Le cheval de d’Artagnan
Claudia Gillet-Meyer
192 pages Editions d’Artagnan - 2013 - France Roman
Intérêt: **
Ecrire l’autobiographie d’un cheval, il fallait oser…
Même si le cheval en question sort forcément de
l’ordinaire puisqu’il s’agit du cheval de d’Artagnan.
Ce petit livre donne donc
la parole à Rabastas, cheval du plus célèbre des
mousquetaires, qui y raconte sa vie aux côtés de son
maître. Depuis leur Gascogne natale, où tous deux rêvent
de devenir mousquetaire et cheval de - , jusqu’à leur
découverte des dures réalités de la vie à Paris.
Viennent ensuite les batailles, les complots de la
Fronde, etc.
Détail important: le maître de Rabastas est le vrai
d’Artagnan, pas celui des Trois mousquetaires.
On ne voit donc dans ce roman ni Athos, Porthos et
Aramis, ni leurs chevaux. Mais la personnalité prêtée à
d’Artagnan évoque bien celui de Dumas.
Le récit donne le point de vue du cheval de façon
séduisante. On y découvre l’attachement profond qui unit
l’homme et sa monture, mais aussi la «vie sociale» des
chevaux, qui parlent entre eux et épousent le plus
souvent les intérêts et les amitiés de leurs maîtres
respectifs. On partage aussi les émois de Rabastas pour
une ravissante jument des écuries royales, qui se trouve
être agent secret et donc spécialiste des missions
dangereuses. Et l’on compatit enfin aux cas de
conscience du fidèle Rabastas quand les aléas de la vie
l’amènent à devoir choisir pour la première fois entre
son attachement sans borne à son maître et sa propre
existence.
On craint, au début du livre, que l’auteur ne parvienne
pas à tenir la longueur et que la formule s’use
rapidement. Mais ce n’est pas le cas. Ce petit livre
sans prétention se lit avec plaisir jusqu’au bout grâce
à une écriture vive et légère.
Extrait du chapitre 15 Mariage Royal
C’est alors que d’Artagnan a fait irruption,
visiblement très excité, et qu’il a sauté sur mon dos
sans me laisser le temps de comprendre ce qui
m’arrivait. Jelda m’a jeté un coup d’œil soucieux et les
autres m’ont regardé avec un air perplexe. Je n’arrivais
pas à obéir aux ordres de mon maître qui me demandait de
partir et de laisser ainsi mes amis. Que lui arrivait-il
donc? Pourquoi cette précipitation à cette heure tardive
alors que nous étions tous fatigués de la route?
— Allons, Rabastas! Viens, j’ai une surprise pour toi!
me dit d’Artagnan.
Et nous sommes partis au galop à travers bois, alors
que la nuit était déjà bien entamée. Très vite, en
montant sur les collines, j’ai compris. Nous nous
dirigions vers chez nous, à Lupiac. Mon cœur s’est alors
mis à battre à tout rompre. J’étais fou de joie!
En arrivant au château de Castelmore, une lumière était
allumée dans la cuisine, et cette simple lueur dans
1’obscurité m’a remué les tripes. D’Artagnan m’a conduit
à la porte des écuries et a couru vers sa maison. J’ai
avancé à tâtons, réveillant les chevaux que je ne
parvenais pas à distinguer dans le noir.
— Mordiou! c’est pas une heure pour rentrer! a dit une
voix. Qui es-tu, toi?
— Moi, je m’appelle Rabastas, et toi? ai-je répondu.
Un remue-ménage général m’a répondu.
— Rabastas? LE Rabastas? a dit une autre voix.
Mes yeux commençaient à s’habituer à l’obscurité et je
distinguais enfin toutes ces têtes tournées vers moi. Je
n’en reconnaissais aucune, sauf celle de Finette, la
jument que j’aimais quand j’étais un jeune poulain.
— Oh! Oui! c’est bien LE Rabastas! a-t-elle dit à cet
instant. Je le reconnaîtrais entre mille, même s’il a un
air de cheval de Cour!
— Finette! je suis si content de te voir! Et aussi
d’être là! en parlant, je me suis approché d’elle et je
lui ai frotté le museau comme nous le faisions dans le
temps.
— Mais que fais-tu ici, à une heure pareille?
m’a-t-elle rapidement demandé, pour cacher l’émotion qui
semblait la submerger.
— C’est une longue histoire, tu sais!
— Et alors? Tu ne peux pas nous la raconter? a dit une
autre voix de poulain, qui venait de se faufiler près de
Finette.
— Oh! Oui! Rabastas! Nous avons tellement entendu
parler de toi! Tu es une légende ici, le sais-tu? a
ajouté un cheval bai.
— Rabastas, «oreille basse», tu dois tout nous dire! a
henni enfin un de mes plus anciens compagnons, caché
dans un recoin.
— Branco! il n’y a plus que toi pour m’appeler ainsi!
Et sais-tu qu’à présent, cela me fait plaisir!
Et nous avons ri ensemble au souvenir d’Eugène, notre
palefrenier, que nous détestions autant l’un que
l’autre.
— Est-il toujours là? lui ai-je demandé.
— Hélas, oui! il est pire maintenant qu’il est vieux.
Encore plus râleur qu’avant.
— Allez, Rabastas! Raconte! Eugène, on s’en moque, on
le connaît par cœur. Mais toi! tu dois avoir tellement
d’histoires formidables à raconter. Comment devient-on
un cheval de mousquetaire? le jeune poulain s’était
installé juste en face de moi et me regardait avec des
yeux remplis d’envie. Les miens ont commencé à se
remplir de larmes, car je revoyais mon regard en reflet
dans le sien, qui contemplait alors le noble et fier
Marcus dans l’écurie du voisin, plusieurs années plus
tôt. J’y lisais la même fougue, le même enthousiasme et
cet irrésistible désir d’aventures.
Alors, j’ai décidé de rendre hommage au grand Marcus.
J’ai choisi un tas de foin dans un coin de l’écurie où
je me suis installé et j’ai commencé le récit de ma vie,
à partir du départ de Castelmore. J’ai parlé, parlé,
parlé toute la nuit. J’ai répondu aux questions, j’ai
fait rire, j’ai fait frémir. Tout au fond de moi, je
remerciais Marcus de m’avoir permis de vivre ce que je
contais et j’essayais à mon tour d’être digne de cette
vie de cheval de Mousquetaire, pour en transmettre la
flamme à ce poulain avide d’une grande destinée. Quand
l’aube s’est levée, je les ai quittés pour aller voir le
lever de soleil sur ma Gascogne. J’étais bouleversé par
tant de beauté et par cette nuit qui m’avait transporté
dans tous ces souvenirs.
— C’est toujours aussi beau, chez nous, n’est-ce pas!
Je savais que je te trouverais ici, a soudain murmuré
d’Artagnan à mes oreilles, en me grattant la tête. Tu es
content d’être revenu?
En réponse, je l’ai poussé du museau dans le massif
d’aubépines, comme je le faisais alors, et il est tombé
les quatre fers en l’air, tout mousquetaire qu’il était,
exactement comme avant.
— Rabastas! ce n’est pas sérieux! et il a éclaté de
rire, de ce rire que j’adorais. C’est ainsi que nous
avons terminé notre séjour à Castelmore. Lorsqu’il est
monté en selle, j’ai jeté un dernier coup d’œil à notre
maison, sachant que je ne la reverrais certainement plus
jamais, et j’ai aperçu la tête de ce poulain qui me
ressemblait tant, et qui me regardait partir avec des
étoiles dans les yeux.
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