Marceau ou les enfants de la République (Blanche de Beaulieu)
Auguste Anicet-Bourgeois Michel Masson
24 pages 1848 - France Pièce de thêatre
Intérêt: *
Cette pièce de théâtre a été représentée pour la
première fois au Théâtre de la Gaité à Paris en 1848.
L’un de ses deux co-auteurs, Auguste Anicet-Bourgeois,
était un homme de lettres très actif. Il avait notamment
collaboré avec Alexandre Dumas lui-même pour sa pièce Le
mari de la veuve (1832). Anicet-Bourgeois est
également l’un des trois auteurs de la comédie Porthos à la
recherche d’un équipement (1845).
Marceau ou les enfants de la
République porte à la scène la nouvelle Blanche
de Beaulieu publiée par Dumas en 1826 (dont une
seconde version parut en 1831 sous le titre La rose
rouge). La trame générale de la nouvelle est
respectée dans cette version théâtrale. Il s’agit d’une
histoire d’amour tragique pendant la Révolution. Blanche
de Beaulieu, jeune fille de l’aristocratie vendéenne, et
Marceau, général de l’armée républicaine en Vendée, sont
amoureux fous. Un amour impossible puisqu’ils
appartiennent aux deux camps ennemis dans la terrible
guerre civile qui ravage cette région de France. Quand
Blanche est arrêtée à Nantes, elle est condamnée à mort.
Marceau se rue à Paris pour demander sa grâce à
Robespierre et l’obtient. Mais le temps de revenir à
Nantes, Blanche a été guillotinée (dans la nouvelle - la
pièce de théâtre comporte une fin différente).
Au-delà du fil de cette intrigue, la pièce prend de
grandes libertés avec le déroulé du récit. Les deux
auteurs ont cherché visiblement à multiplier les scènes
à grand spectacle et les apparitions de personnages
historiques. Le premier acte est à cet égard un
festival. A l’occasion de la fête de la Fédération, le
14 juillet 1790, plusieurs personnages se retrouvent au
Champ de Mars: il s’agit notamment de l’acteur Talma, de
l’écrivain Chénier, des futurs généraux Marceau et
Kléber, de Bonaparte et de Robespierre, sans oublier
mademoiselle de Beaulieu, devenue Geneviève et non plus
Blanche. Tous sont encore inconnus ou au tout début de
leur carrière, et personne ne sait quel sort glorieux
(ou autre) les attend. Mais des relations amicales se
nouent entre ces futurs personnages illustres, qui
influeront sur l’action dans les années suivantes (voir
extrait ci-dessous).
L’histoire se déplace ensuite de quelques années: on y
suit le développement de l’amour entre Geneviève et
Marceau, les machinations du père de la jeune fille, qui
se bat pour la monarchie et veut faire tomber Marceau
dans un piège, l’arrestation de la demoiselle, son
mariage avec Marceau pour tenter d’empêcher son
exécution, la course du général à Paris auprès de
Robespierre et l’annonce de la mort de Geneviève… Mais
dans le dernier acte, en 1796, on apprend que la jeune
fille avait en fait échappé à l’exécution: elle retrouve
Marceau au moment de la mort de ce dernier. Il sera
inhumé au Panthéon.
Le début de la pièce est assez amusant avec cette
rencontre d’inconnus appelés à devenir célèbres. Mais la
suite devient vite pesante. L’intrigue est traitée comme
un pur mélo tandis que les proclamations patriotiques se
succèdent sans discontinuer. Les scènes spectaculaires
s’enchaînent: fête de la Fédération (« défilé
avec drapeaux et bannières », est-il
précisé), repas patriotiques, prison de Nantes, maison
de Robespierre, le Panthéon…
Marceau ou les enfants de la République présente
une originalité certaine: celle de reprendre une oeuvre
mineure mais non sans mérite de Dumas, Blanche de
Beaulieu. Mais le résultat n’est pas très
intéressant.
Détail amusant: la pièce a été
l’objet d’un plagiat éhonté: Marceau ou les enfants
de la République, poème lyrique en cinq
actes, poésie du docteur Gavioli, musique de A.
Spinazzi (1879). Cette version est intégralement
chantée. Nous ignorons la qualité de la musique mais on
peut se faire une idée de celle des vers avec l’exemple
suivant:
Je suis un soldat volontaire,
Au service de la nation;
Je vous le dirai, pour vous plaire,
Je suis de la Constitution
Quand nous serons à la guerre,
Nous aurons de la valeur;
L’on verra tomber à terre,
L’ennemi par la terreur.
Merci à François Rahier de m’avoir
signalé ces textes.
Extrait de l’Acte Premier, scène V
BONAPARTE, entrant vivement.
On l'a vu entrer ici... (Apercevant Talma.) Ah ! le
voilà !…
TALMA, allant à lui.
Mon jeune voisin !… Chénier, je te présente monsieur
Bonaparte.
BONAPARTE.
Chénier ! je vous admirais sans vous connaître,
permettez-moi maintenant de vous aimer.
MARCEAU, à Bonaparte.
Aujourd'hui mon lieutenant tout le monde se serre la
main.
BONAPARTE.
Et je suis sûr, en pressant la vôtre, que je tiens celle
d'un brave militaire.
MARCEAU.
François-Séverin Marceau, pour le quart d'heure sergent
au régiment de Savoie-Carignan, mais mieux que cela plus
tard, il faut l'espérer.
TALMA, à Bonaparte.
Ah ça, mon nouvel ami, vous n'êtes pas exact !… c'est à
dix heures il me semble, que vous m'aviez donné
rendez-vous près de l'autel de la patrie.
BONAPARTE.
Et je ne vous aurais pas manqué de parole sans une
rencontre que j’ai faite, rencontre qui m'a rendu bien
heureux. Le général Paoli, le héros de la Corse est à
Paris.
TOUS.
Paoli.
BONAPARTE.
Oui, je l'ai vu, je l'ai embrassé, ce grand homme. Avec
lui je me suis transporté par la pensée dans nos
montagnes où il a soutenu tant de luttes glorieuses
contre nos oppresseurs. Vous me pardonnerez bien d'y
être resté quelques moments et de vous avoir oublié près
du vieux libérateur de mon pays, qui vient saluer à son
berceau la jeune liberté de la France.
TALMA.
Je te le disais bien, Chénier, mon voisin est un
véritable patriote.
MARCEAU.
Et qui de nous ne le serait pas ?
CHÉNIER.
En effet, nous sommes à peu près tous au début de notre
carrière.
BONAPARTE.
Plus ou moins pauvres.
TALMA.
Presque ignorés.
BONAPARTE.
Nous aspirons tous à la gloire. (A Pascal.) Vous aussi,
n'est-ce pas, monsieur l’abbé ?... la patrie a besoin de
tant d'exemples de vertu !
PASCAL.
Et la religion a tant de bien à faire !
MARCEAU.
Hier, tous les chemins nous étaient fermés.
BONAPARTE.
Aujourd'hui toutes les routes nous sont ouvertes.
CHÉNIER.
La pensée n'a plus d'entraves.
PASCAL.
L'amour du bien public, plus de limites.
BONAPARTE.
Oh ! l'avenir est à nous !
PASCAL.
Et quel avenir avec un tel peuple !
MARCEAU.
Avec une telle armée !
CHÉNIER.
Ce peuple, quel bonheur de l'émouvoir !
BONAPARTE.
Oh ! l'armée ! quelle gloire de la commander !
MARCEAU.
Il faut qu'on dise un jour le colonel Marceau.
BONAPARTE.
Le général Bonaparte !
CHÉNIER. Le grand Chénier !
TALMA. Le célèbre Talma !
MARCEAU, à Pascal.
Mais vous, qui ne dites rien, comment voulez-vous qu'on
vous nomme ?
PASCAL, allant à Marceau.
Votre ami, l'abbé Pascal.
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