Les enquêtes de Milady, tome 1 Le baiser de la tulipe noire
Bertrand Puard Maxime Fontaine
304 pages Fleuve Noir - 2023 - France Policier - Roman
Intérêt: *
Ce curieux roman est le premier d’une trilogie consacrée
aux « enquêtes de Milady ». La parution
du deuxième tome est annoncée pour le printemps 2024. La
série est présentée comme appartenant au genre du
« cosy crime » historique. Il s’agit autrement
dit de romans policiers dans le genre de ceux d’Agathe
Christie, se déroulant dans une époque ancienne, le
début du XVIIème siècle en l’occurence. Avec Milady dans
le rôle inattendu de Miss Marple - oui, la Milady des Trois
mousquetaires.
Celle-ci apparaît dès
le début du roman sous un jour assez déconcertant. Elle
vit à Paris sous le nom de Christabel Doncaster et
possède un magasin de thé qui fait découvrir à la bonne
société de la capitale les délices de cette boisson
alors inconnue. Mais parallèlement à cette activité bien
terre-à-terre, elle s’attache également à résoudre les
énigmes que l’on veut bien lui soumettre, tout comme
Miss Marple. Quand elle pratique cette activité plus
discrète que celle de commerçante, elle utilise le nom
de Milady.
Au début du Baiser de la tulipe noire, la voici
sollicitée par Aude de Mantégnac, jeune aristocrate de
province, qui s’inquiète fort des apparitions
mystérieuses qui se manifestent dans le château
familial. Milady accepte de l’accompagner dans le Béarn.
Elle y découvre une famille oppressante, qui vit
manifestement dans la peur et à juste titre: les morts
inexplicables se succèdent. Les corps de membres de la
famille sont retrouvés sur leur lit, entourés de tulipes
noires, une fleur qui a priori n’existe pourtant pas.
Milady s’attaque donc à ce mystère qui la fascine,
d’autant que sa commanditaire, Aude, finit par être
assassinée elle-aussi. Son enquête, de plus en plus
dangereuse, l’amènera à mettre à jour un formidable
complot remontant au sommet de l’Etat - ce qui lui
vaudra son tout premier contact avec Richelieu.
Les trois premiers quarts du livre sont plutôt réussis:
la galerie des personnages qui composent la famille de
Mantégnac et son entourage, l’atmosphère de plus en plus
étouffante, l’angoisse que suscitent ces événements
inexplicables, tout cela est bien rendu. La fin du roman
est plus discutable, tant les révélations successives
sont extravagantes.
Le problème principal tient à la personnalité de
l’héroïne dans laquelle on a le plus grand mal à
retrouver Milady. Il s’agit pourtant bien de celle de
Dumas: elle se présente comme la veuve de lord de
Winter, est marquée d’une fleur de lys sur son épaule,
revoit dans ses pensées des événements tragiques qui
l’ont marquée: « pendaison, marque au fer rouge,
morts violentes »… Cette Milady, autrement
dit, est celle qui a épousé Athos avant d’être pendue
par lui, celle qui a tué son mari lord de Winter et
autres joyeusetés. Mais rien de tout cela ne semble
l’avoir vraiment marquée. Sous son identité de
Christabel Doncaster, elle développe son commerce de
thés avec passion, se réjouit à l’idée de pouvoir
présenter ses produits à la Cour… Et quand elle se lance
dans l’une de ces enquêtes qu’elle affectionne, elle
donne l’impression de le faire parce que cela l’amuse.
Elle s’attache immédiatement à Aude de Mantégnac et est
affectée comme une midinette par la mort de cette
dernière qu’elle ne connaissait pas huit jours plus tôt.
Toute à ses réflexions sur les mystères qu’elle
affronte, elle en parle tout haut, jusque dans la rue.
Elle est présentée, en fait, comme une jeune femme au
tempérament indépendant et entreprenant certes, mais à
la personnalité plutôt enjouée, gaie et curieuse: pas
l’ombre de la fibre tragique, et encore moins
criminelle, qui caractérise la « vraie »
Milady.
De ce fait, on se dit parfois que le roman
fonctionnerait mieux si Christabel Doncaster était juste
elle-même, sans rapport avec la sombre héroïne des Trois
mousquetaires. Cela ne modifierait en rien le
roman, sauf ses toutes dernières pages où figurent
quelques liens avec Dumas: présence de Richelieu,
apparition quelque peu déroutante d’Aramis dont on croit
comprendre qu’il est le bras droit du cardinal dans ses
pires complots (!).
Ce problème est largement traité dans le deuxième volume
de la série, Les crimes de
l'horoscope, avant le tome final Le pinceau
divinatoire.
Extrait du chapitre 23
Pour la marchande de thé, tout se serait déroulé à
merveille en effet, au pays des parfums délicats et de
l'oubli confortable, si le visage livide d'Aude ne
s'était pas imprimé un peu trop fréquemment dans ses
pensées par la suite, et jusque dans ses songes.
Au fond de cette vie tranquille et fructueuse, située à
mille lieues de l'autre, questions sans réponses et
injustices persistantes s'obstinaient à revenir en
sarabande, pour danser presque sous le nez de
Christabel, qui finit par s'en agacer.
- Ouste donc, décampez ! s'exclama-t-elle bientôt à voix
haute en effectuant de grands gestes, comme si elle
chassait des moucherons nocturnes venus l'importuner.
Le lendemain, les cheveux en bataille, la mine en vrac,
elle rumina ses idées noires et se remit à parler seule.
- Je ne vais tout de même pas retourner là-bas et
risquer doublement ma vie pour une jeune noble déjà
disparue! Cela n'a aucun sens! J'ai mieux à faire ici.
À cet instant, on frappa à la porte. Cela mit Christabel
de fort méchante humeur. Sa boutique, en effet, n'allait
pas ouvrir avant trente minutes. Qui était donc cet
importun, qui osait la déranger avant qu'elle n'ait pu
s’apprêter?
S'il s'agissait d'un énième prétendant éploré, venu
quémander une quelconque marque d'affection, elle allait
le recevoir, celui-là, en sortant sa dague fétiche !
En fait d'amoureux transi, il s'agissait d'un coursier.
Un laquais impeccable, en livrée somptueuse, aux
épaulettes épaisses, aux gros boutons dorés. L'homme
venait s'assurer de sa présence.
- Eh bien oui, je suis là, lui signifia Christabel. Qui
vous envoie donc, et que me veut-on de si bon matin ?
Le personnage glabre lui tendit une enveloppe, frappée
d'un sceau qu'elle connaissait bien : celui d'une riche
cliente, Madame de la Sayette. Celle-ci la conviait aux
Tuileries, pour une dégustation de thé exceptionnelle,
en présence de quelques dames de la Cour. Il était
précisé que le nouveau mélange aux baies rouges, celui «
dont on lui avait dit le plus grand bien », était très
attendu.
Il s'agissait d'une occasion unique, impossible à
refuser. Présenter ses produits au palais du Roi, quelle
aubaine ! Malgré tout, l'annonce provoqua un étrange
mélange de sentiments chez la négociante. Madame de la
Sayette était une amie d'Aude.
Celle qui l'avait poussée à la contacter. S'il fallait
lui annoncer le décès de celle-ci en plein milieu de la
dégustation, cela allait méchamment alourdir l'ambiance
!
Mi-figue, mi-raisin, Christabel Doncaster prépara tout
de même la meilleure sélection de ses produits. Ses
employés tiendraient la boutique en son absence. Le
rendez-vous, en effet, était prévu pour l'après-midi
même. Autour de l'heure idéale, selon les Anglais, pour
la dégustation du thé.
|