Les enquêtes de Milady, tome 3 Le pinceau divinatoire
Maxime Fontaine Bertrand Puard
300 pages Fleuve Noir - 2025 - France Policier - Roman
Intérêt: **
Ce troisième volume vient clore la série des Enquêtes
de Milady, après le tome 1 Le baiser de
la tulipe noire et le tome 2 Les crimes de
l’horoscope, et fait la jonction avec Les
trois mousquetaires de Dumas. La jeune femme
relativement tranquille du premier volume (très
relativement tout de même: elle a auparavant été marquée
au fer rouge, pendue par son mari Athos, elle a
empoisonné son deuxième mari lord de Winter…) parachève
sa transformation en l’impitoyable Milady qui affrontera
bientôt d’Artagnan et ses trois amis.
Comme dans les deux
premiers tomes, Milady s’active à Paris entre son salon
de thé et ses interventions d’enquêtrice. On ne donnera
pas trop de détails sur les nouveaux mystères qu’elle
doit affronter, sinon qu’ils font apparaître un
personnage qui a beaucoup compté dans sa vie: un peintre
anglais, Paul Davies, avec qui elle a vécu une passion
torride pendant son mariage avec lord de Winter. Paul,
apprend-t-on, aura été en fait le grand amour de sa vie
- et le père de son fils Mordaunt (qui joue un rôle
central dans Vingt ans après).
Paul ayant envoyé à Milady des tableaux qui comportent
des appels au secours dissimulés (via des images qui se
révèlent au bout d’un certain temps: hum, moyennement
crédible…), la jeune femme part en Angleterre à sa
recherche. L’affaire impliquant une vaste conjuration
menée par une société secrète, elle est aidée dans son
expédition par Aramis qui travaille comme elle comme
agent secret au service de Richelieu (comme déjà vu dans
le volume précédent). Aramis fait intervenir en soutien
ses deux amis Athos et Porthos.
C’est vers la fin du roman que se déroule une scène
cruciale: l’assassinat de Paul Davies sous les yeux de
Milady. Un événement qui la frappe au cœur et la fait
basculer, en quelque sorte, définitivement du côté
obscur… (voir extrait ci-dessous). C’est à partir de là
qu’elle deviendra la Milady de Dumas. On la voit
parachever son allégeance à Richelieu. Et enfin, un
épilogue fait se rejouer la scène de l’auberge de Meung
avec l’arrivée de d’Artagnan, montrée du point de vue de
la Milady du roman de Fontaine et Puard: le raccord avec
Dumas est ainsi complet. Au prix de quelques acrobaties
toutefois: on apprend tout à la fin qu’une blessure
reçue à la tête par Aramis lui a fait oublier toute la
période où il travaillait pour Richelieu, dont
évidemment il ne lui reste rien dans Les trois
mousquetaires!
Commencée de façon pas tout à fait convaincante, avec
une Milady très éloignée de celle de Dumas, la série se
termine de manière beaucoup plus réussie. L’évolution de
la jeune femme est intéressante. Dus aux plumes de deux
professionnels chevronnés, les romans se lisent
agréablement. Une trouvaille à signaler dans le dernier
volume: toute une scène de déductions dans une salle
d’auberge pour résoudre un vol mystérieux, véritable
pastiche des romans d’Agatha Christie. D’autant qu’une
petite adolescente futée et observatrice du nom de
Marple y intervient beaucoup: il s’agit bien évidement
de celle qui deviendra (trois siècles plus tard) la
célèbre miss Marple!
Une bonne série ados, en définitive, qui ne peut sans
doute être pleinement appréciée que par les lecteurs
ayant une bonne connaissance du roman de Dumas.
Extrait du chapitre 24
Les yeux de Paul Davies se révulsèrent.
Il chuta à genoux.
- Anne... que se passe-t-il ? murmura-t-il dans un
gargouillement, avant de s'affaisser sur le sol.
Elle le rejoignit, alors qu'il était pris d'une
convulsion.
Tout se passa très vite. Elle voulut le relever, elle
insista, mais les bras de Paul demeuraient inertes.
Et son regard s'était figé.
Il ne bougeait plus d'un pouce.
Déjà, il ne respirait plus.
Milady en resta bouche bée. Incapable de croire que ses
retrouvailles avec l'homme qu'elle avait continué
d'aimer malgré les épreuves ne se résumeraient qu'à une
poignée de mots. Impuissante à concevoir que son fils
Mordaunt ne connaîtrait jamais le visage de son père, ne
goûterait ni à son humour ni à sa capacité d'insuffler
la vie dans les limites d'une toile.
Étienne de Mantégnac eût pu profiter de cet instant de
stupeur muette pour faire d'une pierre deux coups, et
entraîner son ennemie jurée dans la tombe.
Mais il voulait profiter de la blessure mortelle qu'il
venait de porter à l'âme d'Anne de Breuil.
- Maintenant... tu sais ce que cela fait, lui
asséna-t-il, d'un ton sépulcral.
Les yeux de l'espionne se détachèrent lentement du corps
sans vie qui gisait sur l'herbe souillée pour venir
plonger dans ceux du spectre de la Faucheuse. En
quelques secondes, elle sentit monter en elle un
sentiment dévorant dont l'intensité la surprit.
Jusqu'ici, on s'était attaqué à sa propre personne. On
avait voulu la battre, la marquer au fer rouge, la
pendre, la tuer. Cependant personne n'était parvenu à
lui arracher le cœur.
Par son geste meurtrier, Étienne de Mantégnac ne venait
pas simplement de se venger. Il venait d'éveiller un
fauve, une entité qui couvait en l'enquêtrice depuis
bien des années.
Une série de privations, de brimades, de coups du sort
avaient forgé son caractère frondeur. Les rencontres
violentes avec des hommes cherchant à étouffer sa
personnalité rebelle, à lui faire payer au centuple ses
effronteries, l'avaient confortée dans sa démarche
indisciplinée. Sous le vernis de l'éducation et des
bonnes manières s'était déployée une personnalité
d'acier, possédant encore certaines valeurs. Et parmi
elles, l’empathie.
Elle luttait au quotidien contre elle-même, contre ses
frustrations, ses colères pour conserver la parcelle
d'innocence qui la rattachait au commun des mortels.
Celle qui lui permettait de croire encore en l'être
humain, malgré le désenchantement intérieur.
Cette illusion venait tout juste de fondre comme neige
au soleil, de s'évaporer dans une flaque de sang carmin.
Il ne restait plus rien d'Anne de Breuil.
Seule demeurait Milady.
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