Fly paper Papier tue-mouches
Dashiell Hammett
31 pages 1929 - États-Unis Policier - Nouvelle
Intérêt: **
Avec cette petite nouvelle, Dashiell Hammett, le roi du
roman noir américain, rend un hommage discret et
inattendu à Alexandre Dumas. Ecrit bien avant les
aventures de Sam Spade, le grand héros de Hammett, Fly
paper met en scène un détective privé anonyme, le
“Continental Op”.
Celui-ci, qui travaille pour une
grande agence, a été chargé de retrouver une jeune fille
de bonne famille ayant mal tourné. Tombée amoureuse d’un
truand, elle vit désormais avec la pègre.
Il la retrouve effectivement mais… morte, empoisonnée à
l’arsenic. Un détail insolite chez elle: la présence,
cachée derrière un meuble, d’un exemplaire du Comte
de Monte-Cristo contenant des feuilles de papier
tue-mouches glissées entre les pages.
Après une succession de scènes typiques des romans
noirs – coure poursuite dans les rues de San Francisco,
dialogues au scalpel avec divers truands – l’enquêteur
hésite encore sur l’interprétation correcte des
événements: s’il est clair que l’arsenic utilisé a été
récupéré dans des feuilles de papier tue-mouches, on ne
sait pas encore s’il s’agit d’un meurtre (et si oui,
commis par qui?), d’un suicide ou d’un accident.
C’est d’une conversation avec son chef, qui vient de
relire Monte-Cristo, que jaillit l’explication
(voir extrait ci-dessous): la jeune fille s’est en fait
empoisonnée elle-même. Désireuse de quitter son amant,
une brute épaisse, pour s’enfuir avec un autre, elle
avait décidé de le tuer, par peur de ses représailles.
Pour ce faire, elle s’était inspirée d’un passage de Monte-Cristo
où il est expliqué que l’on peut s’immuniser contre un
poison violent en en prenant de petites doses sur une
longue période. Après quoi, on peut absorber une dose
forte en même temps que sa victime, qui du coup ne se
méfie pas, et s’en tirer avec une simple indisposition
pendant que cette dernière trépasse. Dans le cas
présent, la jeune fille a simplement forcé sur la dose
et s’est tuée elle-même sans le vouloir.
La dimension «dumasienne» du récit
est certes modeste. Mais en plaçant dans sa nouvelle le
roman Le comte de Monte-Cristo et en y faisant
figurer la clé de l’énigme, Hammett a clairement rendu
un élégant hommage au maître du roman d’aventures.
Signalons enfin que dans la nouvelle, le chef de
l’agence de détectives désigne «un paragraphe» de Monte-Cristo
comme donnant la solution du mystère. Il peut s’agir de
deux pages différentes. Dans le chapitre 73 La
promesse, le docteur d’Avrigny explique à
Villefort comment Mme de Saint Méran a pu être
empoisonnée par une potion destinée à Noirtier et
contenant un produit toxique pour quiconque n’y était
pas habitué comme lui.
Ou bien alors, dans le chapitre 80 L’accusation,
le docteur démontre cette fois à Villefort que
l’assassin a bien tenté d’empoisonner Noirtier et que ce
dernier n’en a réchappé que parce qu’il était soigné
depuis longtemps par de petites doses du même produit,
toxique en grande quantité.
Extrait de la partie X
The Old Man smiled benevolently at me and asked:
"But you're not, you say, ready to write this theory
into a report? Meanwhile what do you propose doing?"
"If there's nothing else on tap, I'm going home,
fumigate my brains with Futimas, and try to get this
thing straightened out in my head. 1 think I’ll get a
copy of The Count of Monte Cristo and run
through it. I haven't read it since I was a kid. It
looks like the book was wrapped up with the fly paper to
make a bundle large enough to wedge tightly between the
wall and stove, so it wouldn't fall down. But there
might be something in the book. I'll see anyway."
"I did that last night," the Old Man murmured.
I asked: "And?"
He took a book from his desk drawer, opened it where a
slip of paper marked a place, and held it out to me, one
pink finger marking a paragraph.
"Suppose you were to take a milligramme of this poison
the first day, two milligrammes the second day, and so
on. Well, at the end of ten days you would have taken a
centigrammc: at the end of twenty days, increasing
another milligramme, you would have taken three hundred
centigrammes; that is to say, a dose you would support
without inconvenience, and which would be very dangerous
for any other person who had not taken the same
precautions as yourself. Well, then, at the end of the
month, when drinking water from the same carafe, you
would kill the person who had drunk this water, without
your perceiving otherwise than from slight inconvenience
that there was any poisonous substance mingled with the
water."
"That does it," I said. "That does it. They were afraid
to go away without killing Babe, too certain he'd come
after them. She tried to make herself immune from
arsenic poisoning by getting her body accustomed to it,
taking steadily increasing doses, so when she slipped
the big shot in Babe's food she could eat it with him
without danger. She'd be taken sick, but wouldn't die,
and the police couldn't hang his death on her because
she too had eaten the poisoned food. "
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