Société Monte-Cristo
Guy-Patrick Sainderichin
288 pages Editions de l’Olivier - 2022 - France Roman
Intérêt: *
Une très bonne idée mal exploitée: c’est à quoi peut se
résumer le roman Société Monte-Cristo. La très
bonne idée est contenue dans un chapitre historique. On y
apprend qu’à la fin du roman de Dumas, le comte de
Monte-Cristo et Haydée sont allés s’installer non pas en
Orient comme il est suggéré, mais aux Etats-Unis. Vivant
dans la plus grande discrétion, le couple a investi et
développé ses affaires et sa fortune de manière fabuleuse.
Monte-Cristo et Haydée ont également eu quatre filles et
sept fils (voir extrait ci-dessous).
A
la tête d’une colossale fortune, Haydée, qui a vécu
nettement plus longtemps que son mari, a créé une très
riche fondation charitable, la Fondation Health &
Education, soit Fondation H&E, ce qui, pour les
initiés, peut se lire également Fondation Haydée et
Edmond… A sa mort, Haydée a laissé une somme considérable
soigneusement dissimulée pour servir à une sorte de
mission secrète: financer des vengeances
« justes » quand aucun autre moyen d’obtenir
justice n’aura pu être trouvé. Cette mission, et les fonds
qui vont avec, ont été transmis par le dernier petit-fils
d’Edmond et Haydée à une Française, Jeanne-France Courage,
elle-même à la tête d’une grosse fondation charitable, la
Fondation Courage. A charge pour elle de créer une
structure qui s’occupera, dans le plus grand secret
évidemment, d’identifier des responsables d’injustices qui
méritent vengeance et de mener à bien leur châtiment,
structure baptisée « Société Monte-Cristo ».
Ce sont donc les deux premières opérations de la Société
Monte-Cristo qui sont décrites dans le roman. Pour sa
première tentative, Jeanne-France Courage a pris la
défense de Charlotte, cousine germaine d’une de ses plus
proches collaboratrices. Le mari de Charlotte, Thierry
Limousin, un infâme personnage, a poussé méthodiquement
son épouse à la folie, avec l’aide d’un psychiatre peu
scrupuleux, pour pouvoir divorcer en conservant la garde
des enfants et en ne versant pas de pension alimentaire.
Se saisissant de l’affaire, la Société Monte-Cristo oblige
le psychiatre à guérir Charlotte (!), fait accuser
faussement son ex-mari d’agression sexuelle, lui fait
perdre son nouvel emploi, bref, le détruit complètement.
Jusqu’à ce que Charlotte, sortie de l’hôpital
psychiatrique, récupère ses enfants.
Dans la deuxième affaire, une autre collaboratrice de la
Fondation Courage fait connaissance d’un jeune homme à la
dérive depuis que Fredonnet, PDG d’un grand groupe pour
qui il travaillait, a détruit sa réputation
professionnelle. Une enquête montre que Fredonnet n’a
jamais pardonné au jeune homme de l’avoir tiré d’affaire
lors d’une séquestration par des ouvriers, pendante
laquelle le PDG avait été proprement ridiculisé. La
Société Monte-Cristo monte alors une machination pour
pousser Fredonnet à lancer une opération financière
désastreuse dans laquelle il perd sa réputation et se
trouve contraint à la démission.
En parallèle, on suit également une histoire sordide de
vengeance montée par un tueur devenu garde du corps de
Fredonnet contre un détective privé qui l’a humilié. Le
tueur finit pas massacrer le détective. Un aparté destiné,
on le suppose, à souligner le contraste entre une
vengeance brutale et moralement injustifiable et les
vengeances sophistiquées organisées par la Société
Monte-Cristo.
Le problème c’est que justement, les vengeances de la
Société ne sont guère convaincantes. On attendrait d’une
telle organisation secrète un fonctionnement méthodique,
une analyse objective et dépassionnée des dossiers, des
comportements implacables mais froids. Il n’en est rien,
bien au contraire. Premièrement, les
« victimes » que la Société Monte-Cristo choisit
d’aider sont des proches: la cousine d’une des
responsables de la Société, un jeune homme auquel
s’intéresse beaucoup une autre femme de la Société, qui en
est vaguement amoureuse. Les femmes (ce sont surtout des
femmes) qui dirigent la société secrète réagissent de
manière totalement affective et vindicative. Du genre:
« Thierry Limousin est une ordure, ce qu’il a fait
à ta cousine n’est rien à côté de ce qu’il va
prendre! »
Deuxièmement, non seulement la Société défend des victimes
qui lui sont proches mais en plus ses responsables
s’engagent directement et visiblement dans les actions de
vengeance. Par exemple, Jeanne-France Courage annonce au
psychiatre complice de Limousin qu’elle va le faire mettre
au ban de la profession médicale en menaçant les autres
médecins de les priver des subventions de sa Fondation:
« vous la guérirez ou bien je vous détruirai ».
Un comportement totalement contradictoire avec la nature
secrète de l’opération.
Les responsables de la Société Monte-Cristo donnent ainsi
l’impression d’être des amateurs, se laissant emporter par
leurs passions, d’une imprudence folle, tout le contraire
d’une organisation secrète s’inspirant de l’œuvre de
vengeance de Monte-Cristo. Ils en sont d’ailleurs
vaguement conscients: s’interrogeant sur le bien-fondé
moral de leur entreprise, ils affirment que les vengeances
qu’ils organisent sont acceptables car elles ne sont pas
actionnées par les victimes (tout en en faisant des
affaires personnelles). Ils estiment également « indispensable
d’impersonnaliser la vengeance pour la rapprocher du bel
idéal de justice de la Société Monte-Cristo »,
tout en faisant le contraire.
Tout cela peut s’expliquer en partie par le fait que les
vengeances décrites sont les deux premières organisées par
la Société. Mais on ne peut s’empêcher de penser que
celle-ci démarre bien mal ses opérations.
La roman n’en est pas pour autant dépourvu de qualités. Il
est dû à la plume de Guy-Patrick Sainderichin, homme de
théâtre et de cinéma, et scénariste. Bien écrit, avec des
personnages solidement campés, il se lit très
agréablement. Des dégagements amusants portent sur le
fonctionnement des grandes entreprises, les mœurs des
milieux d’affaires ou de l’audiovisuel. Et le roman est
truffé de références à des films ou des livres chers à
l’auteur. Dommage, donc, que en dépit de la qualité de
l’idée de départ l’intrigue ne soit pas plus convaincante.
Extrait
À la fin du compte rendu très fameux qu'il livra des
faramineuses aventures du marin Edmond Dantès devenu comte
de Monte-Cristo, l'historien Alexandre Dumas (le père de
l'auteur de La Dame aux camélias) le montre s'en
allant sur la mer. Le navire qui l'emporte avec la belle
Haydée est déjà si éloigné qu'on n'en distingue plus, à
l'horizon, qu'« une voile blanche grande comme l'aile d'un
goéland ».
Ce sont les propres termes de Dumas, qui termine ici son
récit, nous laissant en compagnie de comparses sans rien
dire de la destination du comte, de la taille ni du type
du bateau qui l'emporte.
Or l'histoire d'Edmond Dantès ne s'arrête pas là. De
nouvelles aventures l'attendent, d'une nature bien
différente.
Ce n'est pas vers l'Orient que ses voiles le portent,
comme on l'a cru à tort, et comme, peut-être, Dantès
lui-même a voulu le faire croire, mais vers la lointaine
Amérique.
Vers les jeunes États-Unis.
Dantès n'arrive pas en Amérique les poches vides. En dépit
de ses libéralités, de sa générosité, des dons
innombrables qu'il a dispensés à toutes sortes de gens, il
est toujours super-blindé. Doit-il pour autant mener
l'existence futile et mondaine du millionnaire oisif ? Ce
qu'on appelle la société, la bonne société, finances,
sports, loisirs et relations de cercles, ne l'intéresse
guère, il ne s'y est taillé jadis une place que pour y
servir ses desseins et poursuivre ses ennemis. À son
arrivée à Boston, on l'invite : Serez-vous des nôtres
mardi, comte ? Les habitants du Nouveau Monde sont
sensibles aux titres de noblesse de la vieille Europe.
Haydée et lui prennent la fuite. Ils bazardent nom et
titre bidons, renoncent même à s'appeler Dantès, un
patronyme que nombre de leurs nouveaux compatriotes
peinent à prononcer, à cause, notamment, de l'accent grave
qui fait espagnol.
Edmond et Haydée se fondent dans un anonymat protecteur.
La masse d'argent qui leur reste est employée à créer des
entreprises dans l'agriculture, l'industrie, le commerce,
les transports, la finance, les mines, le pétrole.
Plusieurs d'entre elles se développent de manière
fabuleuse. Edmond Dantès est né pour diriger, il exerce,
dit le biographe de la partie européenne de son existence,
un « prodigieux ascendant sur tout ce qui l'entoure ».
Sa réussite est colossale. Il est arrivé dans les années
1840. À sa mort, presque un demi-siècle plus tard, il
laisse une fortune mille fois plus considérable que celle
de ce comte de Monte-Cristo dont il a cessé de porter le
titre et le nom.
Les éminentes qualités d'entrepreneur de Dantès sont loin
de s'être transmises à ses descendants. Les quatre filles
et les sept fils d'Edmond et Haydée renoncèrent sagement à
l'action au profit de la pure gestion de patrimoine. À
l'issue de mouvements financiers d'une complexité et d'une
opacité impénétrables, la fortune Dantès prit la forme
d'un vaste entrelacs de participations diverses, actions,
titres de propriétés, biens fonciers, sociétés-écrans,
holdings et fonds variés à la destination nébuleuse.
Haydée avait commencé elle-même cette réorientation. Elle
avait perçu la première qu'aucun de leurs nombreux enfants
n'approchait l'énergie et les capacités d'Edmond. Elle
avait jugé plus prudent de les transformer en
actionnaires.
À l'étonnement général, ils se montrèrent dans ce rôle
adroits et perspicaces, ni ladres ni dissipateurs, et,
mieux, demeurèrent unis. Entre leurs mains, la fortune
Dantès, bien loin de s'évaporer en trois générations,
comme c'est le destin des fortunes héritées, continua de
se fortifier.
De cette fortune Haydée avait distrait un énorme trésor,
logé dans une société de portefeuille aux parts
incessibles. Ce sont les revenus de ce fonds, une fois
déduit ce qui en est réinvesti, qui financent aujourd'hui
la Fondation Health and Education.
De cette origine si romanesque de H&E, nul ne sait
rien. Les initiales pourtant le disent : H&E, Haydée
et Edmond.
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