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Le masque de fer
Comédie en trois actes

Marie Anne Mozzoni

74 pages
Joseph Chiusi, imprimeur-libraire - 1855 - Italie
Pièce de thêatre

Intérêt: *

 



Cette pièce - une adaptation théâtrale de l’intrigue de l’homme au masque de fer du roman Le vicomte de Bragelonne - est une curiosité à plusieurs égards: elle a été écrite en français par une adolescente italienne et a été publiée plusieurs années avant que Dumas ne fasse jouer sa propre version théâtrale du Vicomte de Bragelonne, Le prisonnier de la Bastille (1861).

L’auteure de cette pièce est l’Italienne Anna Maria Mozzoni. Née en 1837 à Milan, celle-ci avait donc 18 ans lors de la publication de son oeuvre chez un libraire de cette même ville. Son nom y apparaît francisé en Marie Anne Mozzoni, pour la bonne raison que la pièce est écrite directement en français. On ne sait pas pourquoi cette toute jeune femme, qui deviendra plus tard une militante de premier plan du mouvement féministe italien de la fin du XIXème siècle, a choisi d’écrire dans la langue de Dumas: peut-être pour rendre doublement hommage à ce dernier?

Ce choix est d’autant plus curieux que Marie Anne Mozzoni n’écrit pas couramment le français, pas comme si elle avait eu une éducation bilingue en tout cas. Sa maîtrise de la langue est évidemment remarquable, et elle réussit à tenir la distance sur une pièce entière, mais de nombreuses fautes demeurent. Par exemple « tous les tentatifs que je fais à présent », « Le Roi avait compris qu'il était bien pauvre au confront de son Ministre » ou encore « Nous avons juré tous les trois sans savoir à quoi dois aboutir cette conjure ». La jeune auteure commet également des erreurs surprenantes comme en orthographiant « Lorrène » le nom du chevalier de Lorraine, favori du duc d’Orléans, frère de Louis XIV.

Ces scories ne retirent rien à la performance que constitue l’écriture d’une pièce de théâtre dans une langue étrangère à l’âge de 18 ans. Marie Anne Mozzoni pouvait également se vanter que sa pièce, dont on ne sait pas si elle a été représentée, est parue plusieurs années avant que Dumas ne parvienne à mener à bien son propre projet d’adaptation théâtrale du dernier volume de la trilogie des Mousquetaires. Prévue dès 1851, la représentation du Prisonnier de la Bastille n’a en effet finalement eu lieu que dix ans plus tard.

Ces diverses singularités ne font pas pour autant de la pièce un chef d’oeuvre. Marie Anne Mozzoni y transpose à la scène le seul épisode du masque de fer. La pièce se déroule donc en deux lieux: Vaux, le château de Fouquet où il reçoit Louis XIV, et la Bastille où son frère jumeau est enfermé. Dès les premières pages, Fouquet est présenté comme totalement conscient du fait qu’il est condamné. Recevant le roi, il n’a d’autre choix que de déployer la plus grande magnificence possible mais cette magnificence même ne lui sera jamais pardonnée par Louis XIV. Une bizarrerie: Fouquet est présenté dans la pièce comme étant le neveu et l’héritier de Mazarin!

Le premier acte campe pour l’essentiel Fouquet et ses inquiétudes, Louis XIV et sa jalousie, ainsi que plusieurs conjurés recrutés par Aramis, devenu évêque de Vannes. Au deuxième acte, ceux-ci s’emparent du roi et le conduisent à la Bastille où il prend la place d’un mystérieux prisonnier, son frère jumeau bien sûr, qu’Aramis a fait sortir. Fouquet arrive et fait délivrer le roi. Au troisième et dernier acte, Philippe, le frère jumeau, se fait passer pour Louis XIV à Vaux. Il annonce qu’il veut désormais se consacrer au bien-être du peuple, au développement des arts, etc. Il nomme également Aramis archevêque de Paris. Mais Louis XIV arrive, conduit par Fouquet, fait arrêter Philippe et reprend son trône. Louis XIV proclame toute la reconnaissance qu’il doit à Fouquet et en fait son favori.

La structure de la pièce n’est pas très convaincante. En particulier le fait que l’on voit Louis XIV délivré de la Bastille avant même que son frère n’ait pris sa place: autant dire qu’il n’y a aucun suspense (à supposer qu’il y ait eu à l’époque des spectateurs ne connaissant pas déjà l’histoire!) sur le fait que la conjuration d’Aramis réussira ou pas. Il est également assez curieux que ce dernier n’apparaisse jamais sur scène: on ne voit du côté de la conjuration qu’il a imaginée que trois sous-fifres, et si le nom d’Aramis - ou plutôt son vrai nom d'Herblay - est mentionné à de multiples reprises, on ne le voit jamais en chair et en os. D’Artagnan est bien là, en revanche, mais dans un rôle subalterne, se contentant de prendre et de répercuter les ordres du roi.

Dernière remarque: la pièce est présentée comme une comédie. Mais on n’y trouve en fait que bien peu d’éléments comiques. Le principal tient à la personnalité du duc d’Orléans, le frère du roi, présenté comme vain, coquet, vaniteux, ne se souciant de rien d’autre que de ses toilettes. Quand le frère jumeau de son aîné apparaît et que tout le monde s’affole au sujet de ce frère, le duc n’y comprend absolument rien et croit être le frère au coeur de toute cette agitation. Pas de quoi, malgré tout, faire de la pièce une comédie!

Merci à Mihai-Bogdan Ciuca pour avoir trouvé cette rareté et effectué
des recherches sur son origine.

Extrait de l’acte II, scène XIII

Fouquet. Sire je suis trahi; je n'ai jamais écrit à la Reine; la lettre est faussée et Colbert… (il est interrompu par)

Louis. Point de Colbert ici, c'est Louis qui parle; c’est Louis qui vous dit qu'il aime mieux être prisonnier à la Bastille, ou martyr sur l'échafaud, qu'un Roi joué par ses ministres, maitrisé par ses sujets. Mazzarino est mort et sous Louis XIV aucun autre jouera son rôle, je vous assure. Et celui qui l'a joué jusqu'ici, il a ouvert la voie au trône dés à présent, le roi est prisonnier qu'il y monte; mais Louis XIV ne sera pas un Roi de scène.

Fouquet. Sire, c'est trop - Pas une vérité dans tout ce qu'on vous a dit, vous êtes trahi comme moi, mes ennemis sont trop. Il y contre moi trop de haine et de jalousie, et mon Roi... (il lève la tête avec noblesse).

Louis. A trop de hardiesse peut-être vous vouliez dire, plus qu'il ne convient d'en avoir à un prisonnier devant son arbitre (avec ironie).

Fouquet. Ah Sire! quel plaisir barbare et indigne d'un Roi d'insulter à un être qui est déjà anéanti (il croise les bras sur la poitrine et prend l'expression de la douleur la plus amère).

Louis. Eh bien finissons ces discours inutiles. Pourquoi êtes-vous venu ici?

Fouquet. Sire, je l'ai dit pour vous remettre à votre place.

Louis. Vous voulez donc que je règne encore ?

Fouquet. Dieu, Ia France, Vous, moi, tout le monde le veut.

Louis. Quel fût donc le but de cette conspiration?

Fouquet. Vous le demandez à moi, Sire?

Louis. Oui, vous devez le savoir.

Fouquet. Si j'en fus l' auteur, je ne serai pas ici vous prier d’agréer de la main de votre serviteur la vie, la liberté et le trône.

Louis. La raison est bonne, mais elle n'est qu'une seule tandis que les preuves du contraire sont innombrables... Une seule pourrait vous justifier…

Fouquet. Laquelle, Sire?…

Louis. Les noms des coupables… vous les saurez.

Fouquet. Oui je les sais.

Louis (avec une malicieuse surprise). Ah ! vous les savez ? vous n'êtes donc pas étranger à cette affaire, comme vous vouliez me faire croire!

Fouquet (avec indignation). Donc la connaissance de ces noms, au lieu de me justifier comme votre majesté promettait me compromet davantage ?

Louis (prenant violemment le bras de Fouquet). Modérez votre langue, Monseigneur…  Manifestez ces noms.

Fouquet (noblement). Impossible, Majesté.

Louis. Pourquoi donc, Monseigneur, s’il vous plaît? (irrité).

Fouquet. Sire, les prières, les ordres, les menaces tout est inutile. (Non, d’Herblay, je ne trahirai pas ta confiance).

Louis. Pourquoi, dis-je, pourquoi? Une raison au moins pour justifier votre obstination (très irrité).

Fouquet. La raison, Sire, est que le serment est inviolable pour votre Ministre.

Louis. Vous connaissez donc les coupables?

Fouquet (tranquillement). Oui, Sire.

Louis. Et vous ne voulez pas les manifester ?

Fouquet. Impossible.

Louis (se promène furieux, s’arrêtant de temps en temps, enfin il se met devant Fouquet, le fixant d'un oeil enflammé). Impossible, impossible, im... poss... ible… Savez-vous, Monsieur, que ce mot ne dois jamais être prononcé devant Louis XIV?

Fouquet. Pardon, Sire, mais pas un autre pourrait être mieux à sa place (s’inclinant).

Louis. (Ah la rage me monte à la tête je ne vois plus) (à part, il se promène).

Fouquet. (Ce mot produit toujours un grand effet sur les Rois. Ils n'ont pas un ami qui accoutume leurs oreilles à l'entendre).

Louis. Vous me tirez donc d’ici.

Fouquet. Je vous prie de sortir, Majesté.

Louis. Vous me conduisez à la Cour?

Fouquet. Oui Sire.

Louis. Je vous avertis, Monseigneur, que ma restauration sera peut-être votre ruine, pendant qu'un nouveau Roi pourrait vous aimer et accroitre votre fortune.

Fouquet. Je prévois tout, Sire, et peut-être plus que vous ne prévoyez vous même.

Louis. C’est-à-dire?

Fouquet. Que cette chambre que vous laissez, pardonnez Sire, par mon oeuvre, tôt ou tard me recevra par votre ordre (Je connais les Rois) (à part).

Louis. Vous le pensez et néanmoins vous me délivrez?

Fouquet. Oui Sire, je fais mon devoir, le Roi fera le sien.

Louis (lui tend la main, Fouquet la baise). Vous êtes noble et généreux, Fouquet, je suis fier d'un tel ennemi.


 

 

 

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