Le secret de Maxime Navarre
Michel Dodane
300 pages Albin Michel - 2009 - France Roman
Intérêt: *
Ce roman qui se veut un hommage aux feuilletons du
XIXème siècle raconte les aventures du jeune Maxime
Navarre. L’histoire commence en 1830 quand le garçon,
âgé de 8 ans, échappe de justesse à la bande de tueurs
qui viennent d’assassiner ses parents et d’incendier
leur demeure. Sa vie ne sera plus, pendant de longues
années, qu’une fuite ininterrompue. Un homme mystérieux,
apparemment très puissant, cherche en effet
inlassablement à le retrouver pour le tuer, sans que
Maxime ait la moindre idée des raisons de cette
vindicte.
Durant son errance, l’enfant est
recueilli notamment par Alexandre Dumas et le
dessinateur Daumier. Séduit par la personnalité de
Maxime, Dumas le protège tant qu’il peut. Mais les
ennemis de l’enfant vont jusqu’à prendre Alexandre Dumas
fils (alors enfant) en otage pour forcer l’écrivain à
livrer son jeune protégé. Dumas s’y refuse mais Maxime
préfère s’enfuir pour cesser de mettre ses amis en
danger.
Après des années d’errance en tant que saltimbanque,
c’est de George Sand qu’il devient le protégé. Son
ennemi retrouve sa trace et le menace plus que jamais.
Jusqu’à ce que Vidocq s’intéresse à Maxime, identifie
son ennemi, s’en débarrasse… Maxime, âgé alors de 20
ans, retrouve Alexandre Dumas qui consacre une pièce de
théâtre à la vie du jeune homme, dans laquelle Maxime
joue son propre rôle. La pièce fait un triomphe lors de
sa première, donnée en présence du roi Louis-Philippe en
personne.
L’intrigue du Secret de Maxime Navarre est
consternante, avec par exemple des coïncidences
monstrueuses (Maxime croise une inconnue par hasard, en
tombe amoureux fou au premier regard: c’est la fille de
son persécuteur…). Quand on apprend finalement pourquoi
l’homme mystérieux voulait le tuer, ce n’est pas pour
quelque colossal secret d’Etat mais pour une vague
histoire de jalousie sentimentale. Des rebondissements
fondamentaux sont évacués en quelques lignes: on apprend
vers la fin que les parents de Maxime sont en fait
toujours vivants mais on ne les voit pas pour autant
réapparaître dans le récit. Peut-être l’auteur a-t-il
voulu écrire «à la façon» des feuilletons du XIXème
siècle, mais de telles faiblesses dans le récit ne
passent plus aujourd’hui.
Reste ce qui fait la toile de fond du roman: la mise en
scène de nombreux personnages célèbres, de Victor Hugo à
Louis-Philippe, de George Sand à Chopin, de Vidocq à
Musset… Alexandre Dumas occupe la première place dans
cette galerie de héros réels. On l’y voit bien campé,
dans un rôle sympathique de protecteur de Maxime,
combiné à son statut de roi du Paris des arts et des
lettres. Pour l’anecdote, on apprend que c’est Maxime,
enfant, qui a trouvé la célèbre réplique finale de son
drame Antony:
«Elle me résistait, je l’ai assassinée!».
L’idée de terminer le roman sur la pièce de théâtre
racontant l’histoire du roman est amusante et bien
menée. Quelques bons moments, donc, mais qui ne
suffisent pas à racheter les graves lacunes de la trame
romanesque.
Extrait de la deuxième partie Rue d’Enfer,
n°100, chapitre 8
La pension Sainte-Victoire était silencieuse. Deux
silhouettes escaladèrent le mur d'enceinte côté parc,
traversèrent la cour. Le fils Dumas dormait dans l’aile
des benjamins, à dix mètres de la chapelle. Elles se
coulèrent dans l’ombre jusqu’au cagibi du surveillant,
qui ronflait pesamment. Il fut réveillé et, la lame sur
la gorge, forcé de les conduire jusqu’au lit occupé par
le fils de l’écrivain. En un éclair, un des hommes avait
bâillonné l’enfant tandis que l’autre le chargeait sur
son dos. Le surveillant fut assommé d’un coup de crosse.
Quelques minutes plus tard, un coup de fouet claquait et
les roues d’un tilbury résonnaient sur les pavés.
Le lendemain soir, tout Paris apprenait que le fils de
Dumas avait été enlevé. On s’arrachait Le Moniteur
et Le Constitutionnel. L’écrivain en fut
informé par Daumier, un des rares intimes à être admis
square d’Orléans.
— Que veulent-ils?
— De l’argent, sans doute.
— Je n’en ai plus!
— Ils ne le savent pas.
— Je file chez le roi.
— Ce n’est pas très prudent.
— Au diable la prudence! Il s’agit de mon fils.
Dumas fit antichambre pendant plus d’une demi-heure. Sa
Majesté terminait son souper. Puis le chambellan vint le
chercher. Mais plutôt que de le conduire aux
appartements royaux, il emprunta un autre chemin, le
faisant passer par une galerie vitrée surplombant la
cour du palais. De la, ils gagnèrent un pavillon, au bas
d’un escalier de pierre. La porte en était entrebâillée.
— Entrez, monsieur, dit le chambellan en poussant la
porte, qu’il referma derrière l’écrivain.
Il faisait sombre. Dumas distinguait des formes
animales, des trophées de chasse accrochés aux murs. Et,
au fond de la pièce, un homme écrivant à un bureau, à la
lueur d’une chandelle.
A peine eut-il fait quelques pas qu’une silhouette
armée se détacha du mur.
— Ne bougez pas.
Dumas se figea. Une porte s’ouvrit. Une estafette prit
le pli que lui tendait l’homme et repartit aussitôt. Les
sabots d’un cheval résonnèrent sur les pavés de la cour,
puis ce fut le silence.
— Approchez.
La voix était profonde, avec un léger chuintement.
— Pas plus près.
Dumas obéit. D’où il se trouvait, il ne pouvait
distinguer qu’une tête emperruquée et des mains épaisses
triturant un coupe-papier d’ivoire.
— Ainsi, on vous a pris votre fils.
— Cette nuit même. Je voudrais. . .
L’homme l’interrompit d’un geste.
— Monsieur Dumas, nous vous savons beau parleur.
Parfois, les mots ne suffisent plus.
Il se renversa en arrière, jeta le coupe-papier sur le
bureau et joignit les mains.
— Je comprends votre douleur. Nous allons faire de
notre mieux. Nos services sont bien informés. Mais
peut-être seraient-ils plus efficaces si vous leur
donniez un peu de grain à moudre.
D’un tiroir, il sortit une lettre, qu’il déplia:
— Connaissez-vous un certain Maxime Navarre?
Dumas rentra à pied. Traversant la cour du palais, il
ne remarqua pas un homme de haute taille qui sortit de
l’ombre et le fila jusqu’au square d’Orléans.
Sitôt rentré, Dumas fit appeler Guibert. Les deux
hommes prirent place à côté de Daumier, autour de la
grande table du salon.
— Maxime est la clef de tout.
Guibert et Daumier se regardèrent, éberlués.
— Cet enfant a une destinée peu commune. Je m’en
doutais. Maintenant j’en ai la certitude.
Dumas s’assit à son bureau, accablé.
— Les services secrets de Sa Majesté peuvent sans
peine, m’a-t-on dit, retrouver mon fils. De là à penser
qu’ils ont eux-mêmes organisé son enlèvement, il n’y a
qu’un pas qu’on m’a déconseillé de franchir. Je ne
reverrai mon fils qu’à une seule condition: que je leur
livre Maxime.
— C’est monstrueux!
— Ils attendent ma réponse.
Dumas se leva, se servit un verre de fine qu’il avala
d’un trait.
— Guibert, allez chercher le petit.
— Vous n’allez pas...
— Pour qui me prenez-vous ! hurla Dumas.
— Pardon, monsieur, c’est que j’ai eu peur…
— Nous allons le mettre à l’abri, le cacher.
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