Mathias Sandorf
Jules Verne
550 pages 1885 - France Roman
Intérêt: *
Ce volume des "Voyages extraordinaires" de Jules
Verne se réfère expressément au Comte
de
Monte-Cristo. Il est en effet dédicacé à
Alexandre Dumas fils dans les termes suivants:
Je vous dédie ce livre en le dédiant aussi à
la mémoire du conteur de génie que fut Alexandre
Dumas, votre père. Dans cet ouvrage, j'ai essayé
de faire de Mathias Sandorf le Monte-Cristo des Voyages Extraordinaires.
Je vous prie d'en accepter la dédicace comme un témoignage
de ma profonde amitié.
Jules Verne
A quoi Dumas fils répond ainsi:
Cher ami,
Je suis très touché de la bonne pensée que
vous avez eue de me dédier Mathias Sandorf, dont je vais
commencer la lecture dès mon retour, vendredi ou samedi.
Vous avez eu raison, dans votre dédicace, d'associer la
mémoire du père à l'amitié du fils.
Personne n'eût été plus charmé que
l'auteur de Monte-Cristo par la lecture de vos fantaisies lumineuses,
originales, entraînantes. Il y a entre vous et lui une
parenté littéraire si évidente que, littérairement
parlant, vous êtes plus son fils que moi. Je vous aime
depuis si longtemps, qu'il me va très bien d'être
votre frère.
Je vous remercie de votre persévérante affection,
et je vous assure une fois de plus et bien chaudement de la mienne.
A. Dumas
23 juin 1885
De fait, Mathias Sandorf démarque directement
Monte-Cristo. Il s'agit du récit des aventures du Comte
Sandorf, grand seigneur hongrois, qui, au début de l'histoire,
complote contre l'Autriche pour restaurer l'indépendance
de sa patrie.
Suite à une trahison, Mathias Sandorf est arrêté
avec ses deux principaux associés. Une évasion
rocambolesque lui permet de disparaître, tandis que ses
deux amis sont exécutés par les Autrichiens.
Quinze ans plus tard, un mystérieux Docteur Antékirtt
défraye la chronique dans toute la Méditerranée.
Richissime, cet homme dont on ignore tout possède l'île
d'Antékirtt, au large de la Libye, où il a installé
un petit royaume privé. Il possède également
des navires ultra sophistiqués qui lui permettent de se
déplacer à toute vitesse à travers la mer,
dispose d'agents partout, etc..
Il s'agit bien entendu de Mathias Sandorf qui, après son
évasion, a sillonné l'Asie, devenant un grand médecin
et héritant d'une vaste fortune léguée par
un patient (aucune autre explication n'est fournie quant aux
moyens illimités dont il bénéficie et au
fait que personne ne le reconnaît...).
Le docteur entreprend de retrouver les personnes associées
à ses malheurs de jadis, ceux qui l'ont aidé comme
ceux qui l'ont trahi, pour récompenser et punir. Il sauve
ainsi de la misère les enfants d'un pêcheur qui
l'avait aidé à s'enfuir et pourchasse les trois
traîtres jusqu'à leur mort finale.
La
ressemblance avec Monte-Cristo va encore plus loin. Par exemple,
le fils d'un des amis de Mathias Sandorf tué par les Autrichiens
tombe amoureux de la fille de l'un des traîtres (dont il
ignore qu'il a causé la mort de son père), en écho
de l'amour qui lie Maximilien Morrel à Valentine de Villefort.
Autre similitude frappante: toute l'action se déroule
en Méditerranée (avec d'ailleurs de belles descriptions
des régions allant de Trieste à l'Albanie, ainsi
que de Malte, de la Tunisie...).
Le livre de Jules Verne tient plus, cependant, du plagiat que
de l'hommage sophistiqué. Le récit est copié
de façon superficielle. Le personnage de Mathias Sandorf
n'a en rien la complexité et la profondeur de Monte-Cristo:
sa transformation en Docteur Antékirtt est à peine
esquissée, il poursuit sa vengeance sans états
d'âme, celle-ci se limite à capturer et tuer ses
ennemis, tandis que Monte-Cristo jouait de façon machiavélique
sur les propres vices et faiblesses de ses adversaires pour qu'ils
causent leur propre perte. Le livre se lit bien en tant que récit
d'aventures, mais n'est pas à la hauteur de l'oeuvre de
Jules Verne. Ce qui est d'autant plus décevant que ce
dernier a su donner, avec Le sphinx des glaces, une suite
magistrale aux Aventures d'Arthur Gordon Pym, d'Edgar
Poe.
Extrait de la deuxième partie, chapitre trois:
Il est des gens qui donnent bien de l'occupation à
la Renommée, cette femme-orchestre aux cent bouches, dont
les trompettes portent leur nom aux quatre points cardinaux du
monde.
C'était le cas de ce célèbre docteur Antékirtt,
qui venait d'arriver au port de Gravosa. Et encore son arrivée
avait-elle été marquée par un incident,
qui eût suffi à attirer l'attention publique sur
le plus ordinaire des voyageurs. Or, il n'était pas de
ces voyageurs-là.
En effet, depuis quelques années, autour du docteur Antékirtt,
il s'était fait une sorte de légende dans tous
ces pays légendaires de l'extrême Orient. L'Asie,
depuis les Dardanelles jusqu'au canal de Suez, l'Afrique, depuis
Suez jusqu'aux confins de la Tunisie, la Mer Rouge, sur tout
le littoral arabique, ne cessaient de répéter son
nom, comme celui d'un homme extraordinaire dans les sciences
naturelles, une sorte de gnostique, de taleb, qui possédait
les derniers secrets de l'univers. Au temps du langage biblique,
il aurait été appelé Épiphane. Dans
les contrées de l'Euphrate, on l'eut révéré comme un descendant des anciens Mages.
Qu'y avait-il de surfait dans cette réputation? Tout ce
qui voulait faire de ce Mage un magicien, tout ce qui lui attribuait
un pouvoir surnaturel. La vérité est que le docteur
Antékirtt n'était qu'un homme, rien qu'un homme,
très instruit, d'un esprit droit et solide, d'un jugement
sûr, d'une extrême pénétration, d'une
merveilleuse perspicacité, et qui avait été
remarquablement servi par les circonstances. En effet, dans une
des provinces centrales de l'Asie Mineure, il avait pu garantir
toute une population d'une épidémie terrible, jugée
jusque-là contagieuse, et dont il avait trouvé
le spécifique. De là une renommée sans égale.
Ce qui contribuait à lui donner cette célébrité
tenait principalement à l'impénétrable mystère
qui entourait sa personne. D'où venait-il? On l'ignorait.
Quel avait été son passé? On ne le savait
pas davantage. Où avait-il vécu et dans quelles
conditions nul n'aurait pu le dire. On affirmait seulement que
ce docteur Antékirtt était pour ainsi dire adoré
des populations dans ces contrées de l'Asie Mineure et
de l'Afrique Orientale, qu'il passait pour un médecin
hors ligne, que le bruit de ses cures extraordinaires était
arrivé jusque dans les grands centres scientifiques de
l'Europe, que ses soins, il ne les épargnait pas plus
aux pauvres gens qu'aux riches seigneurs et pachas de ces provinces.
Mais on ne l'avait jamais vu dans les pays d'Occident, et même,
depuis quelques années, on ne connaissait pas le lieu
de sa résidence. De là, cette propension à
le faire sortir de quelque mystérieux avatar, de quelque
incarnation indoue, à en faire un être surnaturel,
guérissant par des moyens surnaturels.
|