Sommaire  Tous les livres BD Expositions Musique Objets des mythes
Votre pastiche
Recherche



D’Artagnan amoureux
ou cinq ans avant

Roger Nimier

315 pages
1962 - France
Roman

Intérêt: ***

 

Ce roman est la deuxième exploitation par Roger Nimier du personnage de d'Artagnan, après l'étonnante nouvelle Frédéric, d'Artagnan et la petite chinoise. D'Artagnan amoureux ou cinq ans avant se passe cinq ans avant Vingt ans après, à la fin du "règne" de Richelieu. D'Artagnan est chargé par ce dernier d'une mission de confiance: rapporter de Rome à Paris le traité secret de paix universelle, signé par tous les souverains d'Europe, qui éliminera la guerre pendant 300 ans. (Il échouera, comme on a pu le constater ces derniers siècles).

L'intrigue, en fait, n'est qu'un vague prétexte qui permet à Nimier de faire évoluer d'Artagnan dans un monde haut en couleurs, plein de célébrités de l'époque: le cardinal de Retz, le jeune Pascal, Bussy-Rabutin, ainsi qu'un certain Pélisson de Pélissart, maréchal et inventeur d'une machine volante qui ne vole pas...

Surtout, d'Artagnan rencontre plusieurs femmes, jeunes et belles, qui l'amènent à livrer des combats pour lesquels il est beaucoup moins bien préparé qu'à ses duels habituels. L'une d'entre elles fait des ravages dans le coeur du mousquetaire solitaire: la jeune Marie de Rabutin-Chantal, cousine de Bussy-Rabutin et future madame de Sévigné. Celle-ci ne répondant pas à ses feux, d'Artagnan cède au désespoir et entreprend de mourir à la bataille de Rocroy. Et il faudra l'intervention des trois autres mousquetaires, que l'on n'avait pas vus jusqu'aux dernières pages du livre, pour sauver d'Artagnan de lui-même.

Plein d'humour, le livre est avant tout un exercice de style - parfois un peu trop, Nimier cédant souvent au goût de la formule - brillante et paradoxale - pour la formule. Il n'en s'agit pas moins d'un très bel hommage qui met en avant un côté sentimental que l'on ne soupçonnait guère chez le plus vaillant des mousquetaires!

 Voir l'arbre généalogique de d'Artagnan


Extrait du chapitre 21 Comment une machine volante qui ne vole pas se transforme en une machine roulante qui roule

(D'Artagnan et Pélisson de Pélissart veulent se lancer à la poursuite de La Fon, qui a volé le projet de traité de paix)

(D'Artagnan)- Imaginez que nous rattrapions votre La Fon?

- Si vous faites cela, je lui prends le coeur et j'en fait deux parts: une pour mes rats, une autre pour...

- Imaginez seulement que nous arrivions à Paris en même temps que lui.

- Mieux encore. Je demande au cardinal de le faire rouer. Le cardinal est trop bon ami à moi pour me refuser cela.

- Encore faut-il arriver à Paris.

- D'Artagnan, votre calme m'effraye. Vous avez une seconde idée.

- Il est acquis que nous ne pouvons partir à cheval ou en carrosse, car le mouvement de la route nous romprait les os.

- On n'en peut douter.

- En cette extrémité, que nous reste-t-il donc?

- Vous, d'Artagnan, ou plutôt votre idée.

- Vous, au contraire, mon cher Pélisson.

- Moi?

- Oui, vous et votre machine volante.

Le regard de M. Pélisson se voila d'inquiétude.

- Vous savez qu'il s'agit d'une fort belle machine, mais qui ne vole pas encore.

- Vous me l'avez expliqué. Mais pour un ingénieur de votre force...

- Inventeur, inventeur! Pas ingénieur.

- Dites-moi la différence.

- Vous comprenez que je ne puis m'encombrer la tête de calculs, ni me gâcher les mains à serrer des vis.

- Je le conçois.

- J'ai laissé ces besognes à mes physiciens, mes mécaniciens, mes dessinateurs, mes astronomes, mes chimistes.

- Vous avez tout cela?

- Oui, dans les massifs centraux de la France. Moi, j'ai donné l'idée de cette machine et les drôles l'ont réalisée.

- Vous m'avez défini son principe.

- Oh, il est fort simple. On a extrait de mes mines une pierre assez remarquable qui chauffe instantanément tout ce qu'on en approche.

- Une chaleur extrême m'avez-vous dit.

- A tel point que mes premiers physiciens en eu les bras perdus. J'ai dû en faire venir de nouveaux de Paris.

- Et de cette chaleur vous avez tiré de quoi faire tourner deux roues géantes?

- Elles tournent fort bien.

- Mais la machine ne s'élève pas.

- Hélas, non! Je l'ai cependant prévue d'un poids extrême.

- Dans quel but?

- Dans le but de jeter du lest en montant. Voyez-vous, si j'élève du sol un poids de six mille livres, je ne l'en soutiendrai que mieux dans les airs lorsqu'il en pèsera trois mille.

- Acceptez-vous une proposition?

- De grand coeur.

- Allons voir votre machine.

Et d'Artagnan, appuyé sur Planchet, suivit M. Pélisson appuyé sur M. de Pélissart, jusqu'à son atelier.

La machine s'y trouvait, soutenue par une galerie de bois.

Elle mesurait douze pieds de haut et quarante de long. Son apparence était celle d'une nacelle bordée par deux roues géantes. Ces roues étaient percées d'alvéoles, leur rôle étant d'aspirer l'air et de le rejeter aussitôt, comme font certains poissons pour se mouvoir.

Huit roues, plus petites, assuraient la marche de l'engin sur le sol.

Le moteur, prêt à fumer, se composait d'un entrelacs de tuyaux, alimentés par deux gros réservoirs d'eau placés de chaque côté.

D'autres réservoirs représentaient les trois mille livres de lest annoncées par M. Pélisson.

Enfin, il y avait un drapeau aux fleurs de France tendu au-dessus des deux sièges d'osier prévus pour le pilote et son passager. Des coussins, superbement brodés aux armes de M. Pélisson, assuraient le confort des passagers.

Disons ici quelles étaient les armes de M. Pélisson de Pélissart. Elles représentaient une oie tenant dans son bec une couronne d'épines, avec cette devise: "Ma foi vaut mon foie."

D'Artagnan considéra l'ensemble de cette construction avec la minutie qu'il portait en toute chose. Quand il eut terminé son inspection, il se tourna vers l'inventeur qui attendait ses observations la paupière gonflée et la narine basse.

- Imaginez, cher Pélisson, que vous vidiez les trois mille livres d'eau qui vous servent de lest.

- Par l'aube et le chant du coq, je puis le faire. Mais...

- Mais?

- Mais j'en serai bien gêné à mille mètres d'altitude.

- Le feriez-vous pour l'amour de moi?

- Oui.

- Et par haine du La Fon?

- Par le diable vert-pré, dix fois oui.

- Quand cela?

- Le temps de déverser l'eau.

- Bien, Planchet, notre bagage. Nous partons.

- Moi aussi, Monsieur?

- Toi aussi.

- Dans les airs?

- Je n'ai pas dit dans les airs. J'ai dit: avec moi.

- En ce cas, je suis prêt.

Et le fidèle Planchet, ne doutant pas que son maître fût devenu fou, mais sachant qu'il est des occasions où folie vaut raison, courut préparer les bagages.

Deux heures plus tard, la machine, délestée de son poids inutile, fumait.

- Jambe de chienne! fit M. Pélisson. Et si elle volait à présent?

- N'est-ce point ce que vous cherchiez?

- Depuis que je me suis frotté au soleil, je suis un peu guéri de ces expéditions.

- Ne craignez rien. Nous ne monterons pas si haut.

- Vous ne m'empêcherez pas d'éprouver un très fort sentiment d'attraction terrestre.

- Songez à La Fon.

- Au Fon? Le perfide! En route!

Et M. Pélisson abaissa la manette de cuivre qui commandait le mouvement des roues centrales. L'appareil fit un bond, Planchet retint son chapeau à deux mains et, comme une flèche, la machine parcourut quelques coudées. Cela fait, elle s'arrêta.

- Prodigieux! s'écria M. Pélisson. Cette machinevolante roule.

- Oui, mais voudrait-elle continuer?

- Certes. Laissez-moi parler au moteur.

Et M. Pélisson se pencha sur les tuyaux qui laissaient échapper d'amers grondements.
Une minute plus tard, la machine repartait, semant l'effroi dans Rome.

Un chien fut sa première victime. Mais comme ce chien était enragé et se proposait de mordre deux enfants de six et huit ans, ce fut une bonne oeuvre, sinon une bonne action.

Un prêtre entreprit de bénir les passants. La machine lui happa le bras. Ce fut une nouvelle chance, car ce prêtre entretenait des relations secrètes avec l'hérésie et accompagnait ses bénédictions de prières telles que: "Pourceaux de Romains, que Luther l'emporte au plus tôt et que je puisse me marier avec ma gothon."

La troisième manifestation de la Providence se produisit quand la machine écrasa un jeune suisse de la Garde pontificale nommé Knappergraffenringsturpelschwirtzhömellungsburger. En effet, ce malheureux, hanté par des idées malsaines et d'ailleurs porté sur les bières fortes, avait projeté le matin même de lacérer les toiles de la chapelle Sixtine pour les remplacer par des compositions de son cru.

Imperturbable, d'Artagnan contemplait la route.

 


 Sommaire  Tous les livres BD Expositions Musique Objets des mythes
Votre pastiche

Recherche