The world is mine The story of a modern Monte Cristo
William Blake
690 pages Cassell - 1939 - États-Unis Roman
Intérêt: **
Très ambitieux, cet épais roman retrace la biographie d'un
personnage qui, sous l'influence de la lecture du Comte de Monte-Cristo,
a consacré sa vie à se venger. Il s'agit donc d'un «remake» du
roman de Dumas, avec de très intéressantes variations par
rapport au modèle.
Le livre, qui suit strictement la chronologie de la vie du héros,
commence en 1892 avec la naissance de celui-ci. Cristobal Pinzon voit le
jour en Espagne. Il appartient à une bonne famille. Son père,
Don Francisco, est un industriel prospère, grâce à ses
mines de cuivre. Et il est sur le point de s'enrichir considérablement:
son associé britannique et trois financiers de la City de Londres
lui proposent en effet une introduction en Bourse de son entreprise. Mais
les quatre hommes sont des escrocs: au terme de montages financiers
beaucoup trop sophistiqués pour le naïf Espagnol, ce dernier
se trouve dépouillé de tous ses biens et tombe dans la misère.
Au point que la soeur de Cristobal en meurt et que ce dernier doit mendier
dans les rues avec son père.
Si la famille retrouve dans les années suivantes une certaine aisance
grâce aux qualités professionnelles du père, elle demeure
marquée à jamais par cette chute. Et le jeune Cristobal est élevé avec
le sentiment de l'injustice dont tous ont été victimes. La
lecture du Comte de Monte-Cristo nourrit ses rêves de vengeance.
Adolescent, il se fait tatouer sous l'omoplate un dessin d'Edmond Dantès
vêtu de lambeaux, sur un rocher. Au dessus figure l'inscription «The
World is Mine» (Le monde m'appartient) et au dessous les mots «One
Two Three Four» (un deux trois quatre) en référence
aux quatre ennemis de son père. Le but de l'existence de Cristobal
sera donc la vengeance.
Etudiant à Barcelone, il plonge dans l'effervescence de la vie
intellectuelle du début du XXème siècle, avec la montée
des idéologies révolutionnaires. Peu attiré par les
doctrines socialistes ou communistes, il opte pour l'anarchisme pur et
dur. Un moment, le rêve d'une sorte de vengeance contre l'ensemble
de la société semble d'ailleurs devoir l'emporter sur celui
de la vengeance familiale. Mais Cristobal est de toutes façons d'un
tempérament réaliste: dans tous les cas, il estime
qu'il ne pourra arriver à ses fins qu'en disposant d'argent, d'énormément
d'argent.
A l'âge de 20 ans, il entre dans la banque grâce aux relations
de son père. Il en arrive vite à travailler pour la banque
des Jésuites, une excellente école... Extrêmement doué,
il apprend vite. Il maîtrise à merveille les techniques permettant
de lancer une opération spéculative et d'en garder pour lui
le bénéfice quand l'affaire est bonne, mais d'en attribuer
le résultat à la banque quand il est mauvais.
La 1ère guerre mondiale lui permet de faire les choses en grand.
D'une intrépidité à toute épreuve, il n'hésite
pas à prendre de colossales positions spéculatives sur les
matières premières par le jeu d'options. Dans les années
qui suivent, il joue sur les devises, sur la dette russe, sur l'or, etc... Son
intérêt aigu pour la chose politique et les évolutions
idéologiques l'aide d'ailleurs à mieux percevoir que les
spéculateurs ordinaires les grandes évolutions du monde,
et donc à miser juste.
Dans toutes ces opérations financières, il n'apparaît
jamais au premier plan, grâce à l'utilisation de cascades
de sociétés dissimulées dans des paradis fiscaux.
Profiteur de guerre à la puissance 1000, dénué du
moindre scrupule en affaires, il en arrive à se constituer une fortune
fabuleuse, dont personne ne soupçonne la véritable ampleur.
Sa colossale richesse est d'autant plus discrète qu'elle est purement
financière: Cristobal n'achète rien de tangible, et
vit à l'hôtel ou dans des appartements de location.
Quant il s'estime prêt, il passe à l'action contre les quatre
escrocs qui ont ruiné son père. S'inspirant directement de
Monte-Cristo, il met à jour leurs malversations et celles de leurs
enfants, exhume les honteux secrets de famille, monte des spéculations
qui les ruinent l'un après l'autre et les poussent à la mort...
Cette mission une fois accomplie, dans les années 1920, il se remémore
les engagements politiques de ses années étudiantes. Il a
beau être, selon ses calculs, l'homme le plus riche de la planète,
sa haine de la société n'a pas diminué. Décidé à ruiner
le système capitaliste, il lance à l'automne 1929 une spéculation à la
baisse sur les marchés d'actions: il déclenche ainsi
le krach de 1929... Mais même si la crise économique qui en
résulte est sévère, Cristobal constate que le système
ne s'est pas effondré.
Il se rallie alors aux thèses les plus violentes: anarchisme
total, avec campagne terroriste d'assassinats pour lancer la Grève
Générale, qui débouchera sur le Grand Soir.
Pour ce faire, il retourne dans le Barcelone de sa période étudiante,
au début des années 1930. Il finance les forces de gauche
dans la guerre civile espagnole. Encerclé dans la ville de Ronda
par l'armée, Cristobal est menacé de mort comme tous ses
camarades. Le milliardaire reprend alors le dessus sur le militant anarchiste.
Persuadé que sa fortune illimitée le met au dessus de tout,
il demande aux dirigeants républicains de Ronda de le laisser partir:
il corrompra les chefs de l'armée et achètera la liberté de
la ville. Mais ses propos sont accueillis comme ceux d'un traître.
Il est exécuté par ses propres amis, juste au moment où l'armée
franquiste s'empare de la ville.
L'histoire de Cristobal constitue, on le voit, une très intéressante
variation sur celle de Monte-Cristo. Le thème de la vengeance est
central, mais l'injustice subie n'est pas directement personnelle:
elle a frappé son père au moment de sa naissance. La colossale
fortune est bien là, mais Cristobal se l'est faite lui-même,
par son intelligence et son manque de scrupule, elle ne lui est pas tombée
du ciel. Pas d'abbé Faria pour lui, il s'est largement fait lui-même.
Enfin, les convictions anarchistes de Cristobal, sa haine de la société amplifient
des traits que l'on peut discerner chez Monte-Cristo.
Malheureusement, le livre est loin d'être un chef d'oeuvre. Extrêmement
long, il s'égare souvent dans des développements très
ennuyeux. L'implication de Cristobal dans les bouleversement de son époque
valent de longues considérations sur l'évolution des idéologies,
plutôt pesantes. La description détaillée des relations
de Cristobal avec les quelques femmes qui traversent son existence est
souvent superflue.
Les allusions au Comte de Monte-Cristo sont très nombreuses.
Par exemple, après la fin de sa vengeance contre les quatre hommes
d'affaires britanniques, Cristobal va rendre hommage à la statue
de Dumas, boulevard Malesherbes à Paris. Mais dépassant largement
ce cadre, avec ses ambitions historiques et idéologiques, le livre
s'égare souvent. Sans compter que la construction totalement chronologique
est plutôt rigide. Il est donc bien dommage que, plein d'idées
intéressantes, le livre ne soit pas plus agréable à lire.
Signalons enfin pour l'anecdote que la description détaillée
des mécanismes de fraudes boursières est d'une actualité saisissante:
qu'il s'agisse de l'utilisation de l'effet de levier des options, des jeux
entre comptes privés et comptes de la banque, ou des avantages des
paradis fiscaux, tous les éléments décrits dans le
roman sont apparus dans les journaux financiers lors des grands scandales
boursiers du début du XXIème siècle! La précision
de ces descriptions reflète le métier d'origine de William
Blake, qui
a travaillé dans la banque et le négoce de grains aux Etats-Unis et en
Europe. Blake s'est également passionné pour la vie politique et
les théories révolutionnaires, autant d'éléments que l'on retrouve dans
son roman.
Extrait du chapitre 26 One!
Thirty years after his father was despoiled! Like old Shylock, he would
have them on the hip. It was no longer possible to count up his money.
He had, like the Count of Monte Cristo, wealth beyond calculation. Let
his vengeance be equally unbounded. At last! He opened his shirt, laughed
at himself in the mirror -- THE WORLD IS MINE, the tattoo that was to justify
itself in every move of Edmond Dantès, his examplar, now to be surpassed.
The Spanish hidalgo smelt blood: he pawed like a bull in the arena. A
true objective in life! All the veneers stripped, culture, reason, art,
letters, love even. For a generation his father had urged him to light
up the family altars with the sacrifices of vengeance.
The whole of his youth passed before him, now in his thirtieth year. He
was of the Beni Pinzon, son of a tribe. Not for nothing had Andalusia been
the Pearl of the Arabs, people of breeds, men of swift horses, mad with
family descents and grudges. The terrible fonda at Seville, the
wormy food, the beggary in the streets, the choir at Seville, apprenticed
to superstition out of poverty, the dowdy home in Barcelona, all the mechanical
spars to revenge came up again, but this time, in relief. In one mad cry
his four putative victims bore the burden of all that happened to him in
boyhood and youth.
Their class had murdered Conchita, their janissaries slew Ferrer, their
minions destroyed Dupleix and Freimuller. It was their ilk that poisoned
young men, as Lanson had him. These powerful rascals sterilized Champvallons,
degraded Falloix. The system was still too strong to be attacked? Then
get four ignoble representatives, and the four he had reason to hate!
Deliberately sacrificed his kindly, feudal father (he forgot conveniently
that he too was a mean employer), his brilliant mother, shot out of a rainbow
into a dun-coloured pond of middle-class dullness; for everything that
had ever plagued or blunted or distorted his life, they were to answer.
As they did to Edmond Dantès. He re-read the boyhood romance which
he had conned under the lamplight, lying on his belly on the floor, in
the tenement at Seville. He read it the same way, his eyes glued on the
account of the clever revenges. One, Two, Three, how Danglars gnashed his
teeth, how the slick Villefort was whirled about like a monkey in a cage.
Always the same pattern in old Dumas, the three together, the one outside,
the everlasting opponent. The boy's romance took on life; he had the book
bound in copper, like an old monastic Bible. |