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Le comte de Monte-Christo
Drame en 5 actes et 11 tableaux précédé d’un Prologue

Louis Placide Canonge

54 pages
Revue Louisianaise - 1846 - États-Unis
Pièce de thêatre

Intérêt: **

 


Cette version théâtrale du Comte de Monte-Cristo est singulière à plusieurs titres: la date où elle a été écrite, l’origine de son auteur et enfin l’originalité de son contenu.

La première particularité de ce Comte de Monte-Christo, outre la présence d’un H dans le titre, tient à sa date de publication. La pièce est parue en deux parties dans les numéros 7 et 8 en dates du 17 et du 24 mai 1846 de la Revue Louisianaise. Or, la parution du dernier chapitre du roman de Dumas  était intervenue le 15 janvier 1846. Autrement dit, l’auteur Louis Placide Canonge n’a mis que quatre mois à faire sortir et jouer une version scénique du roman. Une rapidité extraordinaire! Dumas lui-même avait mis en chantier très vite, avec son collaborateur Auguste Maquet, une adaptation théâtrale. Mais celle-ci ne sortit qu’en 1848 pour les deux premières parties, Dumas ayant opté pour une adaptation du très long roman en quatre pièces successives. Il est vrai que Canonge a pu aller nettement plus vite, ayant écrit une version théâtrale beaucoup plus courte. Mais tout de même, sa rapidité est impressionnante et fait de lui, bien évidemment, le premier auteur à avoir tiré une pièce de Monte-Cristo (il y en aura beaucoup d’autres par la suite).

La création de cette pièce est en tout cas présentée comme un événement à la Nouvelle-Orléans. Deux semaines avant la publication de la première moitié de la pièce, programmée pour le jour de la première représentation, la Revue Louisianaise appâte le lecteur avec l’annonce suivante:

« CHRONIQUE THEATRALE.
Le roman du ‘Comte de Monte-Christo’, vient d'être arrangé pour la scène par un jeune auteur de la Nouvelle-Orléans, connu par de nombreuses productions, remarquables par des situations dramatiques et empreintes de poésie. Le drame nouveau n'est pas un plagiat. Sur cette donnée déjà si belle, l'auteur a su créer des situations nouvelles qui ajoutent à l'intérêt de l'œuvre primitive. L'arrangement est bien conçu et bien exécuté. Cette œuvre remarquable sera représentée au Théâtre d'Orléans le 17 de mai par des amateurs. Nous apprenons que déjà un grand nombre de loges ont été retenues pour cette représentation »

Dans son numéro du 17 mai, en accompagnement du texte, elle rappelle: « Ce soir aura lieu la première représentation du drame de Monte-Christo, dont nous donnons les premiers actes dans notre numéro d'aujourd'hui. Il y aura foule pour applaudir à cette oeuvre remarquable d'un auteur Louisianais; nous savons qu'un grand nombre de places ont été retenues à l'avance. Les personnes qui désirent se rendre à la représentation doivent s'y prendre de bonne heure ». Malheureusement, le journal ne précise pas dans ses numéros suivants quel accueil a été réservé à l’oeuvre.

Deuxième singularité: l’origine géographique de l’oeuvre. Louis Placide Canonge (1822-1893) est un Américain de la Nouvelle-Orléans, francophone. Canonge fera une carrière de journaliste, d'auteur dramatique, de directeur d’une troupe d’opéra de la Nouvelle-Orléans et même d’élu à la Chambre des Représentants de l’Etat de Louisiane. Qu’un auteur de Louisiane ait pu produire une telle oeuvre montre à quel point l’actualité littéraire française était suivie de près dans l’ex-colonie (voir encadré ci-dessous). Il faut noter qu’un autre auteur de Louisiane a écrit trente ans plus tard une oeuvre inspirée de Monte-Cristo: Charles Testut en 1876 avec Les filles de Monte-Cristo.

La dernière originalité de la pièce est plus discutable: elle tient aux nombreuses et profondes modifications apportées à l’intrigue. S’il conserve les principaux personnages et les lignes directrices du récit, Canonge fait preuve en effet d’une créativité sans limites. Voici quelques exemples « des situations nouvelles qui ajoutent à l'intérêt de l'œuvre primitive », comme le dit la Revue… L’abbé Faria et Edmond ne se voient qu’une fois en tout et pour tout, le temps que l’abbé donne à son compagnon de captivité le secret du trésor et meure. Le temps aussi de lui expliquer qu’il a un fils caché, qu’il a abandonné à Marseille. Il fait jurer à Edmond de le retrouver et de partager avec lui le trésor de Monte-Cristo. Plus tard, pendant le déroulement de sa vengeance, Monte-Cristo tue Fernand Mondego/comte de Morcerf et réalise que, bon sang mais c’est bien sûr: Fernand n’était autre que le fils secret de l’abbé Faria. Monte-Cristo a donc tué le fils de son bienfaiteur, fils qui était à l'origine de tous ses malheurs!

Autres « améliorations »: Fernand revendique publiquement son acte de dénonciation dès le repas de fiançailles d’Edmond et Mercédès. Mercédès meurt pendant la captivité de Dantès (ce qui fait disparaître le personnage d’Albert, fils de celle-ci et de Fernand). Monte-Cristo tombe amoureux fou (mais sans le dire à personne) de… Valentine de Villefort. A la fin de la pièce, le comte organise le mariage de Maximilien Morrel et de Valentine réveillée de son long sommeil, tous deux amoureux l’un de l’autre comme dans le roman: il se suicide aussitôt en avouant à Valentine qu’il l’aimait! (voir extrait ci-dessous).

Un gag inénarrable à propos de ce mariage: on voit plus tôt dans la pièce Danglars être poussé à la ruine, comme chez Dumas. Mais le banquier ne se retrouve pas prisonnier des bandits romains. Simplement, il perd sa fortune dont il ne lui reste, apprend-t-on, que « de quoi acheter une méchante charge de notaire ».  Une précision qui surprend un peu sur le moment mais qui trouve sa justification tout à la fin de la pièce. Quand Monte-Cristo organise le mariage de Maximilien et Valentine, on voit arriver Danglars tout souriant, en tant que notaire chargé d’établir le contrat de mariage! A noter une autre innovation apportée par Canonge à propos de Danglars: quand il a fait fortune dans la banque, il s’est offert une particule et se fait appeler d’Anglars. C’est probablement la meilleure des idées apportées par l’auteur louisianais… On peut citer également, parmi d’autres morceaux de bravoure, une jolie scène où Villefort et son épouse comparent leurs crimes respectifs sur le thème « je suis plus criminel que toi! Non, c’est moi! ».

Pour le reste, la pièce n’est pas mal écrite. Il y a malgré tout beaucoup de très longues tirades où les personnages expliquent les détails des diverses intrigues, tirades qu’il ne devait pas être facile de faire passer (surtout si, comme l’indique la Revue Louisianaise, la pièce était jouée par des amateurs).

Notons au final qu’il fallait un sacré culot à Louis Placide Canonge pour concocter une version aussi surréaliste de Monte-Cristo immédiatement après la parution du roman, à un moment, donc, où une grande partie de son public venait très certainement de le lire et le connaissait parfaitement!

Note: les deux étoiles attribuées à cette oeuvre ne portent pas sur ses qualités littéraires, à peu près nulles, mais sur son intérêt dans l’histoire des adaptations théâtrales de Monte-Cristo.
Merci à Robert Plunkett pour cette extraordinaire trouvaille!

La Revue Louisianaise et Alexandre Dumas

Créée le 5 avril 1846, la Revue Louisianaise était « Publiée par la Société littéraire et typographique de la Nouvelle-Orléans ». Propriétaire « d’un immense matériel d’imprimerie et ne devant pas un cent », cette société reposait sur des bases « puisées dans les socialistes modernes qui se sont occupés de l’organisation du travail. C’est la mise en pratique du système de Fourrier », est-il précisé dans le deuxième numéro afin de rassurer les lecteurs qui hésiteraient à s’abonner, craignant une disparition rapide de la publication.

Chaque numéro de la Revue  comprend un ou deux longs textes littéraires, suivis de diverses anecdotes et de quelques articles sur l’actualité politique ou internationale. La Revue s’intéresse à l’actualité américaine, bien sûr, mais au moins autant aux nouvelles venues de France. Les journaux français arrivés par le dernier bateau fournissent ainsi beaucoup de contenu au journal de la Nouvelle-Orléans. Durant la saison, la Chronique théâtrale est également une rubrique fournie.

Il est frappant de constater qu’Alexandre Dumas apparaît constamment dans les pages de la Revue louisianaise, qu’il s’agisse de potins mondains, d’anecdotes littéraires, de publication de textes de lui ou de spectacles tirés de ses romans. Dans le n°1 figure un court article sur la projet de Dumas d’ouverture d’une nouveau théâtre à Paris dont la première pièce sera sa version théâtrale du Comte de Monte-Cristo (annonce assez cocasse quand on sait que c’est en fait à la Nouvelle-Orléans que sera jouée, quelques semaines plus tard, la première adaptation scénique du roman!). Il est par ailleurs mentionné que le décorateur du Théâtre d’Orléans, le théâtre de la ville, prépare les décors de la prochaine représentation des Trois mousquetaires. Le n°2 annonce la représentation la semaine suivante de cette pièce qui a eu « un succès fabuleux à Paris ».

Dans le n°3 on trouve un très long compte-rendu de cette pièce (quatre pages et demi imprimées tout petit!). Il s’agit de la pièce Les mousquetaires écrite par Alexandre Dumas et Auguste Maquet en 1945, qui adapte Vingt ans après. S’enthousiasmant pour l’oeuvre, la Revue précise qu’un artiste de la Nouvelle-Orléans a reproduit « la scène la plus émouvante du drame », planche disponible « au prix modique de 50 cents ».

Dans le n°5, un petit article ironique compare les techniques de Dumas et d’Eugène Sue pour allonger leurs feuilletons à coups de répliques comprenant un ou deux mots ou en multipliant les points de suspension… Dans le n°6 figure le texte le plus surprenant: « Départ des quatre mousquetaires pour le camp du général Taylor ». La Revue se préoccupait beaucoup de la guerre qui opposait alors les Etats-Unis et le Mexique et plus précisément de la situation difficile dans laquelle se trouvaient le général américain Taylor et ses hommes face à l’armée mexicaine. L’auteur anonyme de la Revue Louisianaise imagine donc que les quatre héros, sans occupation depuis la fin des représentations des Mousquetaires, partent prêter main-forte à Taylor et à sa « cause généreuse ». Comme le dit Aramis, après tout « les belles Mexicaines aux yeux noirs, aux formes arrondies, valent bien les duchesses blondes et étiolées ».

Après la publication du Comte de Monte-Christo de Canonge dans les n°7 et 8, Dumas demeure très présent dans la Revue. Le n°10 comporte une « Causerie parisienne » assez drôle. Il s’agit d’une fantaisie qui imagine l’application du « télégraphe électrique » à la littérature. « Un fil conducteur, ou plutôt plusieurs fils conducteurs partiront du domicile de M. Alexandre Dumas et se dirigeront vers la Presse, le Siècle et le Commerce. Il y aura des embranchements sur la Chronique, la Démocratie pacifique, et une foule d’autres journaux; de cette façon, M. Alexandre Dumas pourra dicter sept ou huit romans à la fois. Ces romans auront en outre l’avantage de s’imprimer au fur et à mesure. Cela s’appellera faire du feuilleton électrique. »

La Revue passe ensuite à la publication de textes de Dumas lui-même. Le n°15 voit le début de la parution de Le colonel Santa-Croce (extrait de Le Speronare, récit de voyage publié en 1842), parution qui s’achève dans le n°16. Ce même n°16 comprend deux textes de Dumas, puisqu’y paraît aussi le premier volet de Michel-Ange, dont la publication courra jusqu’au n°18. Dans le n°25, on peut relever une description enthousiaste du château que Dumas est en train de se faire construire près de Saint-Germain-en-Laye et qui sera « royal ».

Au bout du compte, l’impression qui se dégage de ces six premiers mois de parution de la Revue louisianaise est celle d’une fascination pour Dumas, qu’il s’agisse des anecdotes sur sa vie et sa manière d’écrire, de ses propres textes ou de ceux écrits par d’autres à partir de ses oeuvres. Précisions que le seul autre écrivain cité à plusieurs reprises par la Revue est Eugène Sue, souvent en comparaison avec Dumas. Les autres écrivains français, comme Balzac, ne sont cités que de manière fugitive.


Extrait de l’Acte 5, scène III (dernière scène)

LE COMTE.- C'est vous, M. D'Anglars, je vous attendais avec impatience.

MAXIMILIEN.- D'Anglars! quoi, vous aussi, le malheur vous a frappé.

D’ANGLARS.- Vous vous étonnez, n'est-ce pas, Morrel, en me revoyant? que voulez-vous, c'était ma destinée, un seul jour m'a tout enlevé.

LE COMTE.- Avez-vous dressé le contrat de mariage ?

D’ANGLARS.- Tout est en règle.

MORREL.- Un contrat de mariage, et pour qui ?

LE COMTE.- Vous allez le savoir. Ecrivez M. le notaire, que l'époux contractant déclare se nommer Henri Maximilien de Morrel.

MORREL.- Moi!

D’ANGLARS.- Lui!

LE COMTE.- Quand au nom de la fiancée, elle se chargera de vous le dire elle-même.

MORREL.- Valentine !

VALENTINE.- Maximilien!

D’ANGLARS.- MIle. de Villefort?

MORREL.- Elle vivante ! mais je t'ai vue pâle et glacée sur ta couche funèbre, mais je t'ai appelée, et tu ne m'as pas répondu, mais j'ai entendu la terre retomber sur ton cercueil.

VALENTINE.- Tout cela n'était que mensonge [montrant le comte] et voilà mon sauveur.

MORREL.- Mon ami!

LE COMTE.- Et maintenant, vous vivrez n'est-ce pas ?

MORREL.- Oui, pour vous aimer et vous bénir. Mais qu'est-ce donc? vous voilà pâle et défait ?

LE COMTE.- Rien... Un éblouissement passager. Signez. [A part]. J'ai rempli mon devoir.

MORREL.- A vous, mon ami.

D’ANGLARS.- Qu’ai-je vu ? Edmond Dantès.

MORREL.- Ce nom ?

LE COMTE.- C'est le mien! c'est celui d'un homme qui devait tout à votre père, n'est-ce pas M. le notaire ?

D’ANGLARS [à part].- Fernand avait raison ! c'était lui ! Je comprends tout maintenant.

LE COMTE.- Et ajoutez... votre main tremble, baron D'Anglars, ajoutez qu'Edmond Dantès laisse au nouvel époux toute la fortune du comte de Monte-Christo.

MORREL.- Comment ! vous dépouiller ainsi ! je n'accepterai jamais.

LE COMTE.- Voulez-vous donc que je l'emporte dans ma tombe ?

MORREL.- Que dites vous ?

LE COMTE.- J'ai pris votre place, je vais mourir.

MORREL.- Mourir.

VALENTINE.- Ne parlez pas ainsi... Vous chancelez, laissez moi demander quelques secours.

LE COMTE.- Ne cherchez pas à me sauver. Il serait trop tard! le poison qui circule dans mes veines ne pardonne jamais. Maximilien, j'ai trop vécu, j'ai un remords dans le cœur, j'ai besoin de me reposer en Dieu.

MORREL.- Oh! mon ami, qu'avez-vous fait ?

VALENTINE.- Vivez, vivez pour nous.

LE COMTE.- Ne parlez pas ainsi, si vous ne voulez pas que je regrette trop cette vie. Morrel.... je me sens mourir. Adieu, donnez parfois une larme un souvenir à votre ami... Adieu.... Vivez en paix, Valentine, un mot, mais à vous seule….

Aimez-le bien, comme il vous aime. C'est une belle et noble nature. Votre indifférence le tuerait, croyez-en la voix mourante du comte de Monte-Christo; car, c'est l'amour qui le tue. Il avait donné son cœur à deux femmes; la première est morte de douleur, la seconde, celle pour laquelle il meurt, puisqu'un autre devait la posséder : la seconde, oh! plus près, plus près encore, que vous seule m'entendiez, la seconde... Valentine... Je t'aimais.

VALENTINE.- Ah!

MORREL.- Mort!

VALENTINE.- Maximilien! Vous ne connaîtrez jamais le dévouement de celui que vous venez de perdre.

D’ANGLARS.- C'était donc lui ! Fatalité !

FIN.


 

 

 

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