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Intelligence avec l’ennemi

Pierre Nord

272 pages
Librairie Arthème Fayard - 1957 - France
Roman

Intérêt: **

 

Cet intéressant roman est un hommage au Comte de Monte-Cristo, tout comme Vrai secret d’Etat du même auteur en est un aux Trois mousquetaires. Les deux livres présentent d’ailleurs plusieurs points communs: il s’agit de récits d’espionnage avec une forte composante militaire et un ancrage dans la Seconde guerre mondiale. Rien d’étonnant puisque Pierre Nord était lui même militaire de carrière, agent des services de renseignement et membre actif de la Résistance avant d’opter pour le métier d’écrivain.

Intelligence avec l’ennemi commence par une longue séquence surréaliste: un Conseil de guerre se tient près de Sedan le 15 mai 1940 alors même que les troupes allemandes ont lancé leur offensive à deux pas de là. Deux hommes passent en Cour martiale: l’officier Paul Laurens et Haroun Arazov, un Russe de l’ex-armée impériale. Ils sont jugés pour une affaire d’espionnage: des documents diplomatiques ultra confidentiels ont disparu des bureaux d’une administration parisienne et ont été vendus à l’Union soviétique.
 
Tout accuse Laurens: il a été pris la main dans le sac, on a trouvé sur lui une enveloppe pleine d’argent, il y a des témoignages formels contre lui, notamment de Ginette Chapelle, la fille du concierge des bureaux espionnés. Et le policier enquêteur, Rampin, se livre à une démonstration implacable de sa culpabilité. Ce qui intrigue tout le monde, malgré tout, c’est la personnalité de l’accusé. Laurens est un officier remarquable, encensé par ses collègues et supérieurs qui ne peuvent croire à sa culpabilité. Il est promis à une grande carrière militaire, et est par ailleurs fiancé à Monique, la fille d’un banquier richissime. Il n’a donc nul besoin d’argent. Or, Laurens refuse obstinément de se défendre, ne dit pas un mot pendant son procès.

Le président du tribunal, le colonel marquis de Givry, est un peu troublé par cette attitude mais se rend à l’évidence: Laurens est coupable. Le jeune homme est condamné à la dégradation militaire et à être exécuté. Mais pendant cette longue audience, les troupes allemandes se sont inexorablement rapprochées. Tout le monde s'enfuit dans la plus grande pagaille. Une bombe détruit la voiture qui transporte Laurens. Son corps n’est pas retrouvé, il est déclaré mort.

En août 1944, Laurens, qui avait bien sûr survécu, réapparaît dans les Alpes sous un nom d’emprunt à la tête d’un groupe de résistants de choc. Il fait appel à Givry, qui vit à cet endroit, pour monter un coup extrêmement audacieux contre les Allemands. Givry réalise que Laurens ne pouvait pas être coupable. Rongé par le remords à l’idée de l’erreur judiciaire qu’il a commise, il se lie avec lui et finit par l’adopter, lui fournissant une nouvelle identité et mettant sa fortune à sa disposition.

Deux ans plus tard, la guerre terminée, Laurens entreprend d’identifier les responsables de sa mise en accusation et de se venger. Il sait que Ginette Chapelle a menti au procès. Avec l’aide de Givry, il retrouve le père de la jeune fille et le fait parler. Il apprend que Ginette est partie aux Etats-Unis où elle fait du cinéma.

En 1951, la carrière américaine de Ginette, actrice de série B sous le nom de Carmen Amora, est flageolante. Laurens se fait passer pour un producteur de cinéma. Il la fait venir à Paris et lui promet de relancer sa carrière. En fait, il la coule définitivement et la fait même défigurer dans un accident de tournage. L’ayant ainsi détruite, il lui achète sa confession et obtient des révélations sur ce qui s’était passé. C’est bien elle qui volait les documents, pour les donner à Arazov, qui lui même était sous les ordres de commanditaires.

A partir de là, Laurens remonte la filière. Il s’en prend au policier enquêteur Rampin qui faisait partie du complot et s’est installé à Tanger. Laurens y arrive sous l’apparence d’un riche oisif avec son yacht. A force de manipulations, il amène le policier à tuer son ancien complice Arazov. Il revient enfin à Paris pour s’en prendre au vrai commanditaire, Guy du Rand, un ancien membre de cabinets ministériels devenu homme de presse depuis qu’il a épousé Monique, la riche ancienne fiancée de Laurens.

Ce dernier fait engager son homme de confiance comme chauffeur de Guy du Rand. Lors d’une soirée chez celui-ci, Laurens organise une confrontation avec lui: il se fait passer pour un commanditaire du réseau d’espionnage et lui fait tout avouer pendant que Monique écoute, dissimulée sur un balcon. C’est bien du Rand qui a demandé à Azarov et au policier de faire accuser Laurens d’espionnage, parce qu’il était amoureux de Monique. Ils avaient imaginé un stratagème pour empêcher Laurens de se défendre, car il aurait compromis l’honneur de sa mère. Du Rand se suicide, Laurens et Monique, qui étaient toujours restés amoureux l’un de l’autre, se retrouvent.


L’intrigue, on le voit, reflète fidèlement celle de Monte-Cristo: l’innocent à qui tout sourit et qui tombe victime d’un complot, son retour après des années de disparition, l’acquisition d’une fortune, les fausses identités, la longue enquête sur ses ennemis, les manipulations pour provoquer leur chute… Le parallèle entre Monique et Mercédès est particulièrement net. Pour autant, Intelligence avec l’ennemi n’est pas un « remake » à l’identique ou un simple plagiat. L’intrigue est tout à fait distincte, les personnages sont différents. Bien sûr, du Rand évoque Fernand/Morcerf qui épouse Monique/Mercédès mais Ginette Chapelle, par exemple, qui joue un rôle essentiel dans l’intrigue, n’a pas d’équivalent chez Dumas. Laurens, pour sa part, ne devient pas un quasi surhomme mais le caractère implacable de sa vengeance évoque bien Monte-Cristo (voir extrait ci-dessous).

En définitive, il s’agit d’une variation sur le thème du Comte de Monte-Cristo, en un hommage parfaitement assumé: le yacht de Laurens à Tanger porte le nom de Monte-Cristo II. Pour le reste, le roman est bien écrit et bien mené comme toujours chez cet écrivain confirmé. Tout ce qui concerne le fonctionnement de l’armée et la lutte contre les Allemands à la fin de la guerre est des plus convaincant, puisant dans l’expérience personnelle de Pierre Nord. Ses romans n’en demeurent pas moins extrêmement datés avec en particulier des références continuelles à des valeurs morales absolues qui laissent perplexes aujourd'hui. A titre d’exemple: il est avancé que le refus de Laurens d’ouvrir la bouche pour se défendre lors de son procès pourrait tenir au fait que face à des accusations aussi révoltantes, ce serait « se salir » que d’y répondre…
Merci à Antoine Tabary de m’avoir signalé ce roman

Extrait du chapitre IV 1951-1952 - Carmen Amora

A vingt heures cinquante-cinq, le général de Givry et le pseudo-Marchand arpentaient nerveusement le salon de leur appartement, avenue Henri-Martin, — se croisant et se parlant sans se regarder, se heurtant parfois sans s'excuser, tellement ils étaient tendus et absorbés dans leurs pensées.

- Vous êtes allé trop loin, maugréa le général. Vous n'avez donc aucune pitié ?

- Aucune, mon général. Je n'en aurai aucune, avant d'avoir châtié les espions, les traîtres et les crapules qui m'ont cyniquement fait condamner à leur place, et ont si bien détruit ma vie qu'en vérité je me demande parfois ce que je pourrai bien faire, pour durer, quand je n'aurai plus le but de me venger.

- Tout de même, cette pauvre fille...

- Cette fille est une espionne, un escroc, un faux témoin, une prostituée camouflée et une fille dénaturée. Un monstre moral. Elle arrêtait, bouchait, annihilait mon enquête. J'ai compris, en 1946, que je ne pourrais faire aucun progrès si je ne lui faisais pas dire tout ce qu'elle sait. Or, en 1946, elle était belle, riche, hors de portée, invulnérable. J'ai mis six ans pour l'attirer en France, détruire sa beauté et la ruiner. Pendant six ans d'un travail répugnant, rebutant, odieux, je n'ai eu aucune défaillance de sensibilité, - tout au moins, j’ai réussi à les surmonter. Ce n'est certainement pas dans le dernier quart d'heure, alors que je touche au but, que je vais reculer. N'insistez donc pas, mon général. A propos, j'ai fait virer à votre compte les trois millions que je vous ai empruntés en 1946.

- Comment ça? Vous m'en avez rendu davantage de 1950 à maintenant, si je ne me trompe ?

- Ce n'étaient que des dividendes. Comme vous êtes distrait, mon général ! Maintenant, je solde, car je quitte le cinéma, bien que je ne m'y sois pas ennuyé. J'ai compté à un moment donné soixante millions de bénéfices, mais je les ai reperdus dans ce film Les Cascadeurs, dont j'avais fait l'instrument de la débâcle de Carmen Amora.

- Tant pis.

- Tant mieux. Je m'en tire les mains nettes et j'ai la conscience en repos. Ces sentiments sont probablement périmés, et il est sans doute absurde et anormal de réserver strictement ses délicatesses aux questions d'argent. Mais je ne suis peut-être pas tout à fait... comme les autres, et cette petite soupape m'aide à garder mon équilibre moral.


 

 

 

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