Le paria
Albert Kantof Denys de La Patellière
368 pages 1984 - France Roman
Intérêt: *
Voici l’exemple type d’un «roman de vengeance»
irrémédiablement marqué comme beaucoup d’autres depuis
150 ans par Le comte de Monte-Cristo.
L’histoire a beau différer sur des points importants,
l’influence du livre de Dumas se fait constamment
sentir.
Le récit commence avec le retour
soudain de Julien Mauriès. Appartenant à une puissante
famille d’industriels d’Arles, cet homme d’affaires a
été condamné par contumace vingt ans plus tôt, après sa
fuite à l’étranger. Son entreprise immobilière s’était
effondrée et il avait été accusé d’avoir occasionné la
mort de plusieurs ouvriers en lançant des travaux sur un
terrain instable alors qu’un rapport d’experts le
mettait en garde.
Le retour de Julien est d’autant plus inattendu qu’il
intervient à la veille de la prescription de sa
condamnation: il est clair que l’homme d’affaires a
délibérément choisi de faire rouvrir le dossier pour se
faire innocenter et régler ses comptes. Son retour sème
donc la panique dans la famille Mauriès qui ne l’a guère
soutenu lors de son effondrement et auprès de ceux qui
ont bénéficié de sa chute. D’autant que Julien dispose
d’énormes moyens financiers. Rien de bien mystérieux là
dedans: pendant ses vingt années d’exil au Venezuela,
son génie des affaires lui a permis de bâtir un grand
groupe industriel et de faire fortune.
Julien entreprend donc de révéler les machinations qui
ont causé sa chute jadis: le faux rapport d’expertise,
la trahison d’un cousin Mauriès, les magouilles d’un
truand professionnel de l’immobilier devenu entre temps
sénateur et gros homme d’affaires… Simultanément, il
lance en sous main des opérations boursières pour
prendre le contrôle du groupe familial. Le tout lui
permet de retrouver son honneur perdu, sa place à la
tête de la famille et l’amour de la jeune fille qu’il
aimait lors de sa condamnation…
L’histoire du Paria comprend certes de
nombreuses différences avec celle de Monte-Cristo.
La plus évidente tient au fait que Julien revient
ouvertement, et non pas sous le masque d’un justicier
inconnu. L’exilé n’est pas non plus devenu un surhomme.
Sa puissance est grande mais il ne contrôle pas tous les
événements, loin de là. Enfin, sa vengeance n’est pas
implacable, il se réconcilie même avec les membres de sa
famille qui l’avaient abandonné, faisant passer l’esprit
de clan avant tout.
Reste que les similitudes avec Monte-Cristo
sont omniprésentes: la chute due à un infâme complot, la
longue disparition, les richesses acquises pendant
celle-ci, le désir de vengeance, les machinations (un
peu faiblardes en l’occurrence)… Et différents
personnages sont plus ou moins directement transposés
comme l’ancienne amoureuse (Mercédès), le notaire ami
qui n’a jamais douté (Morrel), la fille de la famille
«ennemie» que sa nature franche et droite rend aussitôt
proche du justicier (Valentine de Villefort), etc… Le
parallèle avec Le comte de Monte-Cristo est
d’ailleurs ouvertement reconnu quand l’ami de Julien lui
demande: «ça ne te fatigue pas un peu de jouer les
Monte-Cristo et de ne vivre que pour ta vengeance?».
Décrivant largement la Camargue et les villes d’Arles et
d’Aix-en-Provence, Le paria se lit bien. Le
livre a donné lieu à un feuilleton télévisé réalisé par
Denys de La Patellière, avec Charles Aznavour dans le
rôle principal.
Extrait du chapitre Un
Julien Mauriès les regarda... Guillaume, empâté, le
teint un peu bileux..., Cosima, à peine marquée par les
années. La blondeur vieillit moins vite... « Les Jacques
» portant beau et faisant bloc avec ces deux jeunes
hommes qui devaient être leurs fils... Plus loin, les
édiles d'Arles... et le Rotary Club, sandwich au caviar
ou petit four de chez Lenôtre en main. Tous, plus gras,
grisonnants ou voûtés, qui devaient sans doute être en
train de dévorer la Gauche en piment... Et puis, tous
les autres, qu'il ne connaissait pas. Mais dont la
conversation se mourait en voyant tous les Mauriès se
figer dans
une immobilité stupéfaite... Luce, la femme de Jacques,
la bouche arrondie en 0... Son mari, qui se passait un
doigt dans le col de chemise, comme s'il manquait
soudain d'air... Guillaume, ayant amorcé un élan bloqué
sur place par un regard impérieux de Cosima. Ce fut en
souveraine qu'elle se reprit la première:
- Cher Julien..., nous vous attendions.
Mentant avec un aplomb de joueur de poker que
l'arrivant apprécia, elle lui souriait, la garce,
sauvant la face devant les autres et les beaux-parents,
qui échangeaient des regards inquiets en détaillant le
personnage, lequel ne lâchait pas son bagage d'émigrant,
dont la poignée s'embellissait de la rose tenue entre
les doigts. On ne pouvait s'empêcher de penser
irrésistiblement à Charlie Chaplin, au melon, à la canne
et aux godasses, devant cette intrusion dans la fête, à
la fois bouleversante - par l'effet qu'elle avait sur
certains - et comique par cette allure mal fringuée, ce
côté « Je débarque avec mon nécessaire » et cette
dernière touche fleurie et poétique. Maintenant, la
maîtresse femme poussait Guillaume contre son frère. Les
deux hommes s’embrassaient maladroitement et le premier
balbutiait à l'oreille de l'autre:
- Pardon. Tu ne peux pas savoir...
Comme si c'était lui qui avait souffert, il regardait
ensuite son cadet avec des yeux de chien battu, tandis
que Cosima, décidée à meubler à tout prix, faisait signe
à une servante en costume d'Arles d'approcher avec un
plateau surchargé de coupes emplies de champagne
millésimé que Julien choisit d'ignorer... L'orchestre
proche ayant brutalement marqué le dernier hurlement
d'un rock, on entendit distinctement dans le silence la
réflexion d'une invitée à son voisin. Peut-être
était-elle un peu sourde pour avoir parlé si fort:
- Ce Julien Mauriès..., on m'avait dit qu'il était
mort.
Sans même se retourner, celui qu'on venait d'enterrer
lança:
- Rassurez-vous, madame..., je suis bien vivant.
|