momento in ditta, diese. Ho dieci romanzi incommenciati. I miei negri lavorano notte e giorno. Bisogna che segua tutte la trame.

Si avvicinò all’apparecchio, formò un numero e attese, battendo il piede con impazienza:

Pronto? Pronto ! Siete voi Antoine ? Lo avete poi fatto morire quel personaggio ? Come, non ricordate?... Quel povero vecchio malato di colera che ha i figli che lo picchiano, la moglie che lo fa dormire con la finestra aperta in piena inverno... Come ? Lo aveta fatto morire di stenti? ... Macchè stenti ! Una bella coltellata... coi soliti rantoli... le ultime rivelazioni... Lasciamolo agonizzante, col capitolo in sospeso…

- Povaro vecio, che coraio ! commentò Arlecchino rabbrividendo.

Athos gli diede una gomitata:

- Zitto, il signor Dumas è accademico di Francia.

Il romanziere suonò un campanello. Comparve immediatamente un giovanotto tutto pepe, con i pantaloni a scacchi, la zimarra lisa lisa, i capelli arruffati e la penna d’oca sull’orecchio destro.

- Comandi, Maestro.

- Come andiamo ? domandò Dumas.

- Benissimo. Al quarto capitole quel personaggio lo faccio ghigliottinare.

- Magnifico !

- Nell’altro romanzo, continuò l’impiegato, la nonna si sposa per la quinta volta con un suo pronipote, di modo che il padre del pronipote viene a essere su figliastro. Insomma per farla breve, il figlio diventa padre di suo padre.

Traduction française

En entrant sous le porche, ils découvrirent une belle enfilade de boîtes aux lettres en faux acajou avec des plaques de laiton.

- C’est Dumas, hasarda Arlequin.

- Bien sûr, Alexandre Dumas, il n’y a pas de doute, précisa d’Artagnan.

- Dumas père, notre père.

- L’auteur des Trois Mousquetaires.

- Il est sûrement à l’étage, dit Aramis.

Sûrs de trouver là un refuge, nos héros montèrent à l’étage.

- Ils cherchent qui, eux ?

- Qu’est-ce que vous voulez ? Qui c’est, ça ?

C’était la concierge, les mains sur les flancs, à l’entrée de sa loge, gardienne fidèle de l’établissement. On entrevoyait dans l’obscurité de son antre la marmite qui bouillait sur le gaz en permanence : constant, fidèle instrument favorisant la violation du secret des correspondances.

- Où vont-ils, eux ? demanda-t-elle encore en élevant la voix.

- Excusez-nous, nous aimerions rencontrer Monsieur Dumas, dit D’Artagnan.

- Lequel ?

- Alexandre.

- Père ou fils ?

- Dumas, l’écrivain…

- Toujours la même histoire ! Ils sont tous les deux écrivains, je ne sais pas pourquoi à ce Dumas il lui est monté à la tête d’appeler Alexandre aussi son fils. Allez-y ! grogna la femme en rentrant dans sa loge et en claquant la porte.

Nos amis montèrent. Dumas n’était pas à l’étage noble, mais au premier palier. Un banquier habitait juste de l’autre côté.

On pouvait lire sur la large plaque de laiton une inscription : MAISON DUMAS & Cie, le verre dépoli de l’entrée portait le mot "Suivant" ; et sur le tapis il y avait « Bonjour".

Après les avoir fait attendre pendant une heure dans un salon modernisé dans le style baroque français (fauteuils inconfortables, meubles archaïques et solennels, ambiance conventionnelle), Dumas apparut avec son sourire de mulâtre à la pâte dentifrice, soulevant un rideau de velours rose en faisant tinter les anneaux de laiton.

Il serrait les mains de tous en silence, comme quelqu’un qui voulait se donner une certaine importance et un certain ton paternel :

- C’est vous ? Je vous attendais ! Je viens tout juste de recevoir les droits d’auteur de mes romans. Les Trois Mousquetaires est un livre un peu vieux, mais il se vend encore. Vous me revenez, mes enfants.

[…]

Voyez comme doit s’organiser un écrivain ! Que voulez-vous ? Les gens paient et veulent rire ici!…  Romans, nouvelles, articles, poésies, drames... J’en fais de toutes les couleurs et... et mon fils ne plaisante pas lui non plus. Si ce n’était pas mon fils, quel concurrent ! J’ai du pain sur la planche pour signer et pour collecter l’argent. Comme tout le monde le sait, Alexandre Dumas a ses nègres. J’ai une armée d’employés qui m’écrivent mes romans.

- Quelle belle entreprise ! s’exclama Porthos admiratif.

- Une organisation à la tudesque, ajouta Arlequin.

Mais l’écrivain se ressaisit tout à coup : les affaires faisaient sentir leur impérieux rappel.

- Excusez-moi, je dois téléphoner un moment à l’entreprise. J’ai dix romans non terminés. Mes nègres travaillent nuit et jour. Il faut que je suive toutes les intrigues.

Il s’approcha de l’appareil, fit un numéro et attendit, tapant du pied avec impatience :

- Allô ? Allô ! C’est vous, Antoine ? Vous l’avez fait mourir enfin ce personnage ? Comment, vous ne vous rappelez pas ? Ce pauvre vieux malade du choléra que ses enfants battent, sa femme qui le fait dormir avec la fenêtre ouverte en plein hiver... Comment ?  Vous l’avez fait mourir de faim ? ... Non ! Un bon coup de couteau, plutôt... avec les râles habituels... les ultimes révélations... Laissons-le agoniser encore un chapitre…

- Pauvre vieux, quel courage ! commenta Arlequin frissonnant.

Athos lui donna un coup de coude :

- Tais-toi donc, Dumas est un académicien français.

Le romancier agita une sonnette. Un jeune homme très vif apparut immédiatement, avec un pantalon à carreaux, une robe de chambre usée jusqu’à la trame, les cheveux ébouriffés et une plume d’oie sur l’oreille droite.

- À vos ordres, Maître.

- Comment allons-nous ? demanda Dumas.

- Très bien. Je vais faire guillotiner ce personnage au quatrième chapitre.

- Magnifique !

- Dans l’autre roman, poursuivit l’employé, la grand-mère se marie pour la cinquième fois avec un de ses arrière-petit-fils, de sorte que le père de l’arrière-petit-fils en vient à être son beau-fils. En bref, le fils devient le père de son père.

L’hebdomadaire Il Moschettiere, un fumetto italien très dumasien

Il Moschettiere, qui allait devenir après bien des aléas Pioniere, le journal illustré des jeunesses communistes italiennes, commence à paraître le 15 septembre 1946. Son titre, enluminé aux couleurs des mousquetaires, s’orne d’une figurine représentant Porthos, et annonce un programme très dumasien : Avventure – I Quattro Moschettieri – Porthos vi scrive…  Les Quatre Mousquetaires de Nizza et Morbelli commencent à paraître en roman à suivre sous la forme de fascicules détachables dès ce premier numéro, avec les illustrations de Angelo Boletto ; la parution s’échelonnera jusqu’au mois de mars de l’année suivante. Les Lettere dal mio Castello, des lettres d’un Porthos immobilisé par la goutte, écrites de son château aux jeunes lecteurs du périodique qu’il appelle ses « cadets », constitueront tout au long de la parution du Moschettiere, et même après, dans Il Pioniere dei Ragazzi (Le Pionnier des Enfants) qui prend sa suite, une sorte d’éditorial du journal.

À partir du n°9, la une est souvent occupée par un pastiche des Trois mousquetaires intitulé Avventure del Capitano D’Avegnac ; ce d’Avegnac-là est une sorte de d’Artagnan qui, accompagné de son compagnon Flambant, part à la recherche des ferrets de la Reine. Dessiné par Guido Grilli sur un scénario d’Alberto Guerri, cette histoire se tient assez bien, jusqu’à un deuxième épisode où un certain S. Fida reprend le dessin, et qui voit nos malheureux personnages en fâcheuse posture dans un monde souterrain régi par une mystérieuse souveraine assistée d’hommes à la peau verte ! Bien que marquée à suivre dans le n° 34-35 de 1947 du Pioniere dei Ragazzi, cette laborieuse histoire s’interrompt avec la cessation de parution du journal. C’est dans ce numéro également que paraît la dernière lettre de Porthos. Quand les choses reprendront au début de l’année suivante, avec un nouveau journal, Noi Ragazzi (Nous les enfants), toute trace de Dumas aura disparu. Noi Ragazzi sera remplacée en 1950 par Pioniere, un titre marquant définitivement l’emprise du Parti Communiste Italien et de son organisation de jeunesse, l’Association des pionniers italiens, sur cette publication.

Voici le texte de la première lettre de Porthos à ses cadets, parue dans le n°1 du Moschettiere, et sa traduction française :

Lettere dal mio Castello
15 settembre 1946

Miei cari cadetti,

Si, lasciate che vi chiami così: “cadetti”. Alla vostra età io ero un cadetto, e così quel pazzo di Athos e quel vanesio di Aramis. Eravano dei ragazzotti con le labbra ancora umide di latte materno ma, poffare: già sapevumo maneggiar la spada e reggere all’uncino... Eh, mi pare ieri, eppure quanti anni sono trascorsi, per la Maiella! Ohibò, vecchio Porthos, che sono queste nostalgie ? Saresti dunque vecchio ?

No! Quando il cuore è giovane, il resto non conta. Ho, è ben vero, male alle reni, alla testa, alla gola, al dente del giudizio, a un ginocchio; ed ho la dannata gotta che mi tiene inchiodato su questa poltrona, nella sala terrena del mio turrito castello in Turenna; ma a parte ciò, mi sento ottimamente. Tanto è vero che quando stamane mi è giunto l’invito dal direttore del Moschettiere di rispondere alle vostre lettrere, miei cari cadetti, ho risposto di sì con entusiasmo. Mi sono sturata una polverosa bottiglia di vin di Borgogna e l’ho tracannatu fino al fondo. Affediddio, mi son detto, se il Moschettiere m’interpella, ciò significa che non sono ancora da buttar via.

Alle guagnele ! Mi sento ringiovanito di qualche secolo. Eppoi, vi dirò: al Moschettiere sono legato da un fatto sentimentale. Dovete sapere che, dopo quel po’ po’ di successo ottenuto coi Tre Moschettieri, Alessandro Dumas si decise a fondare un giornale per ragazzi intitolato appunto Il Moschettiere. Morto lui, poveretto, morì anche il giornale. Che oggi, in nuova veste, ma sempre sotto la gloriosa insegna, riappare alla luce per i tipi della Casa Astrea.

“A lei, Porthos, mi ha scritto il direttore, a lei che è il beniamino dei ragazzi, l’onore della presentazione”. Ah, tuoni e fulmini! Questa mano usa a dominar la spada dovrebbe dunque adattarsi alla leggerezza della penna d’oca ?

E sia ! Durante il mio forzato riposo, mi servirà di svago. Eppoi... Poi no ha dato un calcio allo sgabello e così, col mi piedone fasciato, mi sono messo a ballar la furlana.

Per le sante guagnele, mi sento più giovane di voi!

Scrìvetemi, cadetti. Vi responderò a puntino. Valga me Dios.

Porthos
 

Lettres de mon Château
15 septembre 1946

Mes chers cadets,

Oui, laissez-moi vous appeler ainsi : "cadets". A votre âge, j’étais un cadet, comme aussi ce fou d’Athos et ce vaniteux d’Aramis. Nous étions de jeunes garçons aux lèvres encore mouillées du lait maternel, mais, poff ! nous savions déjà tenir l’épée et échanger des horions... Eh, il me semble que c’était hier, et pourtant combien d’années se sont écoulées, par la Maiella ! Bah ! mon vieux Porthos, que sont ces sentiments nostalgiques ? Tu serais donc devenu vieux ?

Non ! Quand le cœur est jeune, le reste ne compte pas. J’ai, c’est bien vrai, mal aux reins, à la tête, à la gorge, aux dents de sagesse, à un genou ; et j’ai cette fichue goutte qui me tient cloué sur ce fauteuil, dans la salle basse d’une tour de mon château en Touraine ; mais à part ça, je me sens très bien. C’est si vrai que lorsque le directeur du Moschettiere m’a invité ce matin à répondre à vos lettres, mes chers cadets, j’ai répondu oui avec enthousiasme. J’ai débouché une bouteille poussiéreuse de vin de Bourgogne et je l’ai descendue cul sec. Ma foi, je me suis dit, si le Moschettiere m’interpelle, cela signifie que je ne suis pas encore bon à jeter.

Par les Saints Évangiles ! Je me sens rajeuni de quelques siècles. Et puis, je vous dirai : au Moschettiere je suis lié par quelque chose de sentimental. Vous devez savoir qu’après ce petit succès obtenu avec les Trois Mousquetaires, Alexandre Dumas décida de fonder un journal pour enfants intitulé Le Mousquetaire. Il est mort, le pauvret, et le journal aussi. Mais c’est lui qui reparaît aujourd’hui, sous une nouvelle forme, mais toujours sous la même glorieuse enseigne, grâce aux imprimeurs des Éditions Astrea.

"A vous, Porthos, m’a écrit le directeur, à vous qui êtes le chouchou des enfants, l’honneur de la présentation". Ah, tonnerre et foudre ! Cette main faite pour ferrailler avec l’épée devrait donc s’adapter à la légèreté de la plume d’oie ?

Et soit ! Pendant mon repos forcé, je vais avoir besoin de loisirs. Et alors... Alors j’ai donné un coup de pied au tabouret, et avec ma jambe bandée, je me suis mis à danser la forlane.

Par les Saints Évangiles ! Je me sens plus jeune que vous !

Écrivez-moi, cadets. Je vais vous répondre. Valga me Dios*.

Porthos

*« Dieu me bénisse » (en espagnol dans le texte).

Texte et traductions: François Rahier, 2023

Merci à Gianni Brunoro pour son aide dans la traduction de certaines subtilités du texte.



 

 

 

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