Sommaire  Tous les livres BD Expositions Musique Objets des mythes
Votre pastiche
Recherche



Les temps assassins
Tome 1 Rouge vertical

Pierre Léauté

400 pages
Editions Le Peuple de Mü - 2016 - France
SF, Fantasy - Roman

Intérêt: *

 

 

Ce roman, premier tome de ce qui est annoncé comme une trilogie, se présente comme une autobiographie de Charlotte Backson, plus connue sous le nom de Milady. Le début du livre correspond dans les grandes lignes à ce qu’en dit Dumas dans Les trois mousquetaires : l’enfance de Charlotte, le couvent, la fuite en compagnie du prêtre, etc. Charlotte se décrit elle-même sans complaisance : elle revendique la responsabilité de la corruption du prêtre Georges. Elle s’accuse également de son premier meurtre, « involontaire » (contrairement aux nombreux autres) : Charlotte avait pris l’habitude de droguer la religieuse avec qui elle partageait sa cellule, de façon à pouvoir rejoindre Georges. Mais une dose trop forte se révéla fatale à cette dernière.

Le récit se poursuit avec l’arrivée dans les terres du comte de La Fère, la rencontre avec le futur Athos, etc. Divergence avec Dumas : Charlotte raconte avoir été marquée de la fleur de lys par le bourreau le jour même de son mariage. Comme dans Les trois mousquetaires, quand son mari découvre la fleur de lys sur son épaule, il la pend à un chêne de ses bois.

La jeune femme meurt effectivement… avant de se réveiller sous l’arbre, en parfaite santé et « sans la moindre marque de strangulation ». Sans comprendre ce qui lui arrive, elle s’enfuit, épouse le baron de Sheffield qu’elle assassine, se met à travailler pour Richelieu… Jusqu’à ce que les quatre mousquetaires s’emparent d’elle et la fassent décapiter comme chez Dumas.

Suite à cette deuxième mort, elle se réveille de nouveau, au jour et à l’endroit de son premier décès, c’est-à-dire sous le chêne où Athos l’avait pendue. Décidée à se venger de ce dernier, elle l’empoisonne et tout le village par la même occasion.

A partir de là, le récit devient totalement différent de celui de Dumas. Charlotte est contactée par des immortels. Il apparaît qu’elle fait partie de la race des « éternels » : des humains qui, quand ils sont tués, ressuscitent au lieu et au moment de leur première mort. Immortels donc (sauf qu’ils peuvent être tués définitivement par d’autres immortels) et amenés à revivre de multiples fois la période suivant leur premier décès. Avec donc une connaissance du futur et les modifications éventuelles de ce futur que cela peut entraîner.

Immortalité n’est évidemment pas synonyme de sagesse : il apparaît que les éternels se répartissent en deux groupes rivaux qui s’affrontent sauvagement. L’organisation principale est dirigée par neuf Anciens terribles et mystérieux qui dictent leur loi, disposent de réseaux d’espions et de tueurs, et d’une vaste bureaucratie d’immortels.

Ballotée entre les deux camps, Charlotte se lance dans une longue errance. Elle se rend en Espagne puis à La Rochelle, avant de connaître une phase d’hibernation. Elle se réveille pendant la Révolution et se voit chargée d’une tentative de faire bifurquer l’Histoire en aidant Louis XVI à réussir sa fuite vers l’Autriche. Pendant cette période, elle tombe folle amoureuse d’un simple mortel, officier de la Garde nationale. Elle se retrouve ensuite dans la base secrète de l’organisation principale des éternels, pour y recevoir sa formation. Une suite est annoncée.

 

Cette histoire compliquée d’affrontements entre immortels appartient à un genre fantastique auquel on peut être plus ou moins sensible. Le problème du point de vue de pastichesdumas c’est qu’à partir du moment où le roman diverge totalement de celui de Dumas, son héroïne cesse de ressembler à Milady. Alors que pendant tout le début du livre Charlotte Backson se présente elle-même comme une meurtrière impitoyable, totalement cynique et sans principe, elle change du tout au tout pendant ses aventures au sein des immortels. Elle apparaît alors quasiment comme une jeune fille innocente, horrifiée par la violence qui l’entoure, habitée par un amour fleur bleue pour son bel officier. Si le roman, dont l’écriture est par ailleurs souvent tarabiscotée, peut séduire les amateurs de ce type de fantastique, on peut tout de même se demander en quoi il était nécessaire de rattacher son héroïne à la Milady de Dumas.

Merci à Mihai-Bogdan Ciuca de m’avoir signalé ce livre.

 

Extrait du chapitre IV Ite missa est

Le bois du Doléant, 1622

Encore.

La douleur laissa place à l’effarement. Mes doigts parcoururent ma peau nue avec une fébrilité insensée. Mon cœur palpitait encore de la crainte de voir revenir de mes pires cauchemars les assassins d’Armentières. Un rêve ? Était-ce possible que ce ne soit que chimère ? Je portai la main sous le menton. Je frissonnai au souvenir de la lame qui m’avait tranché la gorge. La morsure de l’épée fut pourtant si réelle.

— Ah ça, Diable ou Dieu, que me voulez-vous ? m’écriai-je, confuse.

Sans n’y rien comprendre, je m’étais encore éveillée dans cette clairière, au pied d’un chêne, ce même arbre du haut duquel le comte de la Fère tenta de me pendre. Templemar, Georges, ma fuite vers Londres. . . Tout me revint en mémoire et les souvenirs affluèrent ainsi qu’un fleuve s’écoule à nouveau dans son lit. Les dents serrées, je me remémorai subitement les dernières avanies que m’avaient fait subir ces dix hommes et je me promis la plus douce des vengeances à leur égard. Cette pensée m’apporta une paix étrange. La perspective de contempler l’agonie de la Fère, de marcher dans le sang des hommes qui m’avaient condamné accrocha un sourire mauvais sur mon visage.

J’attendis la nuit pour agir. Subrepticement, je m’introduisis dans le village endormi de Vitray. Je ne croisai personne. Je savais la servante du nouveau prêtre sourde comme un pot et qu’elle n’entendrait pas le fracas de la vitre brisée. Je pénétrai à l’arrière de la cure, puis endossai quelques vieilles frusques abandonnées dans un placard. La maison baignait dans une atmosphère lunaire, à la fois calme et sinistre. Je dérobai un objet dans la cuisine avant de m’approcher de la fenêtre qui donnait sur le château.

— Dormez, mon ami. Dormez, murmurai-je. Je saurai vous faire payer vos outrages plus tôt que vous ne le pensez.

Le manche d’un couteau aiguisé roula dans la paume de ma main.

                                                        ***

Ma foi, s’il est bien un privilège que je n’aurais jamais cru me voir obtenir de mon vivant, c’est bien celui d’assister à mes funérailles. Certes, le cercueil était vide, le comte absent et le prêtre peu zélé à remplir son office. L’enterrement eut lieu quatre jours après ma « disparition ». Le visage caché par une lourde capuche, la tête inclinée afin d’éviter que l’on ne me reconnaisse, je fus témointe de mon propre éloge funèbre. Il fallut combattre l’envie de crier à la supercherie, de stupéfier son monde par quelque révélation fracassante. À quoi bon sinon jeter le trouble ? Olivier avait laissé traîner la rumeur d’une maladie si terrible que mon cadavre dut être brûlé de peur de l’épidémie. Il protégeait son nom, voilà tout, quitte à salir le mien en retour par ses mensonges. Révéler que j’étais en vie relancerait le courroux de mon époux. Et puis… Le comté fourmillait de rustres et de paysans qui auraient tôt fait de me taxer de sorcellerie. Ma résurrection s’achèverait immanquablement sur le bûcher ou dans une geôle. Perspective peu réjouissante.

Une semaine passa ainsi. Pardonnez-moi les vides de ce récit, mais les détails de ma survie ne vous passionneront guère. Disons pour couper court que je vécus recluse dans le grenier de la cure en compagnie des rats avec qui je partageais les fruits de mes rapines. Une fois seulement, un matin, je crus être découverte par la bonne. Je me blottis derrière trois gros sacs de farine de seigle, le cœur battant dans ma poitrine. Ma main était prête à frapper au sein l’intruse, mais mon couteau me fut inutile. Attirée par le bruit de mes pas sur le plancher, elle reporta ses soupçons sur les rats qui infestaient les combles.

La nuit, quand la lunaison fut propice, j’aurais pu m’éclipser hors de ma cachette, dissimulée sous une cape brune, marcher quarante minutes sur le chemin bordé d’arbres noirs, serpenter jusqu’au manoir imposant du comte. Je serais parvenue sans peine au castel, m’y glissant comme un fantôme. Minuit aurait sonné tandis que j’eus pénétré la chambre d’Olivier, le poing armé. En silence, je me serais ainsi coulée près de sa poitrine et, avant même qu’il ne puisse réagir, ma lame aurait transpercé son cœur de part en part à de si nombreuses reprises que les draps de sa couche se seraient teintés d’écarlate. Son regard implorant se serait alors tourné vers sa meurtrière, mais nul pardon ne lui aurait été accordé et c’est dans la stupeur la plus totale que le comte aurait rendu l’âme. Je ruminais tant ma riposte que mille fois j’hésitai à braver la nuit pour poignarder l’immonde en son château. Et mille fois j’abandonnai cette folie pour en mûrir une autre, plus exquise encore. Plus publique celle-là.

 


 

 Sommaire  Tous les livres BD Expositions Musique Objets des mythes
Votre pastiche
Recherche