Le fils de Monte-Cristo
Jules Lermina
1784 pages 1881 - France Roman
Intérêt: ***
Note: la pagination indiquée correspond
aux quatre volumes de l'édition Nelson.
Le livre a connu de nombreuses éditions. Dans certains
cas, il a été découpé en plusieurs volumes pourvus de
titres différents. Voir ci-dessous les couvertures d'une
édition en deux volumes, le premier intitulé Le
fils de Monte-Cristo et le deuxième La mort
de Monte-Cristo. L'oeuvre de Lermina a également
été l'objet de plusieurs traductions/adaptations
en langue anglaise sous des titres variés.
Grandes lignes du récit:
Prologue: L'Alcyon
Début de l'action:
trois mois après le départ de Monte-Cristo de Paris. Le
procès de Benedetto s'ouvre, commenté par le journaliste
Beauchamp et Château-Renaud.
Benedetto simule un repentir très chrétien et sauve sa
tête. Car sa mère, la baronne Danglars, rongée par le
remords, a promis le reste de sa fortune (un million)
aux jésuites pour le sauver. Benedetto part au bagne, en
compagnie du forçat Sanselme.
Simultanément, Villefort, fou, retrouve un peu de
lucidité à l'approche de la mort, dans l'asile du
docteur d'Avrigny. Il se livre à une confession
complète: Valentine de Villefort n'est pas sa fille. Il
s'agit en fait de la fille d'un chef hindou, résistant
contre l'occupation britannique, et qui a été
substituée, à la naissance, à son bébé mort-né.
La veille du jour où Mme Danglars doit remettre sa
fortune aux jésuites et partir dans un couvent,
Benedetto s'échappe du bagne en compagnie de Sanselme,
tue sa mère et la vole. S'enfuyant à travers la
Méditerranée, il fait naufrage et échoue sur l'île de
Monte-Cristo. Le même jour, le comte de Monte-Cristo,
marié à Haydée, vient sur l'île pour la dernière fois.
Refusant désormais d'être un vengeur, il fait grâce à
Benedetto et le laisse partir avant de détruire le
repaire de l'île.
Première partie - La Luciola
La première partie du
roman se passe à Milan en 1848, sous l'occupation
autrichienne, décrite dans toute sa cruauté. Les
patriotes italiens s'organisent pour lutter contre
l'oppresseur. Une cantatrice de l'opéra de Milan, la
Luciola, devient le symbole de la résistance
anti-autrichienne, par amour pour le marquis d'Aslitta.
Cette Luciola se révèle être Eugénie Danglars, la fille
rebelle du financier déchu.
Au premier rang des bourreaux autrichiens figure un
certain comte de San Pietro, traître, imposteur, qui
n'est autre que Benedetto. En face, les patriotes
reçoivent l'aide du comte de Monte-Cristo, dont le rôle
est décisif lors du soulèvement final, auquel il fait
participer son fils Espérance, âgé de 7 ou 8 ans, pour
l'initier à la lutte pour la liberté.
A signaler également le rôle important joué par
Bartolomeo, l'ex-major Cavalcanti du Comte de
Monte-Cristo, qui, bien que petit escroc dans
l'âme, se découvre patriote en luttant contre Benedetto,
son ex-pseudo fils…
A la fin de l'épisode, après la victoire des
patriotes, Monte-Cristo reçoit un appel au secours de
Mercédès et part pour Marseille.
Deuxième partie - Plus riche que Monte-Cristo
Les 460 pages de cette partie sont consacrées au récit
de l'expédition menée par le comte de Monte-Cristo en
Algérie pour secourir le fils de Mercédès, Albert de
Morcerf. Après la révélation du déshonneur de son père
et sa mort, celui-ci s'est engagé dans l'armée française
pour y reconquérir son honneur. Fait prisonnier par des
rebelles musulmans, il a disparu. D'où l'appel au
secours lancé par Mercédès à Monte-Cristo.
Le comte monte donc une expédition pour retrouver le
capitaine Joliette (nom adopté par Albert), qui est aux
mains de Maldar, chef d'une bande de fanatiques
sanguinaires. Il est accompagné d'Espérance, son fils
encore enfant, qu'il veut confronter aux épreuves pour
former son caractère et son sens du devoir.
En fait, l'expédition se passe beaucoup moins bien que
ne le prévoyait le comte, victime de son immense
confiance en lui. Au point qu'Espérance est pris en
otage par Maldar et que Monte-Cristo est réduit à
l'impuissance pour la première fois depuis son évasion
du château d'If.
Et c'est l'intervention de différents autres
personnages accourus à son aide, au premier rang
desquels un colon français nommé Fanfar, qui sauve
Monte-Cristo et son fils de la mort.
Le livre comporte de nombreux personnages secondaires
très fouillés, dont les histoires donnent lieu à de
longues digressions: le zouave "Coucou", tout dévoué au
capitaine Joliette, l'anglaise miss Elphys, milliardaire
et amoureuse de Monte-Cristo, son capitaine américain
anthropophage, etc..
A côté de passages d'un comique un peu lourd, exercé
généralement au détriment des personnages populaires (un
peu ridicules, mais tellement dévoués !), le livre
comprend aussi des évocations assez impressionnantes des
sectes fanatiques musulmanes, prêtes à tout pour
exterminer les chrétiens envahisseurs.
Troisième partie - Les aventures de Fanfar
Ce troisième volume n'est en fait
qu'une très longue - 472 pages - parenthèse. Le deuxième
tome s'était terminé sur le sauvetage du comte de
Monte-Cristo et de son fils par un colon français,
Fanfar, qui les avait amenés dans son domaine. Comme son
nom l'indique, cette troisième partie n'est rien d'autre
que le récit de la vie de ce dernier. Il s'agit donc
d'un roman à part entière, inséré dans Le fils de
Monte-Cristo, et qui n'a aucun rapport ni avec
l'intrigue de ce dernier, ni avec le personnage de
Monte-Cristo qui n'y est jamais mentionné.
Passablement embrouillée, l'histoire utilise
allégrement enfants perdus et retrouvés, coïncidences et
coups de théâtre hallucinants pour illustrer
l'opposition entre les infâmes nobles émigrés de la
révolution et les braves enfants du peuple dévoués à la
patrie. Un ensemble quelque peu indigeste.
Quatrième partie - La revanche de Benedetto
Douze ans après les aventures en Algérie de la deuxième
partie, Monte-Cristo et son fils vivent à Paris. Haydée
est morte. Le livre s'ouvre sur une lettre du comte à
Espérance, dans laquelle, déplorant son propre caractère
dominateur et orgueilleux, Monte-Cristo annonce à son
fils qu'il s'en va, afin de le laisser prendre son
indépendance.
Agé de 22 ans, Espérance sort donc pour la première
fois de l'ombre protectrice et étouffante de son père.
Supérieurement intelligent et éduqué, le jeune homme
souffre de timidité, d'une tendance à la mélancolie,
d'une difficulté à nouer des relations équilibrées.
Espérance tombe amoureux fou d'une jeune fille, Jane
Zild, dont on apprend qu'elle est la fille du forçat
Sanselme, apparu dans le premier volume.
Mais au même moment se trouvent à Paris le banquier de
Larsangy, qui n'est autre que l'ex-baron Danglars,
vieillard, qui a réussi à rebâtir sa fortune, et
Benedetto - toujours lui. Les deux hommes s'allient pour
se venger de Monte-Cristo en s'en prenant à ce qu'il a
de plus précieux: son fils.
Jane est donc enlevée et Espérance attiré dans un
guet-apens. Benedetto l'assassine. Revenu trop tard,
Monte-Cristo ne peut que repartir, sans un mot,
emportant le corps de son fils dans ses bras.
Dans cet épisode très mélodramatique, de nombreux
personnages des parties 1 et 2 font leur réapparition:
Fanfar, Coucou, Sanselme, etc.. De vraies trouvailles
sont à relever, comme l'appétit insatiable qui
caractérise Danglars/Larsangy: l'épisode du Comte
de Monte-Cristo où il est méthodiquement affamé
dans les catacombes de Rome lui a laissé une faim
inextinguible qui terrifie son entourage...
Epilogue - L'abbé Dantès
Encore dix ans plus tard, Edmond Dantès vit ses
derniers jours. Il est depuis des années sur l'île de
Monte-Cristo, dans la solitude et le dénuement le plus
complet, à pleurer son fils et à se repentir "d'avoir
voulu tout courber à sa volonté" plutôt que "d'avoir
employé sa fortune immense au soulagement des
misérables". Sur le point de mourir, il jette à l'eau
une bouteille avec son testament et le plan de la
cachette de son trésor (ce qui prépare la suite de la
suite, Le
trésor de Monte-Cristo).
Commentaire
Si l'on excepte la troisième partie, qui n'a aucun
rapport avec le reste, Le fils de Monte-Cristo
est un livre de première importance. Non seulement les
aventures du roman de Dumas y trouvent des prolongements
crédibles, mais Lermina procède à un véritable
approfondissement du personnage principal (ce qui est en
général le point faible de la plupart des suites, qui
ont tendance à ne conserver que les traits superficiels
des héros, même quand leurs intrigues sont réussies).
Le portrait de Monte-Cristo en homme dépassé par sa
toute puissance, coupé de relations normales avec les
autres, victime de sa confiance en lui démesurée est
convaincant.
Si haut au dessus des hommes ordinaires soit-il,
Edmond Dantès est finalement victime de son amour pour
son fils et de son incapacité à avoir fait d'Espérance
un homme capable de se défendre par lui-même. Fou de
douleur et de remords, il finit sa vie sur l'île de
Monte-Cristo, devenue une sorte de cachot du château
d'If en plein air.
Soulignons l'habileté avec laquelle Lermina a su
utiliser les personnages secondaires du roman de Dumas
et les pistes qui y restaient ouvertes, surtout dans le
prologue. On peut en revanche regretter que certaines
intrigues amorcées par lui (la véritable origine de
Valentine de Villefort, par exemple) ne soient pas
exploitées par la suite (même si elles le seront parfois
dans Le
trésor de Monte-Cristo).
La comparaison avec la première suite de Monte-Cristo à
avoir été publiée, La main du défunt,
est particulièrement intéressante. De nombreux points
communs sont évidents: les deux livres sont des suites
directes du livre de Dumas, tous deux utilisent
essentiellement les personnages vivant encore à la fin
du Comte de Monte-Cristo, dans les deux cas
Benedetto joue un rôle central en cherchant à se venger
de Monte-Cristo, ce dernier est marié à Haydée dont il a
un fils, l'existence même de ce fils devient une cause
de faiblesse pour le comte et contribue à sa perte et à
son malheur ultime...
Mais le parallèle s'arrête là. La main du défunt
s'inspire d'une lecture catholique traditionnelle du
livre de Dumas. Horrifié par la vengeance impitoyable
d'Edmond Dantès, qui s'attribue un pouvoir quasi-divin,
l'auteur veut le punir. Pour ce faire, il utilise les
personnages de Dumas totalement à contre-emploi, qu'il
s'agisse de Benedetto ou de Monte-Cristo lui-même. A
l'inverse, Lermina, qui se livre, lui, à une lecture
"socialiste" du roman de Dumas, sait utiliser le
caractère des personnages pour prolonger l'action.
Benedetto, bien loin de devenir un homme de Dieu comme
dans La main du défunt, est plus noir que
jamais dans son livre. Quant à Monte-Cristo, c'est sa
personnalité même qui l'empêche d'armer son fils comme
il faudrait contre ses ennemis, ce qui cause son malheur
final.
Les similitudes entre les deux livres sont assez
évidentes pour que l'on puisse hasarder une hypothèse:
celle selon laquelle Lermina aurait lu La main du
défunt (le livre, portugais, est parue en France
en 1853 et a causé suffisamment de scandale, Dumas
protestant contre sa publication, pour que Lermina en
ait entendu parler). Il aurait alors décidé qu'il
pouvait faire beaucoup mieux en utilisant les mêmes
données de départ, mais en les développant dans le
respect de la personnalité des héros...
Dernier point: des éléments importants du Fils de
Monte-Cristo, comme le mariage avec Haydée, la
naissance d'Espérance qui en résulte, et l'engagement de
Monte-Cristo en faveur de la lutte sociale se retrouvent
dans d'autres suites apocryphes comme Edmond Dantès,
par exemple. Le livre de Lermina a ainsi influencé de
nombreuses suites apocryphes, notamment parmi celles
publiées aux Etats-Unis (voir notre Introduction aux suites
de Monte-Cristo).
|
Lettre de Dumas fils reproduite dans une
édition du Fils de Monte-Cristo chez
L. Boulanger

Cher Monsieur,
rien ne peut me faire plus de plaisir que
cette justice rendue à cette mémoire. L’homme
est célèbre, il n’est pas connu. Le jour où
l’on prendra bien sa mesure, on sera étonné de
la taille qu’il a, merci donc et comptez que
vous n’aurez pas de lecteur plus consciencieux
et plus reconnaissant que votre tout dévoué
A. Dumas
Merci à Claude Schopp pour la transcription
|
Extrait de la deuxième partie Plus riche que
Monte-Cristo, chapitre 26 Où Monte-Cristo
redevient Dantès
La porte s'ouvrit. Les Khouans étaient groupés dans la
vaste cour, mal éclairée, si bien qu'on ne pouvait
deviner leur nombre. Sous la lumière fumeuse des
torches, on eût dit ces hordes de démons que Dante
traverse dans les malebolge de l'enfer.
Monte-Cristo passait au milieu d'eux, pâle et fier.
Devait-il, lui aussi, répéter le mot du poète: "Vous qui
entrez laissez toute espérance"?
Derrière lui la porte s'était refermée avec un bruit
sourd. Il marchait, voyant luire des taches brillantes
qui étaient les reflets des armes.
Maldar, debout sur le seuil, drapé dans le burnous
vert, l'attendait.
Quand Monte-Cristo fut auprès de lui, Maldar porta la
main à son front en signe de salut. Mais sa face osseuse
et brune semblait crispée par une fureur mal dissimulée.
Cet homme semblait la statue vivante de la haine.
Il précéda Monte-Cristo dans l'intérieur de la
citadelle.
Il semblait au père d'Espérance qu'il pénétrait encore
une fois dans les cachots du château d'If : mais cette
fois, le prisonnier c'était son enfant. Et si cruels que
fussent les séides de Villefort, combien plus
redoutables étaient ces barbares qui ne reconnaissaient
aucune des lois de la guerre?
- Me voici, dit Monte-Cristo. Tu m'as appelé me disant
que tu fixerais toi-même la rançon de mon fils.
J'attends.
- Tu l'aimes donc bien, ton fils?
- Pour m'adresser une pareille question, il faut que
tu ne sois pas père.
- Si bien qu'il n'est aucun sacrifice que tu ne sois
prêt à t'imposer pour sauver ton enfant ?
- Soumets-moi aux tortures les plus horribles, fais
couler mon sang goutte à goutte par toutes les blessures
de mon corps... et que mon fils soit libre, je te
bénirai en expirant. Mais trêve de paroles! tu as
prononcé le mot de rançon, donc c'est de l'or qu'il te
faut. Écoute-moi. Je suis riche, si riche que je
pourrais solder pendant des années entières l'armée qui
te défend, si riche que je pourrais acheter la ville que
tu appelles la sultane des oasis, que je pourrais
t'enrichir de telle sorte que le sultan qui siège à
Stamboul fût un pauvre auprès de toi, et à peine
croirais-je t'avoir donné une obole. Donc décide.
Maldar, qui s'était assis, se releva brusquement:
- Tu te crois riche et tu es pauvre; le seul riche
ici, c'est moi!
- Que veux-tu dire?
- Oui, je veux te croire, tu possèdes des trésors
immenses et tu pourrais paver d'or les rues d'Ouargla;
et cependant, je te le répète, il est un homme plus
riche que toi, et cet homme, c'est Maldar.
- Encore une fois, tes paroles sont obscures.
Explique-toi.
- Je suis plus riche que Monte-Cristo, parce que je
n'ai dans mon coeur aucun sentiment qui me fasse
frissonner de crainte ou de douleur; je suis plus riche
que Monte-Cristo, parce que Monte-Cristo n'a qu'une
seule richesse au monde, son fils, et que ce fils est
entre mes mains, et que Monte-Cristo est appauvri de son
enfant.
Monte-Cristo tressaillit. Cet homme disait vrai.
Qu'était-ce que tout cet or, que ces monceaux de
pierreries, auprès d'un seul sourire d'Espérance?
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