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Le mousquetaire et les manants

Henri Heinemann

15 pages
La Rose Blanche - 1982 - France
Nouvelle

Intérêt: *

 

 

 

Le soldat d’Artagnan n’a pas œuvré seulement au sein de l’armée du roi de France, il a aussi investi… l’Armée du Salut ! Sous la forme d’une nouvelle qui occupe la place d’honneur dans le numéro de décembre 1982 de La Rose Blanche, revue féminine de cette auguste institution.

Bien évidemment, ce n’est pas à ses exploits à l’épée ou auprès des dames, tout aussi impressionnants les uns que les autres, que s’intéresse la très bien-pensante revue. Intitulée Le mousquetaire et les manants, la nouvelle est en fait un véritable « conte de Noël » dans la grande tradition de la presse des temps jadis.

La trame de ce court récit est simple. D’Artagnan, âgé d’une soixantaine d’années, parcourt les bois qui entourent le château de Versailles alors en plein développement. Quelques jours avant Noël, il tombe sur un couple de vieux paysans que l’on s’apprête à chasser de chez eux pour faire place aux jardins développés par Le Nôtre. Emu aux larmes par le désespoir de ces pauvres gens, il s’adresse successivement à Le Nôtre, puis à Colbert pour tenter de faire annuler leur expulsion. En vain bien évidemment.

Le capitaine des mousquetaires finit par en appeler directement au roi à la sortie de la messe de Noël. Louis XIV, ému par la demande de son vieux serviteur, surtout à l’occasion de « l’anniversaire de la naissance de ce Seigneur que vous avez prié tout à l’heure », acquiesce à sa demande. Les vieux paysans pourront garder leur maison et Le Nôtre « taillera autrement ses bosquets ». Un vrai miracle de Noël.

 

On ne sait pas ce qui est le plus invraisemblable dans ce récit : que d’Artagnan risque tout son crédit auprès du roi pour des « manants » rencontrés la veille ou que Louis XIV modifie les plans du parc de Versailles pour ne pas gêner ces deux vieillards… Cela n’empêche pas le récit d’être bien mené et bien écrit, et plaisant à lire. Bien ancré dans la tradition désuète des contes de Noël, cette nouvelle est sans prétention – et sans beaucoup d’intérêt.

Merci à Mihai-Bogdan Ciuca de m’avoir signalé ce livre.

Extrait

«Ite missa est...» Finie la messe. Le Roi, la Reine, les Princes quittèrent la tribune, salués par les courtisans. D'Artagnan, grâce au signal du Capitaine des gardes, se plaça sur le passage du Roi, juste à la sortie de la chapelle qui, par un couloir intérieur, conduisait à un escalier, et de là à la Salle des Comédies, où était dressée la table.

— Sire...

— Je sais, d'Artagnan, que vous voudriez parler à votre Roi. Sera-ce long?

— Quelques minutes, Sire.

— Est-ce donc si grave?

— Autant que pour les bergers accourus â l'Étable, remarqua d'Artagnan, énigmatique, quoique plutôt intimidé.

— Rejoignez-moi dans mon appartement. Vous m'entretiendrez tandis que le valet me passera d'autres vêtements.

Le Roi et la suite, et la foule des courtisans, s'éloignèrent. La rencontre eut donc lieu quelques minutes plus tard.

— Sire, permettriez-vous, en ce jour de Noël qui vient de commencer, qu'une méchante action s'accomplît en votre nom?

— Que voulez-vous dire, rétorqua le Roi, visiblement assombri?

D'Artagnan raconta l'histoire de ses deux vieux paysans, puis ajouta :

— Sire, je ne suis point homme à beaucoup fréquenter les églises...

— Ce en quoi vous avez bien tort!

— Je le sais. Mais je n'ignore pas que certains qui s'y rendent oublient en sortant ce qu'on leur a enseigné. Votre Majesté ne peut être informée de tout.

Le vieux mousquetaire s'agenouilla.

— Sire, pardonnez-moi de vous le rappeler, un soir - vous aviez neuf ans - je vous ai porté dans mes bras au Louvre, et par une porte dérobée vous ai emmené loin de la Fronde, en ce château de Saint-Germain que vous affectionnez!

— Oh! je n'ai pas oublié.

— Puis-je, au nom de ce souvenir, vous demander d'assurer le bonheur de deux de vos sujets qu'on chassera dans quelques heures, je le crains, malgré la neige, malgré l'anniversaire de la naissance de ce Seigneur si fragile que vous avez prié tout à l'heure.

— Bon! tant pis pour Le Nôtre, il taillera autrement ses bosquets.

 


 

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