Fannie à Paris
Raymond Dumay
324 pages 1952 - France Roman
Intérêt: **
Dans ce deuxième volet de ses aventures, après
Bonjour Fannie, la ravissante
écuyère continue de ravager
les coeurs, en montant toujours plus haut dans le Gotha européen.
Les hommes qui cèdent à son charme comprennent
en effet dans ce volume Musset, le prince d'Orange (fils du roi
des Pays-Bas), Paganini (qui donne à Fannie des leçons
de danse et de chant), Metternich et le duc de Reichstadt! Sans
oublier un certain Vidocq, qui la prend sous sa protection.
Car Fannie voyage beaucoup. Pour retrouver son fiancé,
pour suivre les complots de ses amis, tous membres des clubs
révolutionnaires qui veulent la chute des vieilles monarchies,
pour fuir la police qui les pourchasse, pour échapper
aux convoitises d'horribles personnages qui en veulent à
la trop jolie jeune fille.
Cette course incessante mène Fannie de Paris jusqu'en
Belgique, puis en Allemagne, à Vienne, etc.. Elle y évolue
aussi bien dans les palais royaux que dans les caravanes de son
cirque ambulant, et va jusqu'à se battre en duel au couteau
dans une tribu de gitans.
L'ensemble se lit avec beaucoup de plaisir, les nombreux personnages
réels étant en général bien campés.
Et Dumas, dans tout cela? Comme dans le premier volume, il ne
figure pas parmi les principaux personnages, même s'il
est souvent question de lui. Mais le livre s'ouvre sur une soirée
à l'Opéra où il joue un rôle central,
et se termine sur la première de Henri III. Et
l'on assiste au passage à une beuverie associant Musset,
Dumas et Sainte-Beuve...
L'histoire se poursuit dans la troisième volume, Les amours de Fannie, puis dans le cinquième, Fannie et sa rivale.
Extrait du chapitre 2 Une soirée à l'Opéra
(Vigny) demanda brusquement:
Auriez-vous par hasard une lorgnette, Musset? une jumelle?
je ne sais quoi pour regarder au travers?
- Que voulez-vous dire? questionna Musset. Auriez-vous découvert
une étoile? Tenez.
Vigny se saisit des petites jumelles de nacre et d'argent qu'on
lui tendait et les braqua sur une loge d'avant-scène.
Musset s'était porté près de lui, et, curieusement,
regardait dans la salle, tâchant d'apercevoir ce qui intéressait
à ce point Vigny.
- Incroyable, murmura celui-ci, je ne pensais pas qu'une semblable
beauté pût exister. Ange et démon tout à
la fois...
Le jeune Musset, dressé sur les pointes, palpitant de
curiosité, paraissait mimer auprès de lui quelque
danse du désir. Vigny consentit enfin à lui rendre
les jumelles.
- Dans la deuxième loge, là, voyez-vous cette jeune
fille, expliqua-t-il?
Musset regarda à son tour et ses lèvres s'arrondirent
de surprise.
- Oh, murmura-t-il, la délicieuse enfant! Dumas, vous
qui connaissez tous les jolis minois de Paris, pouvez-vous nous
dire qui est dans la loge de Vidocq, aux côtés de
son épouse? On ne peut rêver plus gracieuse apparition.
- Je l'ignore, dit Dumas avec indifférence, je ne m'intéresse
plus aux femmes pour le moment.
- Que dites-vous là, Dumas? s'écria Dorval. Quand
je prétendais que vous étiez triste! Auriez-vous
quelque chagrin d'amour?
- Peut-être... dit mélancoliquement le jeune homme.
- Dans ce cas, écrivez vite une pièce bouillonnante
de passion, dit la comédienne, je vous la jouerai, vous
verrez cela...
- C'est à moitié fait déjà, soupira
Dumas. 0 pauvre Antony!
- Allons, dit Musset, regardez tout de même, je vous affirme
que cette fille est adorable.
Dumas se leva languissamment.
- Une seule comptait pour moi, balbutia-t-il, et la voici à
un autre...
Il avait néanmoins pris les jumelles et regardait dans
la direction indiquée.
Ses deux amis qui guettaient sur son visage le reflet de son
admiration, le virent pâlir, rougir, cependant qu'une exclamation
de surprise s'étranglait dans sa gorge. Puis, sans dire
un mot, sans même s'excuser, Dumas s'élança
hors de la loge de Dorval, oubliant dans son émotion de
rendre son bien à Musset, et laissant tout le monde stupéfait.
- Que s'est-il passé? interrogea Dorval. Est-il devenu
fou?
- Je pense qu'il connaît la jeune fille, avança
Vigny.
- Dites plutôt qu'il est tombé amoureux d'un seul
coup, dit le jeune Musset. Cela est possible, après tout.
Tenez, moi-même, je me sens tout chose... Mais regardons
plutôt ce qui se passe là-bas.
Dumas, toujours courant, s'était en route concilié
les grâces d'une ouvreuse qui le conduisit jusqu'à
la loge de Vidocq. Quelques instants plus tard, bégayant
d'émotion, il couvrait de baisers les mains de Fannie
radieuse, sous le regard inquiet de Fleuride, et sans se soucier
davantage d'être observé par toute une salle.
- Fannie, mon ange, que faites-vous ici? demanda-t-il enfin
lorsqu'il se fut quelque peu calmé. Nostré Seigné
m'avait informé de votre mariage. Est-ce vrai, Fannie? Mais où donc est monsieur de Montrieux ? Vous n'êtes
pas mariée, n'est-ce pas?
Fannie, qui avait posé sur le bras de son ami une main
de propriétaire, secoua doucement la tête:
- Je devrais dire : "Hélas, non", mais devant
vous, vraiment je n'en ai pas le courage, murmura-t-elle émue.
Aurai-je le temps de tout vous raconter avant la pièce?
- Commencez toujours, mon ange, conseilla Dumas, il y a les entractes.
La jeune fille entreprit donc de lui expliquer les événements
qui l'avaient séparée de Klébert.
- Je ne comprends pas, dit Dumas. Vous n'avez pas voulu suivre
monsieur de Cantenac en Aix? Pourquoi chercher à déplaire
ainsi à votre fiancé? Votre métier compte-t-il
donc tant à vos yeux, ou bien...
Son regard câlin chercha celui de Fannie.
- Vous ne comprenez pas, dit celle-ci, avec une impatience qui
s'aiguisait à mesure qu'elle sentait le temps s'écouler.
Je devais venir à Paris pour aider madame de Montrieux.
Je ne pouvais la laisser seule aux prises avec la Barbaroux.
Il me faut de l'argent pour empêcher que le château
ne soit vendu. Il faut que je me fasse un nom, que je devienne
célèbre. Il me faut de l'argent, encore de l'argent...
Vous m'aiderez, dites?
- De tout mon pouvoir, mon ange! Vous n'en doutez pas? protesta
Dumas. Mais cela n'explique pas que je vous retrouve à
l'Opéra, en compagnie de madame Vidocq. Est-ce que l'ancien
chef de la police est votre ami?
- Sarah mourante m'avait recommandé de m'adresser à
lui, en cas de besoin.
- Et moi? Vous n'avez donc pas pensé à moi dans
tout ceci? insista Dumas.
- Vous êtes la première personne que j'allais chercher
après madame de Montrieux, se justifia Fannie. Naturellement,
je pensais à vous! N'êtes-vous pas mon ami?
- Et mieux que cela Fannie, ne pensez-vous pas, dites? questionna
Dumas. |